Pourquoi lire Egdar Allan Poe aujourd’hui ?
Edgar Allan Poe, poète, romancier, nouvelliste, critique et dramaturge américain, a largement influencé l’ensemble du monde de l’art, de sa plume élégante et singulière. Figure centrale du romantisme américain et grand maître de l’éclectisme, il a donné ses lettres de noblesse au genre policier tout en préfigurant celui de la science fiction et du fantastique.
Edgar Poe naît à Boston en 1809. Orphelin dès sa petite enfance, il est recueilli par les Allan de Richmond en Virginie, un riche couple de négociants de denrées coloniales. Malheureusement les ennuis ne quittent jamais bien longtemps le jeune Edgar devenu Allan Poe : alors que sa mère adoptive tombe gravement malade, la bourse du tabac s’effondre et signe le début de graves ennuis financiers pour son nouveau foyer. Excellent élève, l’écolier manifeste malgré tout un certain penchant pour la solitude et la rêverie et trouve pendant quelques mois refuge chez la mère d’un camarade, Jane Stith Stanard, l’inspiratrice de son futur poème
A Hélène. Rétabli financièrement parlant, le père adoptif d’Edgar l’envoie l’année suivante en école privée à Richmond, où il reçoit l’éducation traditionnelle des gentlemen virginiens. C’est là qu’il découvre
Ovide,
Virgile,
Homère et
Horace. Baigné dans les lettres, il écrit ses premiers vers satiriques.
En 1826, Edgar Poe intègre l’université de Charlottesville afin d’y étudier les langues anciennes et modernes. Amateur de jeux, il s’endette auprès de son beau-père qui refuse de renouveler son inscription l’année suivante. Excédé, l’étudiant décide de quitter sa famille et s’enfuie à Boston pour tenter de vivre de sa poésie. Quelques mois plus tard, sous le nom d’Edgar A. Perry, pseudonyme qu’il reprendra pour signer certains de ses contes, il s’engage comme artilleur dans l’armée fédérale. Sa batterie transférée sur l’île de Sullivan, le décor de la très populaire nouvelle
Le Scarabée d`or. Edgar s’ennuie et quitte finalement l’armée. De retour à Baltimore, il tente vainement de se faire publier. La poésie ne lui permettant pas de vivre, il se tourne vers la prose et devient dès 1835 rédacteur assistant au
Southern Library Messenger de Richmond. Ce premier emploi est pour lui l’occasion de développer son propre style de critique littéraire et son talent de polémiste se révèle au public. Nombre d’histoires d’Edgar Poe, au travers de ces parodies, cherchent à démontrer l’inconsistance des gloires de son temps et c’est ainsi que l’accident de Charles VI lors du bal des ardents, comédie organisée en l’honneur du roi, transformée en brasier meurtrier suite à la maladresse d’un invité, lui a inspiré le récit
Hop Frog. Autrement, lorsque l’actualité ne lui fournit pas de sujet, il puise dans ses nombreuses lectures pour en faire des récits de fiction. La même année, le jeune Edgar épouse sa cousine germaine, Virginia, alors âgée de treize ans.
Après avoir essuyé un premier échec avec la publication de son roman
Les Aventures d`Arthur Gordon Pym, bilingue français-anglais..., il réalise son premier recueil d’histoires, les
Contes du Grotesque et de l’Arabesque en 1839. La même année il devient rédacteur au
Burton's Gentleman's Magazine à Philadelphie. Apprécié par le directeur du journal, la collaboration entre les deux hommes est bénéfique à Poe qui parvient à y faire publier
La chute de la maison Usher et autres nouvelles. L’écrivain est un homme ambitieux ; il l’avouait lui même : “J'aime la gloire, j'en raffole ; je l'idolâtre ; je boirais jusqu'à la lie cette glorieuse ivresse. ”Après une tentative avortée de création d’un journal et quelques autres collaborations journalistiques infructueuses, il finit en 1841 par être engagé comme rédacteur auprès de son ami George Graham. Pour la première fois, il jouit d’une réelle indépendance artistique et d’une relative autonomie financière. Son bonheur n’est encore une fois que de courte durée, son épouse frôle la mort suite à une hémorragie et décède deux ans plus tard après une longue agonie.
