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EAN : 9781499207514
178 pages
CreateSpace Independent Publishing Platform (24/04/2014)
4.35/5   42 notes
Résumé :
« Cœurs cicatrisés » est la traduction inédite en langue française du second roman de Max Blecher (1909-1938) « Inimi cicatrizate » (1937) déjà traduit en plusieurs autres langues. Dans son inévitable « Histoire de la littérature roumaine des origines jusqu'à nos jours » (1941), George Călinescu estime que :« [ce] roman apparaît comme une imitation de « Der Zauberberg » de Thomas Mann. En lieu et place du sanatorium alpin accueillant des malades atteints de tu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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« J'aime bien quand il pleut, dit-il enfin. le temps qui nous correspond bien, à nous les malades. Pluie, ciel bas, froid ; alors tu sais que tout le monde est réduit à la même chambre aux quatre murs, à la même tristesse. » Est-il possible d'écrire sur la maladie, de l'écrire bien, de l'écrire dans ses nuances, presque de manière chirurgicale, de décrire les sentiments contradictoires dont elle est à l'origine, sans jamais l'avoir vécu ? Je ne pense pas. Et pour cause Max Blecher est mort à l'âge de 28 ans de la maladie de Pott après dix années de terribles souffrances, durant lesquelles il a fréquenté des sanatoriums tel celui de Berck-sur-mer, tout comme Emmanuel, le personnage principal de « Coeurs cicatrisés », roman roumain paru en 1937. Emmanuel souffre de la même maladie que lui. C'est un roman autobiographique. Et cela change complètement notre lecture. Elle en devient terriblement poignante.

La maladie de Pott est une infection aux vertèbres due au bacille de la tuberculose osseuse qui oblige les malades à se faire plâtrés afin d'être complètement immobilisés, comme dans un cercueil. Au sein de ce sanatorium de bord de mer, les malades circulent donc dans des carrosses attelés à des chevaux, cortèges funèbres. Les odeurs de médicaments, de désinfectants, parfois même de putréfaction s'entremêlent à celles de la plage, de l'océan. Les douleurs et les angoisses liées la maladie s'entrelacent avec l'amitié et même l'amour pour Solange qu'Emmanuel ressent. Union de la maladie, de la mort et de la vie. de l'angoisse et de l'espoir.
Même les paysages semblent contenir cette angoisse obsédante du corps et de la maladie : «Dans cette baie, l'océan se retirait, pour laisser derrière lui des milliers de petites rigoles remplies d'eau, creusées profondément dans le sable. le crépuscule les incendiait de sa rougeur et alors, sur toute l'étendue, apparaissait comme un réseau de sang et de feu. On aurait dit que cet endroit de la terre avait été écorché vif, pour livrer l'intimité de sa circulation sanguine, les artères brûlantes et terribles par lesquelles l'or et la pourpre incendiaire s'écoulaient en lui. » le regard du malade concentré uniquement sur la souffrance, sur le corps au point de ne voir qu'elle dans le paysage même…au point d'en être prisonnier. Oui, les malades sont des prisonniers, des prisonniers de leurs corps, de leur souffrance, des prisonniers du temps, mais des prisonniers paradoxaux, des prisonniers de leur état, car ils en viennent à avoir peur d'en sortir, la réinsertion dans le monde valide pouvant s'avérer effrayante après des années de maladie et d'hospitalisation. La maladie peut même constituer un refuge : « – En ce qui me concerne, la maladie ne me semble pas au fond si terrible, avoua Emmanuel à Ernest, pendant qu'ils attendaient dans la chambre qu'on leur annonce l'arrivée de la charrette. J'ai toujours ressenti en moi un fond de paresse qui se trouve à présent pleinement satisfait, poursuivit-il. »


