Un recueil de deux belles nouvelles d'une des grandes voix de la littérature chinoise contemporaine, où les femmes sont brillamment représentées, on pense notamment à
Li Chi, Shen Keyi...
« Enfance au village du Grand Nord » nous conte l'histoire d'une petite fille de sept ans dont la maman se débarrasse en la confiant à sa grand-mère. Nous sommes dans le nord-est de la Chine, dans le Heilongjiang, là où le climat est rude, brûlant et sec l'été, glacial et neigeux l'hiver.
Triste à son arrivée au coeur de l'été torride, la petite narratrice se révèle vite intrépide et avide de découvrir la vie de la campagne. le défilé des nuages, les plantes et les légumes du potager, les animaux de la basse-cour l'enchantent. En la quasi-absence d'autres enfants de son âge, elle joue toute seule. Crétin, le chien de ses grands-parents, devient son copain. Un jour, la petite fille entre chez la vieille voisine qui vit seule dans sa maison, attirée comme si elle avait toujours connu cette femme d'origine russe (nous sommes proches de la frontière sino-russe). Entre elles se tissent des liens joyeux, et la petite l'appelle Nainai, grand-mère en chinois. La petite fille nous livre ses découvertes toutes simples de la campagne, ses rêves nocturnes, ses scènes de vie avec Nainai, qui lui apprend à lire, les petites fêtes traditionnelles comme la fête de la lune ou l'on déguste le gâteau de lune...Elle est aussi l'observatrice du comportement des adultes, en particulier de son grand-père, qui tente d'enfouir une vive douleur, un terrible secret qu'il cache à sa femme pour ne pas la faire souffrir, elle pourrait même en mourir si elle le découvrait…Mais arrivé au terme de l'hiver la vie abandonnera Nainai, et la petite fille devra repartir chez ses parents au printemps.
Un récit sur le monde de l'enfance, mélange de joies simples et de drames, de rêves. Un séjour initiatique, en forme d'hommage aux personnes âgées, d'une petite année d'apprentissage des choses de la vie, qui fait grandir d'un coup. Et en filigrane, subtilement, le drame des sacrifiés de la Révolution Culturelle maoïste, ou encore les exactions japonaises.
Dans «
Toutes les nuits du monde », la narratrice a perdu son mari, un magicien, qu'elle appelle Magicien, fauché par une moto. Elle va alors entreprendre une sorte de quête initiatique au lac des Trois Monts, s'y enduire des boues rouges bienfaisantes et pour masquer sa détresse, se promener dans les villages voisins pour enquêter sur les moeurs locales, récolter des chants populaires et des histoires de revenants. Elle espère ainsi toucher du doigt le lieu où habiterait l'âme de son mari, voire même l'interroger via un médium. Elle se rendra à Wutang, ville minière très polluée, où elle va rencontrer sur le marché des hommes et des femmes simples aux personnalités attachantes tel un fabricant de tofu, un peintre, et parfois un peu extravagante comme cette belle-soeur Jiang Bai, qui depuis qu'elle a elle aussi perdu son mari deux ans plus tôt, se saoûle et ramène chaque jour un nouvel homme dans son lit…et qui pourrait peut-être l'aider dans sa quête. le style est ici souvent truculent, les dialogues savoureux, mais la poésie et la mélancolie d'un monde de traditions qui s'en va sont aussi bien présents.
Ces deux récits ont en commun une ambiance poétique et légèrement ésotérique, un hommage aux morts, aux vieux, la découverte de gens attachants, dans une écriture au style simple et de qualité, qui véhicule une émotion mesurée, tout en finesse et en pudeur. Un très bel hommage aussi de
Chi Zijian à sa région d'origine, le rude Heilongjiang, « Fleuve du dragon noir ».