1845 est l’année de la publication de son plus célèbre poème,
Le Corbeau, qui connaît un succès immédiat. Dans une atmosphère irréelle, Poe y met en scène un narrateur hanté par ses démons intérieurs et dévoile ainsi sa fascination pour l’esprit et l’effet déstabilisateur de la connaissance scientifique. Objets de controverses, la musicalité et la métrique aux échos parfois expérimentaux de ce poème ont choqué de nombreux critiques alors que d’autres ont préféré y voir un monologue dramatique d’une étonnante intensité. Une sélection de ses contes paraît alors chez de prestigieux éditeurs la même année. Installé dans le Bronx à cause des soins que nécessite Virginia, Poe commence à fréquenter les jésuites de l’Université de Fordham. C’est d’ailleurs de la tour du clocher de l’université qu’il s’inspire pour écrire le poème
Bells. Edgar Poe fournit à cette époque d’importants écrits théoriques. Ses réflexions littéraires s’intéressent à la cosmogonie, c’est à dire à la formation de l’univers par des récits et des légendes divines. Il considère en effet que l’unité doit systématiquement l’emporter sur toute autre considération. Il explique par exemple dans
Genèse d’un poème que le but de l’art est de provoquer un effet chez le lecteur.
Encore une fois, alors qu’il commence à trouver une relative tranquillité à son existence, le malheur le frappe de plein fouet. Il tombe en effet gravement malade et, n’étant plus en mesure d’écrire, sombre rapidement dans la plus totale misère. Il s’engage alors dans une quête frénétique d’amitiés féminines et rencontre Mrs Nancy Locke-Richmon qui sera l’Annie des derniers poèmes et s’entiche d’une poétesse spiritualiste qu’il demande en mariage la même année. Depuis la maladie de feu son épouse, l’écrivain s’adonne de plus en plus aux joies de l’alcool et sombre peu à peu dans la tourmente. A nouveau pris par son projet de création de revue littéraire, il entame un voyage afin de rassembler des fonds. Parti de New-York en 1849, il séjourne à Richmond auprès d’une veuve qu’il songe aussitôt à épouser. Il donne à plusieurs reprises sa conférence sur
Le Principe poétique qui rencontre un très vif succès. Le 27 septembre, alors qu’il quitte Richmond pour se rendre à Baltimore en bateau, Poe disparaît pour ne réapparaître que quatre jours plus tard dans une taverne. Aux questions qu’on lui pose, il répond par des phrases incohérentes et alterne entre les phases de conscience et d’inconscience. Il meurt officiellement d’une “congestion cérébrale” le 7 octobre sans que l’on sache véritablement pourquoi. L’une des théories les plus largement admises est qu’il aurait été victime de la corruption qui sévissait en période d’élection. L’accident de Poe survient alors que sa ville est en train de choisir son shérif et des agents des camps adversaires parcourent les rues dans le but de faire prendre de force des narcotiques aux passants et de les traîner, abasourdis, aux bureaux de votes en gardant mainmise sur leur choix. Le faible coeur de l’écrivain fatigué n’aurait pas supporté.
Éternel acharné de l’improvisation et de la négligence formelle, pilier des genres policier et fantastique, la légende d’Edgar Allan Poe fascine depuis plusieurs générations. Auteur américain soutenu après sa mort par les plus grandes plumes françaises, il a su s’illustrer dans tous les genres, du conte au traité philosophique. Personnalité hors normes habitée par les rêveries les plus étranges, il emporte avec lui la réponse à une question qui hantera encore longtemps les esprits du monde : folie ou génie de la maîtrise artistique ?
Le saviez-vous ?
L'œuvre de Poe fut l'une des sources d'influence majeures du mouvement gothique contemporain
• Étudiant, Edgar Poe s’avère excellent nageur et passionné de saut en longueur
•
Oscar Wilde a puisé dans l'œuvre de Poe pour écrire son célèbre roman
Le Portrait de Dorian Gray
• Le groupe de heavy metal britannique Iron Maiden a écrit une chanson intitulée
Murders in the Rue Morgue inspirée de l'œuvre
Double assassinat dans la rue Morgue de Poe
• Chaque 19 janvier de 1949 à 2009, une mystérieuse personne a déposé sur sa tombe trois roses et une bouteille de cognac
• Claude Debussy a souvent mis en avant l'effet intense de Poe sur sa musique et a écrit un opéra adapté de
La Chute de la maison Usher
•
Le Corbeau a été adapté six fois au cinéma
• Dans
Les Frères Karamazov, on trouve une allusion au
Corbeau et, selon Roman Jacobson, Dostoïevski doit à Poe pour une bonne part la scène du cauchemar d'Ivan Karamazov
Chronologie
19 janvier 1809 : Naissance d’Edgar Allan Poe à Boston
1827 : Publication anonyme d’un recueil de poèmes intitulés
Tamerlan et autres poèmes et du
Jour le plus heureux1835 : Poe épouse sa cousine Virginia, pas encore âgée de quatorze ans
1838 : Il devient rédacteur-assistant au
Southern Literary Messenger de Richmond
1839 : Poe réalise son premier recueil d’histoires, les
Contes du Grotesque et de l’Arabesque et publie
La chute de la maison Usher1843 : Publication du
Scarabée d’or1844 : Publication de son essais
Le Canard au ballon1845 : Publication du poème
Le Corbeau, qui signe le début de son succès
1848 : Publication du poème
A Hélène7 octobre 1849 : Décès d’Edgar Poe à Baltimore
1849 : Publication à titre posthume du poème
Les cloches1856 : Baudelaire commence à traduire les écrits de Poe
Influences et héritiers
Roman policier, science-fiction, on attribue à Edgar Poe la paternité de nombreux genres littéraires. Directement inspiré par le roman gothique anglais, ses nouvelles baignent pour la plupart dans un univers très sombre, soutenu par une plume d’une rigueur quasi mathématique. Ce romantisme anglais, Poe l’a d’ailleurs peu à peu transformé à sa façon en un romantisme noir, par lequel il cherchait à explorer les tréfonds de l’âme humaine.