Je suis partagée par cette lecture je dois avouer. A la fois très émue par ce qu'a vécu Max Blecher, admirative de la façon dont il réussit à décrire les sentiments ambivalents des malades, partagés entre acceptation, colère, fatalité, espoir, touchée par la poésie de ce texte et par sa traduction, remarquable, en français par Gabrielle Danoux (alias Tandarica ici sur Babelio), mais aussi refroidie…Refroidie par la manière quasi chirurgicale, réaliste, tel un documentaire donc de manière un peu distante, de nous prendre en otage de cette souffrance. J'ai eu du mal à aborder la vision des vertèbres rongées, celle des abcès, du mal à l'évocation des terribles démangeaisons de la peau sous le plâtre, du mal à sentir l'odeur tantôt écoeurante tantôt douceâtre du pus qui s'écoule, verdâtre…J'ai fini la lecture mélancolique et désireuse d'en sortir au plus vite, de quitter ces descriptions minutieuses du quotidien d'un malade, car je me sentais moi-même prisonnière, ce malgré la part belle accordée à la poésie. Une lecture qui m'a à la fois étouffée et touchée. Très curieuse ambivalence. Au final je ne sais pas si j'ai aimé ce texte, très partagée, pour ne pas dire tiraillée, entre d'un côté des descriptions magnifiques de paysages, la mise en valeur des sentiments contradictoires et nuancés éprouvés par les malades, et d'un autre côté des descriptions trop précises de la maladie. Comme si je lisais un documentaire entouré de poésie. Très curieuse sensation. Sans doute me faudra-t-il du temps pour savoir ce qui me restera le plus de cette lecture : son ambiance, mélancolique, sa poésie, par moment incroyable et surréaliste, ou l'étouffoir parfois éprouvé où même la lecture, comme pour Emmanuel ne constitue pas un échappatoire : « Il s'essaya à la lecture, mais sans succès : les livres semblaient écrits pour d'autres lumières ; aucun livre au monde ne saurait combler le vide immense d'une tiède journée d'ennui et de souffrance intimes. Tel est l'inéluctable spleen des journées de maladie. »
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Je voudrais tout d'abord adresser un grand , très grand merci à Gabrielle Denoux , la traductrice du roman " coeurs cicatrisés " qui m'a fait l'immense plaisir de m'adresser ce roman d'un auteur roumain , Max Blecher . Cet auteur , décédé en 1938, a séjourné au sanatorium de Berck peu avant sa mort et y a situé le cadre de son ouvrage.
Le personnage principal , Emmanuel , un étudiant roumain est atteint de tuberculose osseuse et son médecin l'envoie dans un établissement sanitaire dédié de la réputée station balnéaire.En pénétrant dans cet univers , Emmanuel va quitter " son " monde d'avant pour subir un double confinement . Confinement physique puisque son corps se trouve " enfermé " dans un corset de plâtre et confinement " social " dans un milieu qui lui est inconnu , étranger et dans lequel il lui faut réapprendre " l'autonomie ", rien " que ca " .Et rien n'est facile , tout prend allure de combat : douleurs , relations sociales , espoirs , tourments , hygiène, fonctions vitales, sentiments ,sexualité....Tout est détaillé avec minutie , finesse , et l'on partage vraiment le sort de notre malheureux héros. Un " nouveau monde " , un monde d'où sont exclus " les gens en bonne santé " , ceux du monde d'avant...qui eux-mêmes ont tendance , par leurs regards , à refuser de voir...
Ce livre m'a paru extrêmement contemporain parce qu'intemporel .D'un côté le monde de la vie , de la bonne santé, de l'insouciance , du rejet , de l'aveuglement , du refus , de l'ignorance ....jusqu'à ce qu'un médecin annonce que ...Et c'est la bascule , le douloureux changement de statut, le renoncement et l'adaptation forcée . l
L'acteur devient spectateur de sa propre histoire , pas facile... .
Dans ce roman , pas de fioritures , non , des passages forts , quelques situations " potaches " , quelques belles rencontres , de l'émotion....
On sent que l'auteur " connaît " et sait rendre avec justesse des situations vécues.
Le style sert avec beaucoup de bonheur un sujet délicat, le vocabulaire employé ne laisse pas place aux atermoiements , il est direct , " brutal " , efficace .C'est là qu'intervient toute la finesse et la sensibilité de la traductrice ou du traducteur , des gens , dont , il faut bien le dire , on ignore souvent le rôle fondamental . J'en profite donc , moi, simple
lecteur , pour remercier tout particulièrement les membres de cette profession grâce à qui je peux accéder à toute la littérature étrangère.
C'est un court roman qui mérite vraiment qu'on s'y intéresse, un sujet grave , écrit par un homme décédé un an plus tard , spectateur actif de cette histoire.
Une dernière remarque : mille mercis Gabrielle , vous m'avez fait un très beau cadeau et félicitations pour votre travail remarquable.
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J'aurais tellement voulu vous narrer les tribulations de ce gamin roumain , à peine sorti de l'adolescence , en route pour les chemins de France , qui rêvait de devenir un médecin reconnu et réputé dans le monde entier ; ou encore se marrer à l'écoute de ses frasques avec ses nouveaux potes , Ernest , Quitone , Tonio , Solange et bien d'autres ; et bien sûr , s'extasier devant ses galops infinis, avec son cheval bai sur les immenses plages de sable fin du Pas-de-Calais .

