AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782715233652
176 pages
Le Mercure de France (03/01/2013)
2.89/5   19 notes
Résumé :
La mer devenait de plus en plus bleue à la fenêtre de la Jeep. Tatsumi était sereine, en connexion avec le paysage qui filait sous ses yeux. Fito était reconnaissant de sa présence, de son mystère et de sa simplicité. Ils se rendaient compte à quel point ils étaient étrangers l'un pour l'autre. Ils ne se parlèrent pas beaucoup. Fito se concentrait sur sa conduite en même temps qu'il absorbait le paysage, la profusion de vert, le soleil dans les nuages. Et quand ils ... >Voir plus
Que lire après Aux frontières de la soifVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
2,89

sur 19 notes
5
0 avis
4
2 avis
3
8 avis
2
2 avis
1
3 avis
En janvier 2010, la terre a tremblé à Haïti, renversant des maisons, broyant des familles, ruinant des avenirs. Sur le sol meurtri de l'île, une fleur tentaculaire a poussé : Canaan est un bidonville qui abrite des centaines de milliers de réfugiés et rassemble tous les visages de la misère. Ici, tout manque, les soins, la nourriture et surtout l'eau. « Tout le monde doit vivre, les choix étaient serrés, il fallait chacun inventer son pire. C'est la vie même qui est dure. » (p. 95) C'est là que Fito, urbaniste et écrivain en panne d'inspiration, vient perdre ses vendredis, sous une tente où se présentent timidement des fillettes effrayées. Fito est effaré et écoeuré par les urgences sensorielles qui fouaillent son bas-ventre, mais il est incapable d'y résister et c'est à Canaan qu'il tente d'étancher ses sombres désirs. « Ici la compassion a un prix, c'est du business. » (p. 38) Arrive Tatsumi, journaliste japonaise avec laquelle Fito a communiqué par messagerie virtuelle. Troublé par la sylphide nippone, Fito voudrait échapper à ses démons. Tatsumi, native d'une île que les séismes n'épargnent pas, saura-t-elle le sauver de son tremblement intérieur ?

Entre les chapitres qui présentent Fito et ses errements intimes, il y a des voix d'enfants qui parlent de malheur, de solitude et de vie sordide. Elles sont autant de parenthèses graciles qui résonnent au milieu du fracas de l'après-séisme. Seules ces pages ont éveillé mon intérêt qui a rapidement été mis à mal devant les atermoiements de Fito. L'homme n'a pas su m'émouvoir et sa détresse me semble surtout être un prétexte pour se livrer au pire. Quant à Tatsumi, il me semble qu'elle a été insérée de force dans cette histoire tant j'ai eu des difficultés à comprendre son personnage et ses interactions avec les autres protagonistes. Aux frontières de la soif me laisse la bouche sèche, avide d'un texte plus frais et d'un style moins terne.
Commenter  J’apprécie          160
"Il ne savait pas de quel nom appeler ce qu'il cherchait à Canaan. [...] Je ne sais pas, et j'en meurs".

Fito Belmar est architecte et écrivain, vivant en Haïti. Nous sommes en 2011, après le séisme dévastateur. La majorité de la population vit dans des camps, comme celui de Canaan (100 000 âmes en 2011). La majorité de la population vit dans la misère et qui dit misère dit violences, corruption, prostitution … Un chaos dont certains profitent. Et Fito en fait partie : régulièrement, il se rend à Canaan pour s'adonner à un penchant pédophile dont il ne parvient pas à comprendre la raison, et qu'il ne se pardonne pas, mais sans pouvoir s'arrêter.

"Un homme qui a quelques moyens est recherché en Haïti, c'est un oiseau rare, un gros lot en pantalon. le plaisir est sans limites, bon marché et à portée de main. Et comme l'argent avec lequel il achète ce plaisir facile fait vivre des familles, cet homme devient philanthrope et pilier de l'économie nationale, et tant mieux pour sa conscience."

