J'ai lu des milliers de livres, mais il y a une dizaine d'années, en 2009, c'était bien la toute première fois que je tenais en main un ouvrage écrit par quelqu'un qui nous vient de l'Albanie. L'auteure de ce recueil de 13 nouvelles est, en effet, née à Tirana, la capitale, en 1968, mais réside à Paris depuis ses études à l'université Paris VIII (Saint-Denis), en 1995.
Ornela Vorpsi est diplômée de l'académie des beaux-arts de Tirana (1987-1991) et de l'académie des beaux-arts de Brera (Milan, 1992-1995). Elle écrit en Albanais, Italien et Français. L'écrivain Aleksander Hermon de Sarajevo et la talentueuse
Zadie Smith de Londres la comptent parmi les 35 meilleurs auteurs de fiction d'Europe.
Pourtant Ornela a commencé sa carrière avec une monographie photo "Nothing Obvious" (rien d'évident) en 2001. le nombre d'endroits où cette dame a entretemps organisé des expositions, laisse tout simplement rêveur : Genève, Bruxelles, Milan, Zurich, Bologne .... sans oublier bien sûr Tirana et Paris.
Ornela Vorpsi a publié 9 ouvrages à ce jour. C'est son 2e livre, de 2004, "
Le pays où l'on ne meurt jamais", que j'ai lu et qui m'a plu. Il est vrai que l'Albanie du règne dictatorial d'Enver Hoxha durant 43 ans, jusqu'à sa mort en 1985, rendait ce pays incontestablement le plus énigmatique d'Europe. À moins d'être un communiste convaincu, on n'y entrait absolument pas et encore fallait-il l'appui du Parti communiste de son propre pays pour figurer sur une longue liste d'attente, car ce stalinien et maoïste n'aimait pas trop les "fouineurs" étrangers. En plus, c'était un système de quotas nationaux extrêmement strict. Je le sais parce qu'un ami luxembourgeois, pour me faire plaisir, s'était débrouillé pour m'avoir sur la liste des amitiés albano-luxembourgeoises. Comme le tiran ne laissait entrer que 2 ou 3 dangereux communistes luxembourgeois par an, il fallait énormément de patience.
C'est dans ce contexte que j'ai trouvé "Il paese dove non si muore mai" particulièrement intéressant et révélateur. Dans le recueil des nouvelles sous rubrique, s'il y a un élément commun dans toutes ces nouvelles c'était le souhait de quitter ce paradis terrestre d'Hoxha, le plus vite possible. Un deuxième aspect que ses nouvelles abordent, c'est, pour celles et ceux qui ont réussi à s'évader du "pays des aigles" (traduction du nom de la république) "le dur métier d'immigré" ailleurs, comme à Paris par exemple.
Si l'Enver est mort depuis bientôt 35 ans, sa veuve, Nexhmije Hoxha, se porte très bien, en dépit de ses 98 ans.
Les 13 nouvelles dans ce petit fascicule de 159 pages sont brèves, en moyenne une bonne dizaine de pages et donc exclus à résumer. Ce que je peux en dire c'est que l'auteure dispose d'une grande force d'évocation. Ce que notre Ornela évoque, on le voit et on le ressent, sans que l'on ait besoin d'une solide dose d'imagination.
Une seconde grande qualité de son oeuvre réside dans la formulation très poétique de ses récits.
La première fois que j'ai lu le titre de ce recueil et un commentaire très bref, j'ai été sidéré que
Vladimir Maïakovski, connaissait le cacao van Houten. Lui, le grand poète mort en 1930 dans la lointaine Russie et le cacao et chocolat van Houten du pays d'à côté, que j'ai souvent vu dans la cuisine de ma mère et, avant, de ma grand-mère. J'ai vérifié et c'est effectivement à Amsterdam qu'un certain Coenraad van Houten a eu l'idée géniale, en 1828, d'extraire du cacao une poudre facile à délayer dans l'eau ou du lait. Une invention qui a rapporté gros, puisque la société van Houten a créé des usines en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis, à Singapour ...et en France. Ce n'est qu'un siècle et demi plus tard que le groupe suisse Suchard a racheté la marque, qui existe donc toujours. Demandez à votre boulanger ou pâtissier.
Au risque de raconter une histoire digne des magazines Paris Match ou Point de Vue, je ne peux m'empêcher de vous relater une anecdote albanaise surprenante. Ce pays exotique entre la Grèce et le Monténégro, le long de la mer adriatique, a eu de 1928 à 1939 et l'invasion mussolinienne, un roi, Zog 1er (Ahmet Zogu, 1895-1961). le seul descendant royal, son petit-fils, le prince Leka Zogu (né en 1982) a épousé, en 2006, devant à peu près la moitié de la population albanaise, la belle actrice Elia Zaharia. Ce qui prouve que l'horrible Hoxha n'a pas réussi à éliminer les aspirations romantiques de son peuple longtemps martyrisé par ses soins.
Et il y a plus, la belle nouvelle princesse, née à Tirana en 1983 a, comme
Ornela Vorpsi, fait ses études à l'université Paris VIII Saint-Denis, quelques années plus tard, de 2007-2010.