Mais il n'en sera rien .

Car Max Blecher nous emmène dans son monde , celui où adversité rime avec cruauté , où les épreuves physiques et morales ignorent le mot compassion .
Il incarne son propre personnage à travers Emmanuel qui , à la suite d'une radiographie apprend qu'il pourrit " du mal de Pott" , la tuberculose des os .
" Il lui manquait un morceau d'os de vertèbre ?
Mais comment avait-il pu disparaître ? Il le demanda au médecin .
_ Elle est rongée ... Rongée par les microbes , répondit le petit homme noir . "

Quel meilleur endroit que le sanatorium de Berck-sur-mer , ville à l'incroyable densité d'iode , pouvait accueillir le jeune et beau gosse pour le remettre vite sur pied .
Même Raspoutine et le Tsarivitch Alexis , hémophile , ont séjourné dans ces lieux thérapeutiques .

" Emmanuel était trop abasourdi pour songer encore à quelque chose de précis . Dans la voiture , il ne cessa de regarde par la vitre dans l'espoir d'apercevoir un de ces malades en charrette , mais sans succès .
Dans un virage , entre deux rangées de hautes maisons , surgit à l'arrière-plan la ligne azur et scintillante de l'océan , couchée dans le sable comme une claymore brûlante . "

De sa chambre simple , aussi terne que celle d'un hôtel miteux , notre pauvre héros part à la recherche de ses compagnons d'infortune , cités plus haut , qui oublient leur tragédie dans les beuveries et la bringue , corsetés aussi bien de l'esprit que du corps .
Il les côtoie assez vite pour comprendre leur atroce tourment quand vient le jour maudit où l'infirmière l'enduit de plâtre des hanches au cou .
" Dans les bassines , sur des chaises , attendaient la poussière blanche , l'au chaude et les bandelettes de tissu . ( ... ) Cette carapace le confinait hermétiquement , immobile , accable , comme écrasé par un rocher . "

L'amour et l'amitié vont l'aider à tenir le coup dont Solange et sa patience d'ange à supporter ses caprices , et Ernest , fidèle copain .
On ne peut oublier Blanchette , la jument " un animal de race normande , au poil rêche et touffu aux sabots , la crinière courte et dure comme une brosse . "
Elle remplace facilement le plus performant des mustangs lorsqu'elle tire Emmanuel et sa charrette dans les dunes en compagnie de son amoureuse du moment , Solange .

Notre patient va refuser ces obligations qui martèlent sa petite carcasse , sa vie qu'il sent finie .
Il va s'isoler de plus en plus et trouver la sérénité dans la solitude .
Trop de questions se posent à lui sur son devenir . Va-t-il , comme tant d'autres nouveaux amis , mourir si jeune lui aussi ?

Quel style riche de descriptions poétiques , réalistes , pittoresques , magiques , relevées de portraits originaux , agrémentés de personnifications d'objets .
Quel contraste avec cette malheureuse déchéance du corps et cet essor de mots riches et précis .
Une véritable complémentarité entre Max Blecher et Gabrielle Danoux qui nous apportent autant de délicatesse et d'émotion .

Je ne peux que remercier l'auteure et traductrice de ce cadeau exceptionnel dont elle m'a si gentiment honorée et qu'elle a traduit en véritable chef d'oeuvre dans la langue de Molière .

" Selon la législation française , la traduction littéraire constitue une oeuvre de l'esprit au même titre que l'écriture d'un livre nouveau . " ( lettres capitales . com )
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Berck-sur-Mer et son sanatorium de l'entre-deux-guerres.

Emmanuel, étudiant roumain, rongé par le mal de Pott, séjourne dans ce sanatorium. C'est un microcosme où les malades déambulent, allongés ou armés de béquilles pour les plus chanceux.

Momifié dans un plâtre, comme dans un cercueil, Emmanuel circule dans un carrosse attelé à un cheval. Les passants, derrière son attelage, semblent faire partie d'un cortège funèbre. Le décor livide des chambres, les odeurs de putréfaction, de produits désinfectants, le grincement de leurs gouttières roulantes, contrebalancés par les fêtes improvisées, les liens d'amitié à la mort à la vie.

