Avoir un passé aussi terrifiant que l'Espagne marque et laisse des traces. C'est lourd et ineffaçable. Tous ces morts, ces disparus, ces torturés, ces violées, ils sont portés dans les coeurs pour toujours.
Voilà "Le poids des morts" . Un condamné, une mise à mort publique et on remonte le temps. Des personnages qui sont liés par un passé troublant, par une vie partagée, par l'amour , par la passion mais, des personnages terriblement tourmentés.
Saluons le talent de Victor del Arbol qui peut nous raconter l'horreur sans jamais s'abîmer dans le spectaculaire.
Un récit très noir sans être trash/glauque. C'est le noir de l'âme des hommes qu'il raconte. L'histoire d'une violence bien (trop) réelle, présente, qui oblige les choix d'une vie et qui entraîne dans son sillon tous ceux qu'elle rencontre.
Victor del Arbol maîtrise l'art de raconter le pire avec l'élégance et la noblesse des mots. Ce qui rend l'histoire encore plus terrifiante.
Le récit relaté dans "Le poids des morts", n'est assurément et malheureusement qu'une anecdote comme trop bien d'autres de cette période ténébreuse de l'histoire espagnole.
Quand un polar commence par une pendaison, on devine que ça ne sera pas rigolo.
Cette exécution dans les geôles espagnoles donne le ton pour tout le roman. Et ce n'est pas réjouissant, car la trame repose sur des dimensions historiques, sur les relents du régime franquiste après la Guerre d'Espagne.
Ça pèse lourd, tous ces morts… des hommes torturés dans les prisons, une femme infidèle empoisonnée, mais la chape de plomb posée sur le passé sera soulevée à la mort du dictateur lorsqu'un couple réfugié en Autriche reviendra au pays à la mort du dictateur. On découvrira alors des êtres sont encore plus abjects que l'on croyait.
Un polar historique très noir. La qualité de l'écriture de l'auteur est évocatrice et trempe le lecteur dans les émotions troubles d'une époque sans pitié.
Le Poids des morts est le premier roman de Victor del Árbol, publié (et primé) en 2006, réédité en espagnol en 2016 et finalement traduit et publié en français en 2020 seulement. On y retrouve les grands thèmes chers à l'auteur : le souvenir de la Guerre civile, la dictature de Franco et son cortège d'ignominies, bien sûr, une belle galerie de machos plus ou moins détestables, des enfants orphelins ou mal aimés, des traîtres, mais aussi, comme l'annonce ce beau titre, le poids des morts, des siens propres et de ceux des autres. Ce terrible récit se déroule pendant que Franco agonise, sur fonds de dénonciations, de bravades potaches qui tournent au drame et de règlements de comptes. J'oubliais les amours non partagées, les amours/haines, les amours vénales, bref, les variations sur les amours folles et malheureuses.
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« Aujourd'hui, je n'écrirais sans doute pas cette histoire de la même façon. C'est justement pour cette raison que nous n'avons pas voulu remodeler le texte ou le corriger au-delà des quelques détails nécessaires. Avec ses défauts et ses qualités, ce roman était une déclaration d'intention. Ma voix narrative et mon univers sont déjà là. Je m'y reconnais, et j'espère que toi, lecteur, tu m'y reconnaîtras aussi. » On ne peut pas dire les choses mieux que l'auteur dans sa note d'introduction (page 12). Tout est là, non pas en germe, mais déjà bien fleuri. Il est probable que, si c'était mon premier contact avec cet auteur, j'aurai mieux noté ce roman… Ou peut-être pas : j'ai quand même vu le coupable venir de loin !
Victor del Arbol fait partie de ces auteurs dont j'adore les romans mais dont je repousse toujours la lecture. En effet, ses histoires sont tellement sombres et dures qu'il faut que je sois dans les bonnes conditions pour l'apprécier à sa juste valeur. En revanche, à chaque fois, je ne suis pas déçu !
« le poids des morts » arrive chez nous maintenant alors qu'il est le premier roman publié par l'auteur il y a plus de dix ans. Mais il ne déroge pas à la règle. On peut constater que la noirceur était déjà omniprésente, même à ses débuts.