C'est alors que survient Tatsumi, jeune journaliste japonaise qu'il va devoir guider le temps de quelques jours. Et l'arrivée de la jeune femme va tout changer …

Aux frontières de la soif fait partie de ces romans difficiles à chroniquer … D'abord parce qu'il aborde un sujet épineux, moralement condamnable, et dont les descriptions sont insoutenables. Ensuite parce que le personnage principal est méprisable, minable et qu'on ne peut lui donner aucune excuse. Enfin parce qu'il dresse un portrait malheureusement réaliste du désastre que fut le séisme pour un pays comme Haïti, qui avait déjà du mal à maintenir la tête hors de l'eau.

Sans pitié, Kettly Mars, une des voix majeures de la littérature haïtienne, nous place face à des réalités que l'on préfère occulter dans notre vie quotidienne, pour que cette vie reste vivable. Pour le supporter, Fito décide d'écrire sur Canaan, sur cet Enfer dantesque, comme si le formuler permettrait de mieux le comprendre.

"Et s'il écrivait Canaan ? Et s'il vomissait sur des pages blanches toutes ces douleurs, toutes ces émotions qui lui lacéraient la peau, cette immense misère humaine ? Ne serait-ce pas mieux que d'aller chez le psychologue ? "

Car malgré sa dépravation, il croit en la possibilité de sauver ces enfants, de les épargner de l'appétit de vieux comme lui, pour leur redonner une humanité. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que ces filles ont décidé de se sauver elles-même, et de fuir, au péril de leur vie. Car elles n'ont plus rien à attendre des adultes …

Roman insoutenable, Aux frontières de la soif est pourtant un livre indispensable car il faut bien que quelqu'un, comme Fito le pense lui-même, le dise, le crie à la face du monde. Comme Kettly Mars le dit elle-même, « On ne peut pas écrire pour écrire surtout lorsqu'on vit dans un pays qui s'appelle Haïti ». Résolument réaliste, elle utilise donc l'écriture comme catharsis, comme antidote à la déchéance et à la dérive.

Et fait naître une littérature indispensable, même si on n'y adhère pas forcément …
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
Commenter  J’apprécie          110
Haïti, un an après le séisme. Un camp de réfugié, Canaan, dont le nom a des consonances bibliques. Rien n'est réglé, le provisoire dure, le choléra n'est pas seulement un mot, il est une réalité. Entre les ONG et une star de cinéma – à croire que les catastrophes les attirent – il est difficile de dire qui s'investit le plus sans rien arranger du tout.
Pourtant, ce n'est pas tant le traumatisme des survivants, les difficultés de la vie quotidienne dont parle ce roman. Il est plus pragmatique, plus sordide : comment assurer la nourriture pour toute la famille en prostituant une ou deux filles. Elles ont dix, onze, douze ans maximum, après, elles sont trop vieilles. Elles s'appellent Fabiola, Nadège, Louloune. Parfois, elles ont la parole, en de courts chapitres. Plus que la peur, la douleur de leurs corps malmenés, ce sont leurs espérances détruites, leurs émotions saccagés qui sont poignantes.
Et si elles étaient au centre du livre, il serait passionnant. Seulement, elles n'en sont que les personnages secondaires, pour ne pas dire les figurantes. le vrai héros est Fito, écrivain à succès d'un unique roman. Depuis cinq ans, il est impuissant à produire le moindre texte. Il est impuissant à mener une vie amoureuse et sexuelle normale. En revanche, il assouvit ses pulsions dans le camp de Canaan, sans remords ni regrets.
Il m'est impossible de ressentir la moindre empathie pour lui - et c'est sans doute mieux ainsi. Il abuse d'enfants malmenées par la vie, et s'absout avec une facilité déconcertante. Décrire une réalité sordide est une chose, montrer le plaisir pas du tout coupable du "papy" avec un soupçon de complaisance en être une autre. Les lieux communs du maquereau local ("ils s'en sortiraient comme lui s'en était sorti, p. 95).
J'en aurai presque oublié la gentille Tatsumi, dont le prénom est à peu de chose près l'anagramme de Tsunami. Pourtant, sa venue n'est pas une catastrophe, non. La journaliste japonaise est venue pour enquêter, elle ne connait la réalité d'Haïti et de Canaan que par des rumeurs. Elle va, elle vient, sans rien approfondir, pas même les curieuses relations qu'elle noue avec Fito. J'hésite, pour la définir, entre androgyne et asexuée - exactement comme ses gamines avec lesquelles Fito assouvit ses pulsions. Ne dit-il pas qu'elle a "corps de petite fille", p. 161 ? Je n'ai pu m'empêcher d'y voir encore la preuve des obsessions malsaines de l'écrivain.
Bref, rien de réjouissant dans ce roman, et le malaise qu'il laisse ne se dissipe pas une fois le livre refermé. Si tel était le but de Kittly Mars, elle est parvenue à ses fins.
J'ai lu ce livre dans le cadre du prix Océans France O .
Commenter  J’apprécie          60
Réalités des camps de réfugiés haïtiens, plongée dérangeante par le biais d'un écrivain en crise...