La vie bouillonne malgré tout et ne demande qu'à éclater ce sarcophage de plâtre et de souffrances. L'emprisonnement de la maladie trouve un réconfort dans le paysage marin de Berck, ses longues plages et l'horizon qui se perd au loin sur un fil de ciel vivant, insouciant.
La pluie de l'automne lave les idées noires et le vent caresse l'impatience et les tourments. Quand le soleil darde ses rayons apportant une foule d'estivants, Emmanuel déserte le sanatorium pour s'isoler dans une villa au creux des dunes.

Comme un reportage sur la vie des patients atteints de tuberculose dans les sanatoriums de cette époque, ce roman nous captive. On se sent englué dans cette atmosphère de sarcophage et d'odeurs fanées. On respire le grand large avec Emmanuel pour ne pas suffoquer. On espère une guérison, une fuite hors du carcan de la maladie.

L'écriture est disséquée au scalpel, sans prendre ni gants ni masque. Seule la poésie du paysage sauve du naufrage. Aucun pathos, de la réalité romancée pour un regard sur la maladie et son difficile retour à la vie "normale". Et une traduction de Gabrielle Danoux de qualité pour nous faire découvrir cet auteur roumain emporté trop tôt par le mal de Pott.
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Coeurs cicatrisés, 1937 Max Blecher (1909-1938), traduction du roumain par Gabrielle Danoux (notre amie babéliote Tàndàricà)
"Saisissante mise en abyme : la nef des malades, arche de l'amo[u]r, qu'on pourrait tout aussi bien cartorthographier « de la mort » t'attend, toi lecteur curieux, qui ne craint pas la solitude. Que ce livre soit un viatique pour toi !", belle et sensible apostrophe rhétorique que la traductrice, Gabrielle Danoux adresse au lecteur, et qui nous invite à faire ce voyage dans l'espace de la vie et de la mort avec comme seul bagage l'amour.
Livre morsure, livre douleur et blessure, les coeurs demandent du temps pour fermer leurs plaies, pour que les cicatrices ne saignent plus et que les marques qui restent, souvenirs sans sommeil, fassent moins mal.
La cicatrisation comme reconstitution des tissus est au prix d'une insensibilité «au froid, à la chaleur et à la douleur». La mémoire n'obéit-elle pas aux lois plus « terribles » de « l'éternité » ? Explication et question en même temps. Rien n'est plus vrai et, peut-être, rien n'est moins sûr.
Quelles sont ces lois de l'éternité ? Durer ? Renaître ? Continuer ? A quel prix ? A n'importe quel prix!
Et quelles sont les lois de notre vie ? On les apprend tous les jours, sans toujours les respecter, et souvent même les oublier.
Dès le début du roman la plume de Max Blecher crée une atmosphère lourde d'une menace, d'une peur inconnue, pesant sur le héros et sur le lecteur qui devient éponge ; rythme lent, attente longue...
Le diagnostic du médecin tombe comme un coup de massue, les os d'Emmanuel sont malades, rongés par la tuberculose, la maladie de Pott ; il faut abandonner les études et aller au sanatorium, à Berk-su-Mer. L'horizon se réduit, la lumière diminue, grand vide où le poids du coeur devient assommant, plus d'air à respirer. La plume de Blecher ne s'y attarde pas, elle touche les cordes et les laisse vibrer. Elle dit le plus avec le moins.
Le roman est court, 180 pages, mais la lecture fut longue, m'ayant emprisonnée telle une toile arachnéenne, tel un poulpe aux tentacules puissants, opium aux rappels incessants vers des pages, passages, réflexions. Besoins contradictoires d'en sortir et d'y revenir, de me secouer du mal engourdissant, de revenir à la poésie, au style, aux sens de l'espace.
Voyage lent lourd et pénible dans ces multiples univers, ceux du corps et ceux d'en dehors, les espaces imposés retirés de la vie, dans la captivité, et ceux désirés, ceux qui se créent, petit à petit, sombres, mordants jusqu'à l'asphyxie, la tête se rétrécit, les poumons respirent mal, le coeur bat trop lentement.
Une radiographie secrète intime et douloureuse s'opère dans le corps malade, emprisonné, plâtré et capturé : sombres couloirs entre rêve et réalité, miroirs reflétant les autres en même temps que le handicap du malade, son impossibilité de bouger, miroirs ironiques, sarcastiques, cyniques au plus fort.
