[à propos de la publicité] Contents de bouffer de la merde de cheval surgelée! Ravis de s'empoisonner de raviolis aux os broyés, nerfs et tendons! Guillerets de préparer des purées en flocons! Éplucher une patate? Plus le temps! Trop de boulot! (...) J'abandonne mes enfants tous les jours à des nourrices inconnues, (...) je donne du poison à mon bébé, mais je suis bien plus épanouie qu'au treizième siècle (...)!
Ça y est, Bassefosse était lancé ! Selon lui, notre société ne savait plus quoi faire de ses vieux et les parquait dans des camps. Il vomissait les humiliations mais plus encore la sympathie. Surtout la sympathie ! L’ignoble sympathie que l’on éprouve pour les bébés et les handicapés, les inutiles. La technologie rendait leur connaissance périmée, non transmissible. Déconnectés, les vieux ! Ce qu’ils savent est ringard, ne mérite pas cinq minutes d’attention.
Incapables de faire fonctionner un smartphone 5G, de changer une carte Sim. Vous êtes hors-jeu, les vieux, surtout ne faites pas d’histoires, n’essayez pas de résister. Trouvez-vous des petits plaisirs de fin de vie et faites-vous tout petits ! Quand ils parlaient, la jeunesse ricanait dorénavant. La jeunesse bête par essence, tombée du nid, au lait qui coule du nez. La jeunesse malléable, perméable, imbécile, qui produit et consomme. Plus besoin des vieux ! « Mais non, mémé, ça fait belle lurette que tes idées sont dépassées… » « Mais non, pépé, le progrès est passé par là… » Finie, la transmission, en attendant la science qui arrêtera la mort… Du coup, on les consolait avec leur « sagesse »… Ah, la sagesse des anciens, c’est tout ce qu’il vous reste, ça nous tire des larmes d’extase. La belle sagesse qu’on court enfermer dans les camps de retraite ! Mais à quoi elle sert, la sagesse, si les générations suivantes n’en profitent pas ? À quoi elle sert, la sagesse, si tout le monde s’en fout ? Si c’est la nouveauté sans cesse louée ? Si c’est « l’acceptation du neuf la bonne nouvelle » ? À quoi sert la sagesse si les vieux sont confinés en apartheid !
- Mais... euh... comment dire... c'est légal ton truc?
- Quel truc?
- Ben euh... le chevreuil, là.
- Bah, y en a tellement... Ils sont là tous les soirs au crépuscule. J'en prélève un de temps en temps, généralement le mardi soir.
- Le mardi soir? Pourquoi le mardi soir?
- Parce qu'il y a Bones à la télévision.
J'ai levé les yeux au ciel avant de ricaner.
- Et alors, les chevreuils n'aiment pas Bones, c'est ça? Ils préfèrent sortir boire un verre?
- Les chevreuils, j'en sais rien. Mais le garde-chasse ne raterait un épisode pour rien au monde.
On avait écouté de la musique aussi : quatre minutes trente-trois secondes de silence de John Cage, que la baronne savourait en pleurant. L’œuvre avait été composée pour le piano mais pouvait aussi bien être exécutée par n'importe quel instrumentiste, nous précisait la baronne. Pardi ! Même par un manchot sourd et aveugle... Par un ouistiti mongolien... Magie de l'art ! Cet imbécile d'Ollier avait demandé à monter le son ! Oh là là, qu'est-ce qu'on avait ri une fois de plus !
Son grand truc, c’était la lutte antifasciste. « On a beau être entrepreneur, on n’en a pas moins une conscience citoyenne. » C’était sa phrase. Un coup pour la Licra, un coup pour le Medef, un pro ! Il était prêt à rire de tout, mais pas du fascisme. Prêt à tout laisser passer, mais pas le fascisme. Attention danger, alerte rouge, vigilance de tous les instants, bête immonde est passée par ici, elle repassera par là. Il était pour la liberté, bien sûr, des capitaux, des immigrés, de la drogue, des gangsters et du blasphème… mais celle de donner son opinion sur Internet… bof, bof ! Le petit rigolo derrière son clavier bavant la haine et la rancœur, moyen, moyen ! Il blaguait même sur son métier de fournisseur d’accès : je vends du raccordement à l’égout ! Avoir une opinion en dehors des journaux autorisés, c’était pour lui le début du totalitarisme. S’il y a bien une chose qui le rendait fumasse, c’est cette nouvelle mode populace de rechigner à l’immigration. Les petits tâcherons qui parlent de seuil, qui déménagent, qui contournent, qui trichent… Alors là, il perdait son calme ! Un tel égoïsme… mesquinerie, repli riquiqui… petit crevard recroquevillé, moisi, pourri, terrorisé, plissé comme un anus serré. Et la grandeur, bordel ! France, terre d'immigration depuis Clovis ! Un destin, oui monsieur, et une chance, pardon ! THE chance, tête de nœud ! Croissance, ouverture d’esprit, retraites, sonates, Versailles, Chambord, Petit Poucet, la Banque de France : on leur doit tout ! Et depuis toujours, partout, tout le temps, on ne le répétera jamais assez ! Vercingétorix métèque ! Charlemagne rastaquouère ! Et encore, Clovis, ce chelou… depuis la caverne, nom de Dieu ! Ôtez la merde de vos yeux et vous verrez Bamboula danser dans les tableaux de Bruegel ! France, carrefour éternel : Gaulois, Arabes, Picards, Wolofs, Francs, Bambaras, Gitans, Wisigoths, Pygmées, tout pareil ! Chacun chez lui ! Wolofs un peu plus que les autres ! En dehors de l’immigration, l’histoire de France ? Une crotte de nez ! Sans immigration, petit Fwançais toujou’s fai’e feu avec silex ! Immigration consubstantielle à la France ou la 17ᵉ chambre ! Cette prétention d’enracinement, histoire, tradition, peuple millénaire, gnagnagna, et les champs de bataille, de blé, les cathédrales, les rois, ça le débectait, ô combien. Ce petit esprit colonial tordu, suffisance blanche… ce que voulaient les ploucs : vivre entre eux, selon leurs petites mœurs, leurs petites habitudes, leur petit pastaga, leur petit bidon plein de merde ! Il devenait sauvage, Chanclair ! Il les haïssait, pire que tout ! Que des gueules de croisés, nazis, inquisiteurs, bonnets-pointus façon klan-klan, amateurs de pinard, saucisson et gégène ! Heureusement, on allait te transformer tout ça en beige foncé une bonne fois pour toutes !