Publié en 2012, le sixième roman de l'Haïtienne Kettly Mars est moins matois que le terrible "Saisons sauvages", mais sans doute encore plus abouti et probablement plus dérangeant.

Fito, écrivain haïtien approchant la cinquantaine, tout auréolé du retentissant succès international de son précédent roman, il y a déjà six ans, "cale" désespérément sur l'écriture du suivant. Au milieu d'une Haïti ravagée par les récents séismes et leurs dégâts collatéraux, il a accepté, pour vivre, une mission d'évaluation grassement rémunérée par des ONGs portant sur les gigantesques camps de réfugiés qui fleurissent gaillardement dans les environs de Port-au-Prince... Divorcé, ne se résolvant pas à épouser sa maîtresse "officielle", en proie à la dépression et à une crise existentielle de plus en plus profonde, il réalise, à sa grande horreur mais en se trouvant des excuses, au contact des innombrables trafics des camps qu'il fréquente, que seules les fillettes pré-pubères parviennent désormais à l'exciter...

Sur ces prémisses bien scabreuses, Kettly Mars nous donne à voir l'Haïti contemporaine, avec le froid et cru réalisme qu'on lui connaît, comme dans le récent recueil "Haïti Noir" paru chez Asphalte auquel elle participait - mais nous propose aussi une singulière quête de reprise en main du soi et de la rédemption, à l'issue bien incertaine...

"Fito prit un chemin pierreux sur la droite. Il fallait d'abord longer Corail, le camp de sinistrés aux rangées ordonnées de tentes plantées par les soldats étrangers. Canaan, plus haut, couvrait dans la plus parfaite anarchie une coulée de mornes nus dominant la route du Nord et rejoignant sur l'autre versant, en direction de la nationale n°3, les contreforts du Morne-à-Cabris. Une terre de tuf, ingrate et chaude. Quelques rares touffes de neems et des cactus auxquels les déplacés avaient arraché des carrés d'emplacement. Canaan, un mélange de femmes, d'enfants, d'hommes, de rires et de pleurs, de faims et de soifs. Une agglomération chaotique de carrés en contreplaqué et de maisons-bâches à dominante bleue, étampés de sigles internationaux, qui avait grandi comme un immense champignon, rampant vite d'un morne à l'autre, les recouvrant d'une maille de vies déplacées. Au-delà du chaos apparent, une organisation subtile régissait l'endroit. Il y avait déjà Canaan 1 et Canaan 2 et, au rythme de l'avancée humaine, d'autres Canaan continueraient de s'étendre dans les creux assoiffés de la terre. Quelques maisons en dur poussaient çà et là, fixant le lieu dans sa topographie de bidonville officiel en devenir. Et la poussière partout, dans les cheveux, kes yeux, les mains, la raie des fesses, les jambes, incrustée au plus intime des vies. Un endroit sec et seul."
Commenter  J’apprécie          20
Haïti, un an après le terrible séisme. Fito Belmar, architecte et écrivain, se débat pour sortir du marasme qu'est sa vie. Cela fait cinq ans qu'il n'a pas écrit une ligne car le succès inattendu de son premier roman a « dévoré son âme » (p. 32). Il tente de noyer son mal-être dans l'alcool et le travail mais il est frustré et désabusé face aux lourdeurs du système et à la lenteur de la reconstruction. Son île est plus que jamais en plein chaos. A l'image de Canaan, un camp de sinistrés à quelques encablures de Port-au-Prince devenu un immense bidonville dans lequel cohabitent des milliers de personnes dans des conditions extrêmement précaires. Il y règne la violence, la misère, la drogue et la prostitution des petites orphelines. C'est là que Fito se rend en secret les vendredi soir en se promettant chaque fois de ne jamais y retourner. Jusqu'à la visite inattendue de Tatsumi, une journaliste japonaise passionnée de littérature caribéenne et admiratrice de l'écrivain, qui vient interrompre son existence solitaire et perturbée.
Avec ce livre, Kettly Mars nous plonge dans un enfer où les petites filles sont prostituées pour assurer la subsistance de leurs familles, où le choléra tue chaque jour, où les institutions sont corrompues et où l'aide internationale semble impuissante à faire avancer les choses. Elle ne nous épargne rien des maux qui affectent l'île mais elle le fait avec subtilité. Elle lève aussi le voile sur le sujet difficile de la pédophilie à travers son personnage principal. On pense un instant que l'auteure va instaurer un dialogue au gré des chapitres entre les fillettes abusées et Fito mais elle choisit de se concentrer sur son narrateur. On pourra regretter ce choix mais Kettly Mars réussit ainsi à restituer toute la complexité psychologique du personnage de Fito en finalement peu de pages. Et si son roman est d'une grande noirceur, l'espoir et la poésie n'en sont pas absents à l'exemple de ce week-end à la mer, parenthèse lumineuse dans la vie du narrateur.
Un livre impressionnant par sa maîtrise et poignant par son réalisme.