John Milton,
John Keats ou
Samuel Taylor Coleridge tiennent grande part dans le bagage littéraire de Poe pour qui la mort n’est jamais bien loin, accompagnée de son cortège de terreurs et d’angoisses. Mais au delà de la figure de l’archange maudit, Poe est avant tout l’un des premiers écrivains authentiquement américains et plus précisément, un écrivain sudiste. Son oeuvre regorge de thèmes caractéristiques de la région : maladive obsession pour les crimes de famille, hantise de l’alcoolisme, peur de mourir de sa découverte, puritain divorce entre bien et mal… Jusqu’à
William Faulkner, les écrivains de la région exprimeront à travers leur littérature ce souci de l’agonie, que Poe aura brillé à installer.
Souvent considéré comme l’inventeur du genre policier grâce à son incontournable
Double assassinat dans la rue Morgue, il offre aux amateurs du genre des horizons jusqu’alors insoupçonnés. Bien qu'Auguste Dupin, son personnage, ne soit pas le premier détective dans la littérature, il est devenu l'archétype pour tous les détectives ultérieurs, et
Arthur Conan Doyle y fait lui-même référence dans l'aventure de
Sherlock Holmes intitulée
Une étude en rouge. Par ailleurs conteur à l’imaginaire exubérant, il marqua également profondément le genre fantastique dont il fait un genre totalement neuf et moderne, et ouvre ainsi à plusieurs générations d’écrivains et de lecteurs d’infinies possibilités sur le territoire souterrain de l’âme humaine.
Il ne faut cependant pas déformer la réalité qui consisterait à croire que la renommée de Poe, malgré l’influence littéraire qu’on lui reconnaît aujourd’hui, s’est faite en un jour. Si son nom a pu accéder au Panthéon des classiques, c’est en grande partie du à des écrivains français parmi lesquels
Charles Baudelaire,
Stéphane Mallarmé et
Paul Valéry. Baudelaire voit en lui son double, celui avec lequel il partage sa conception de l’art ainsi qu’une fascination pour le mal. Ébloui par la plume de son confrère américain, Baudelaire se lance dès les années 1845 dans la traduction des textes de Poe, ce qui contribuera beaucoup à le faire connaître sur le vieux continent. En France on considère qu’
Emile Gaboriau ainsi que
Gaston Leroux ont été fortement influencés par Poe.
Ils ont dit d’Edgar Allan Poe
Oscar Wilde appelle Poe : “Ce merveilleux seigneur de l'expression rythmique”
Charles Baudelaire : “Vaste génie, profond comme le ciel et l'enfer”
Paul Valéry : “Edgar Allan Poe a emprunté la voie royale du grand art. Il a découvert l’étrange dans le banal, le neuf dans le vieux, le pur dans l’impur. C'est un être complet”
Alfred Hitchcock : “C'est parce que j'aimais tellement les histoires d'Edgar Allan Poe que j'en suis venu à faire des films à suspense”
Hippolyte Adolphe Taine : “J'admire beaucoup Poe: c'est le type germanique anglais à profondes intuitions, avec la plus étonnante surexcitation nerveuse. Il n'a pas beaucoup de cordes, mais les trois ou quatre qu'il a vibrent d'une façon terrible et sublime”
James Russell Lowell : “Poe est le critique le plus exigeant, le plus philosophique et le plus intrépide”
Henry Miller :"Je déteste jusqu'à son nom, Edgar Allan Poe. C'est le cri d'un corbeau"