Les espaces, dans le sanatorium offrent-ils plus d'ouverture que le monde d'où les malades arrivent, où ils retournent avec des séquelles ? Les corsets deviennent des murs intérieurs, là où le vide s'installe et où l'inquiétude intérieure, profonde se rumine en silence. "oiseaux blancs qui volent de toit en toit. Ce sont nos âmes ruine et rempart". Les malades s'agrippent à la vie, souvent avec cruauté, jusqu'à s'emparer de celle des autres, un "élan que suscite parfois l'interdit" et la facture en est lourde.
Le paragraphe qui suit en dit long sur l'espace du dehors et celui du dedans, sur le clair et l'obscur et leur très relative définition :
"J'aime bien quand il pleut. le temps qui nous correspond bien, à nous les malades. Pluie, ciel bas, froid ; alors tu sais que tout le monde est réduit à la même chambre aux quatre murs, à la même tristesse. Lorsqu'il fait beau dehors... et qu'il y a du soleil, continua Ernest, tout m'apparaît alors terriblement vain et incompréhensible. Que peut bien faire un homme au milieu de la limpidité du décor ? Et même s'il avait quelque chose à faire, cela serait bien trop clair, trop évident, donc trop inintelligible. le plus troublant des mystères est peut-être celui qui surgit de la plus simple des évidences. J'aime ces journées maussades et pluvieuses, quand on s'enferme dans la maison et quand on ne comprend pas plus le monde qu'un chien battu."
Le livre m'a marquée, tiraillée, profondément touchée, l'auteur réalise un coup de maître : douleur dans l'âme et dans le corps exprimée avec un coup de bistouri tranchant avec froideur et précision. Max Blecher, emporté à 29 ans par la même maladie que son héros, s'en détache tout en la revivant, trempe sa plume dans l'encrier où il trouve envols poétiques d'une rare beauté et papier de verre P40 qui râpe le coeur jusqu'à le cicatriser.
Coeurs cicatrisés, roman qui frappe et caresse, entre le corps et l'esprit le dialogue est poignant dans la souffrance ; le corps en gros plan, l'esprit le suit en voix off ou hors champ, et les blessures, marques pour la mémoire, gardent leurs cicatrices. Oublier, fermer la mémoire, est-ce possible ?
Fugitifs d'un monde, prisonniers dans un autre, entre réel et irréel, entre vie et mort, où se situe le jeu de l'existence ? Dans la "boue" du monde les malades s'endurcissent, frémissent à des moments perdus, se débattent avec leur immense solitude intérieure, désespèrent entre fuite et recherche de soi-même. Dehors et dedans, et La poétique de l'espace de Gaston Bachelard me revient en mémoire : "Enfermé dans l'être, il faudra toujours en sortir. A peine sorti de l'être il faudra toujours y rentrer. Ainsi, dans l'être, tout est circuit, tout est détour, retour, discours, tout est chapelet de séjours, tout est refrain de couplets sans fin", jusqu'à l'épuisement.
La traduction de Gabrielle Danoux est sublime et d'un grand professionnalisme.
Je la remercie énormément de m'avoir fait découvrir la plume de Max Blecher, plume qui me fait penser, par sa puissance et son introspection, à l'écriture de Kafka, à La forêt des pendus de Liviu Rebreanu, à La 25ème heure de Virgil Gheorghiu.
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Citations et extraits (72) Voir plus Ajouter une citation
Le terrible automne avait commencé : des pluies denses quadrillaient les rues, une lumière grise comme dans un sous-sol, d’âpres rafales dans une ville déserte, des après-midis aériens et infiniment fragiles, la plage à découvert. L’océan déferlait de ses vagues pâles, charriant une écume jaune, saumâtre. Ils partaient plus souvent vers la campagne, par des chemins étroits et abandonnés, à travers les dunes couvertes de végétation hivernale : d’énormes herbes comme des sabres sortis du sable ou des chardons desséchés sur des étendues infinies, comme le véritable brou des plaies et des hématomes de la terre.
Parfois, la pluie les surprenait et, bien qu’il remontât le planchéiage, l’eau rentrait par bourrasques et mouillait leurs pommettes. Solange essuyait le visage d’Emmanuel, pendant qu’il ordonnait au cheval d’aller plus loin, au bord d’une route pour y trouver un endroit abrité par le haut muret d’une propriété rurale. Là, protégés de la tempête et du monde entier, ils s’embrassaient sans enthousiasme, les joues humides de pluie. Solange descendait du carrosse et cueillait dans les champs des mauvaises herbes au parfum sauvage et piquant de la poussière, ou des feuilles qui, lorsqu’on les frottait longuement dans la main, dégageaient une vague senteur de cadavre. Elle décorait le carrosse de ronces et agrémentait le planchéiage d’énormes feuilles de plantes rudérales, d’un vert sombre et triste. Il revenait ainsi avec un carrosse ornementé et chargé de mauvaises herbes comme une charrette de gitans.