Merci à Masse Critique et à Mercure de France!
Commenter  J’apprécie          10


critiques presse (2)
Bibliobs
14 janvier 2013
L’auteur de «Saisons sauvages» a l’art de raconter sans répondre à toutes les questions qu’elle soulève. Elle ne juge personne dans «Aux frontières de la soif». Si elle trempe sa plume naturaliste dans les plaies de ses compatriotes, c’est pour les contraindre, et nous avec, à les regarder en face.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Telerama
09 janvier 2013
La romancière [...] déploie sa colère, mais la poésie de son écriture est aussi un hymne à son pays perdu, à la fierté de ses habitants. Une manière sensible, modeste et splendide de « raconter l'innocence volée et l'espoir qui ne veut pas mourir ».
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Et s'il écrivait Canaan ? Et s'il vomissait sur des pages blanches toutes ces douleurs, toutes ces émotions qui lui lacéraient la peau, cette immense misère humaine ? Ne serait-ce pas mieux que d'aller chez le psychologue ?
Commenter  J’apprécie          60
Dis Canaan, fais vivre ces hommes, ces femmes et ces enfants. Raconte ces petites filles que l'on vend, la prostitution des enfants. Raconte l'innocence violée et l'espoir qui ne veut pas mourir. Sors-les de l'anonymat de leur misère et fais-les entrer dans l'humanité, dans la communauté des hommes...
Commenter  J’apprécie          40
« Tout le monde doit vivre, les choix étaient serrés, il fallait chacun inventer son pire. C’est la vie même qui est dure. » (p. 95)
Commenter  J’apprécie          80
Oui, je connais Canaan. J'y suis allé plusieurs fois même. C'est un autre monde, là-bas, Tatsumi, un pays perdu aux frontières de la soif. On y trouve des estropiés, des vieillards à la limite de la déshydratation, des adolescents qui tuent pour du crack, des gens qui prient à longueur de journée, des escrocs qui revendent la terre spoliée. On vend des enfants à Canaan… le corps des petites filles… pour une bouchée de pain. Est-ce qu'on te l'a dit, ça ? Tu as bien traversé l'océan pour le voir, non ? Ton papier, il va faire sensation, n'est-ce pas ?
Commenter  J’apprécie          10
Un homme qui a quelques moyens est recherché en Haïti, c'est un oiseau rare, un gros lot en pantalon. Le plaisir est sans limites, bon marché et à portée de main. Et comme l'argent avec lequel il achète ce plaisir facile fait vivre des familles, cet homme devient philanthrope et pilier de l'économie nationale, et tant mieux pour sa conscience.
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Kettly Mars (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Kettly Mars
Kettly Mars - L’ange Du patriarche
autres livres classés : haïtiVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (44) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3671 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..