Dans cette aventure, des personnages sont confrontés à leur passé. En couvrant principalement une période de l'histoire espagnole de 1940 à 1975, l'auteur met en lumière le côté sombre de l'État franquiste. Il nous offre une critique acerbe de ce système dans lequel tous les moyens étaient bons (violence, viol, chantage…) pour faire régner l'ordre. C'est une nouvelle fois brutal et tragique.
Comme toujours, les personnages sont nuancés, jamais caricaturaux. Ils ont chacun une part d'ombre qui les rend humains. Dans le cas présent, même si leurs destins sont intéressants, je les ai trouvés un peu désincarnés. Leurs histoires passent devant nos yeux, mais il manque de l'émotion, qui était pourtant d'habitude la marque de fabrique de l'auteur.
Il est vrai que dans cette période difficile, ce n'est pas une lecture qui vous remontera le moral. Ce roman n'est pas non plus le meilleur de cet écrivain, qui a fait bien mieux ensuite. Mais pour son premier écrit, Victor del Arbol fait déjà preuve d'une véritable capacité à parler de résilience, avec toujours cette question en suspens : Est-ce que les drames du passé détruisent l'Homme ou le font avancer ? Il semble bien décider à continuer d'y répondre.
Arbol Victor del (1968-) – "Le poids des morts" – Actes Sud / Babel-noir, 2020 (ISBN 978-2-330-12995-8)
– format 22x14cm, 294p.
– traduit de l'espagnol par Claude Bleton, titre original "El peso de los muertos" publié en 2006.
De cet auteur, j'ai lu – sans tenir compte de leur ordre de publication – successivement "Toutes les vagues de l'océan" (publié en 2014, cf recension), puis "La tristesse du samouraï" (publié en 2011, cf recension) ainsi que "La veille de presque tout" (publié en 2016 cf recension).
Dans sa "note" liminaire (pp. 11-12) écrite en 2016, l'auteur précise qu'il s'agit ici de son premier roman ayant connu un certain succès, publié en 2006, auquel il n'a finalement rien modifié, puisque :
"avec ses défauts et ses qualités, ce roman était une déclaration d'intentions. Ma voix narrative et mon univers sont déjà là."
Mais, lectrices et lecteurs averti(e)s le savent bien, c'est une véritable (et souvent détestable) manie des éditeurs que de pousser un auteur connu à sortir de ses tiroirs ses premiers écrits pour en tirer un bénéfice aussi peu juteux soit-il, surtout lorsqu'il s'agit d'un écrivain aussi peu prolifique – donc respectueux de son métier – que l'est Victor del Arbol.
Car franchement, hein, "seulement" six romans en quatorze années, on est très loin de la production à la chaîne si chère aux éditeurs, surtout dans le domaine du roman policier. Sauf que cet auteur-là est historien de formation, et qu'il semble vraiment creuser ses sources avant d'écrire une ligne, tout en cherchant à assurer le style qui rendra au mieux ses intentions : tout un travail, d'écrivain et d'écrivant...
Adoncque, connaissant ce vice des éditeurs, j'étais fort méfiant envers ce "premier roman" sorti des tiroirs dix années après sa première publication, mais l'oeuvre de cet auteur me semblait justifier une enquête. Je ne fus pas déçu : certes, on est loin de la qualité du sommet atteint dans son chef d'oeuvre "Toutes les vagues de l'océan", mais c'est indéniablement intéressant d'assister ainsi à la naissance d'un style, d'une technique de narration, de la mise en perspective d'une trame historique aussi complexe que la transition post-franquiste dans l'Espagne de 1975.
Lecture recommandée pour celles et ceux qui apprécient Victor del Arbol et souhaitent se faire une idée de la genèse de son écriture.
![]() | LeMonde 21 février 2020
Le premier roman de Victor del Arbol, aujourd’hui traduit, met déjà en scène l’obsession mémorielle de l’écrivain espagnol. Le cœur du livre, comme des cinq qui le suivront, c'est de savoir si la mémoire est libératrice ou aliénante.
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