Souvent, ils s’arrêtaient dans des auberges de campagne aux serveuses cramoisies, habillées solennellement en robes noires de dentelles endimanchées. Là, ils mangeaient des viandes saignantes et on leur donnait à boire une bière noire et amère de fabrication maison, dans laquelle ils retrouvaient encore des gousses de semences qui avaient servi à l’élaborer. C’était la boisson la plus savoureuse qu’Emmanuel eût jamais dégustée.
Une fois, ils demandèrent dans un bistrot perdu au milieu des ronces et des halliers du café au lait, et on leur servit le liquide brûlant, fumant, dans deux grandes assiettes à soupe, sur un plateau avec deux cuillères. Emmanuel s’étonna quelque peu de cette présentation.
— C’est ainsi que nous dégustons le café ici, dit le tenancier, un paysan tout aussi rude et sauvage que l’endroit désertique où se trouvait son auberge. Nous y trempons aussi des morceaux de pain…
Il apporta des tranches de pain grumeleux qu’Emmanuel et Solange déchiquetèrent en morceaux et trempèrent dans les assiettes à café.
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– Que me voulez-vous ? demanda Ernest avec beaucoup de calme.
– Vous me demandez ce que je veux ? Vous buvez, vous vous enivrez – vous tirez au fusil… C’est quoi ici, un sanatorium ou un bistrot ?
– Bordel, s’exclama, imperturbable, Ernest. Et de crier à son tour :
– Que voulez-vous ? Qui vous envoie ? Qui a tiré au fusil ? Avez-vous perdu l’esprit ? Vous voyez bien que je viens à peine de me réveiller à cause des coups de fusil, quelqu’un a tiré dans la rue… C’est à moi de jouer aux gendarmes ? Renseignez-vous sur qui a tiré et laissez-moi en paix !
Dans la pièce d’à côté, on cogna au mur pour que cesse le scandale.
– Les coups de fusil venaient d’ici, s’acharnait à nouveau la voix stridente du dehors. Je vais appeler le directeur…
Ernest déverrouilla la porte et, d’un mouvement brusque, l’ouvrit largement.
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Juste en face, sur le banc, de jeunes parents qui emmenaient leur enfant au sanatorium. C’était un garçonnet chétif et pâle, qui portait des habits de marin, et dont la jambe était bandée. Ses bras fins et fatigués pendaient comme ceux d’une poupée de chiffon. Sa mère le tenait dans ses bras. L’enfant promenait du regard une intense expression d’incompréhension à travers la voiture et examinait avec curiosité tous ces inconnus.
La voisine d’Emmanuel, une petite vieille qui portait le deuil, l’interpella soudainement :
– Tu vas à Berck ? demanda-t-elle. Tu es malade ?
Elle criait très fort pour couvrir le double bruit du train et de la conversation généralisée :
– Où est-ce que tu as mal ? Ici ?… Là ?
Elle montra les lombes, ensuite le dos.
– Oui, ici, dans le dos, répondit Emmanuel.
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« – Que ferais-je encore d’une vie ordinaire? Que pourrait-elle encore avoir d’inouï pour moi? Brossage de dents, déjeuner, café au lait le soir, et ça tous les jours, peu importe si dans la journée une catastrophe ferroviaire s’est produite quelque part ou si un membre de ma famille est mort. Plus je me brosserai les dents, plus je prendrai des repas, plus je serai moi-même. Comprends-tu ? Comprends-tu quel animal effroyablement monotone je deviendrai?»
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Emanuel urcă scara întunecoasă; mirosea în aer vag a produse farmaceutice și a cauciuc ars. În fundul coridorului îngust, recunoscu ușa albă care îi fusese indicată. Intră fără să mai bată.
Încăperea în care se găsi părea mai veche încă și mai mucegăită decât coridorul. Lumina venea printr-un singur geam și răspândea o claritate albastră și nesigură peste dezordinea din salonaș, unde revistele zăceau răvășite pretutindeni, acoperind masa de marmură și scaunele solemne, învelite în halate albe ca în niște haine comode de voiaj, înainte de mutare.
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Une chronique sur le livre Cœurs cicatrisés, dans la traduction de Gabrielle Danoux.
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