# Rentrée littéraire, éditions Métailié: réédition et nouvelle traduction d'un roman écrit à l'été 1943 depuis Los Angeles et en anglais par Vicki Baum, de langue maternelle allemande, comme une anticipation presque exacte des événements qui arriveront moins de deux ans plus tard frappant Berlin et le peuple allemand de plein fouet, prémisses de l'effondrement du Troisième Reich et de la défaite d'Hitler.
Ecrit comme une pièce de théâtre centrée autour de quelques personnages,
Hôtel Berlin 43, relate sur moins de 48 heures l'histoire huis-clos de la vie d'un palace où logent tous ceux qui comptent dans la capitale allemande: militaires haut gradés, SS, diplomates, aristocrates, vedettes, ... alors que dehors la population effrayée ploie sous les raids aériens et crève de faim. Au service de ces 'puissants': grooms, médecin, invalides de la première guerre ou de Stalingrad.
C'est un récit d'anticipation outre-Atlantique, presque visionnaire, de ce qui va réellement se passer en Allemagne durant les années 1944-45 : le coup d'état raté des généraux contre Hitler, les bombardements intensifs sur la population et au final, enfin, la fin de la guerre après la déroute du Troisième Reich.
- Comment a-t-elle fait pour 'voir et écrire' si juste ?
Chronique d'un déclin annoncé, Clap #
Hôtel Berlin 43, Vicki Baum @ éditions Métailié, 09/09/2021 via # NetGalley
C'est dans une des chambres d'un palace berlinois que trouve refuge Martin Richter, un opposant au régime, activement recherché par la Gestapo. Il y tombe nez à nez avec Lisa Dorn, jeune comédienne adulée par Hitler et par tout le peuple allemand. Que va-t-elle faire ? le dénoncer, l'aider ? Ouvrir les yeux sur la réalité de la guerre, du national-socialisme qui a bercé toute sa jeunesse, de ceux qui lui ont permis d'accéder rapidement à son statut envié de star ?
" Les convulsions qui arrachaient les racines du monde n'avaient touché que superficiellement son esprit. Elle adorait son pays et n'en avait jamais remis la suprématie en cause. Elle était convaincue que tout ce qui était noble et beau en ce bas monde était allemand. La musique et la poésie allemandes, la science allemande, la philosophie allemande, la scène allemande, les films allemands, les routes allemandes, le paysage allemand auquel elle se sentait liée d'un attachement intime et profond. "
" Vous êtes actrice, dit Martin en lui prenant la main, la tenant dans la sienne. Vous vous souvenez de ce que demandent les gens, dans l'
Egmont, de
Goethe ? La paix, la sécurité, l'ordre et la liberté. Mais vous ne savez pas ce qu'est la liberté. Vous ne la reconnaîtriez pas si vous la croisiez dans la rue, et si elle se cachait dans votre chambre, vous ne sauriez pas quoi en faire. "
Les portes claquent sur les différents acteurs de cette "tragi-comédie" en y donnant du rythme, du réalisme et en revisitant par cette histoire
L Histoire que nous croyions si bien connaître.
" Oui ? dit le docteur.
– Je me disais que vous pourriez me donner quelque chose. Je ne veux pas aller à l'armée. Je suis fatigué. Quelquefois je suis tellement fatigué que j'ai envie de pleurer…
Il avait l'air désespéré. Tous des névrosés, dans ce maudit Herrenvolk, ce peuple de seigneurs, songeait le docteur.
– Non, dit-il. Non, cher monsieur. Pas de digitaline pour vous, pas de caféine qui pourrait vous déclencher de fortes douleurs cardiaques. C'est votre guerre et vous la ferez. N'avez-vous pas crié “Heil Hitler” pendant dix ans et plus ? Vous étiez plein de Kraft durch Freude, de Force par la Joie, à en éclater. Vous vous souvenez de la charmante excursion dans les montagnes bavaroises que vous m'avez racontée ? C'est le moment de payer l'addition.
– Oui… mais c'était différent…
– Certes, c'était différent. C'est toujours différent quand c'est sur vous qu'on s'apprête à tirer. " [ le médecin de l'hôtel, vétéran de 14-18 ]
Avec son écriture visuelle, ses dialogues enlevés, parfois très humoristiques (loin d'être la caractéristique de ce qui pourrait symboliser cette Allemagne des années 40), Vicki Baum, dans cette nouvelle traduction, arrive à nous faire revivre les derniers instants du régime nazi, ses soubresauts, ses inquiétudes, ses volte-face, ses petites et grandes trahisons, le sauve-qui peut des ex-grands du Troisième Reich et le désarroi de la population allemande, envers laquelle elle n'est pas très tendre
" le peuple de Berlin, blotti dans ses abris précaires, se sentait tout petit et terriblement effrayé. Ils avaient plutôt bien supporté les raids aériens, jusqu'à maintenant. Mais celui-ci était différent, terrible, d'un dessein sans merci. Les petites gens ne se rendaient pas compte de leur responsabilité ; ils n'avaient pas conscience d'avoir eux-mêmes lâché les bêtes féroces de la guerre, d'avoir allumé les feux qui les consumaient à présent. Ignorants et mesquins, ils se préoccupaient de leurs petites vies, avaient peur de ce qu'ils deviendraient, dans les dommages de la catastrophe générale. Leurs fils, frères et maris étaient au front, ou prisonniers, ou blessés, ou morts. Leurs enfants grandissaient, devenant d'étranges créatures, manquant de sensibilité humaine, comme si des nerfs vitaux leur avaient été arrachés. Leur santé était mauvaise, leur sort, dur, leurs joies étaient rares. "
" je souhaiterais que les Allemands, tout comme leurs adversaires d'hier, établissent une différence claire entre responsabilité et faute. La faute de la guerre incombait, incombe aux dirigeants allemands qui ont précipité sans raison le monde entier dans ce malheur effrayant. Mais la responsabilité de l'issue dévastatrice de cette guerre incombe au peuple allemand qui n'eut ni le courage ni le désir de renverser ses dirigeants quand il en était encore temps. [ préface de cette présente édition, écrite en 1946 pour l'édition allemande de 1947 ]
Un vrai plaisir de lecture que ce voyage hors du temps à l'
Hôtel Berlin 43
Choisi pour la superbe Greta Garbo en couverture, impossible de résister
Vicky Baum, Hedwig Baum (1888), d'origine juive, née en Autriche, fait des études musicales et se marie en Allemagne en 1912 avec le chef d'orchestre, Richard Lert, y écrit plusieurs romans avant de s'exiler définitivement aux Etats Unis, en Californie (Hollywood) et d'y obtenir la naturalisation en 1938.
Ce roman écrit en anglais, est paru en 1944 aux USA dans sa version originale, y a été porté à l'écran presque dès sa sortie pour donner un coup de fouet aux GI. Il avait été traduit et édité in extenso une première fois en allemand en 1947, avec une postface de l'auteure dans sa langue maternelle expliquant son point de vue sur le peuple allemand, les questions de faute et de responsabilité dans la survenue de cette seconde guerre.
Une nouvelle édition en langue allemande sortie en format poche dans les années 1970 sous le titre Hôtel Berlin, pose question tant elle semble réinterprétée et expurgée de paragraphes entiers (Vicky Baum étant décédée en 1960, cela ne peut être à son initiative)
Avec cette réédition et cette nouvelle traduction par
Cécile Wajsbrot, les éditions Métailié rétablissent une version fidèle à l'originale et à l'Auteure, en y gardant la préface de la première édition allemande de 1947.
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Hans Fallada
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