Qu'il va être difficile de parler d'
Effroyable Porcelaine ! Pas parce que le livre est mauvais (c'est même tout l'inverse), ni que je ne sais pas quoi dire dessus, mais parce que contrairement à mes collègues cis qui ont déjà posté maintes critiques sans spoiler ici même, je ne vois franchement pas comment évoquer ce livre en esquivant son sujet principal. Car, quand on est trans ou, comme moi « juste » enby et qu'on entame le truc sans avoir la moindre idée de ce qu'on va y trouver, le ressenti peut potentiellement être vachement violent.
Donc : TW suicide, transphobie.
Vraiment, si ces sujets-là sont sensibles pour vous, n'ouvrez pas ce livre.
Non qu'ils soient soit mal abordés, bien au contraire. Ils le sont peut-être même *trop bien*.
Je passe un court paragraphe de cette critique sous balise spoiler, à n'ouvrir qu'en toute connaissance de cause ou après avoir lu le livre.
« Effroyable porcelaine » est un ouvrage nécessaire, pour toutes les Ophélia du monde réel qui, tous les jours, sont confrontées aux mêmes problèmes et choisissent, trop souvent, la même échappatoire. le risque de suicide est *dix fois* plus élevé chez les personnes trans que chez les cis. Vous me direz que la Ophélia de Vincent Tassy vivait au siècle dernier, que les mentalités ont évolué depuis... détrompez-vous : il ne se passe pas une semaine sans que je voie passer un tweet d'une jeune personne trans mise dehors par ses parents (ou ayant dû les fuir, n'étant pas en sécurité auprès d'eux) à la recherche d'aide et d'hébergement. La réalité, c'est que la transphobie tue, tous les jours, et que des Ophélia, il y en a beaucoup plus que vous ne le pensez, beaucoup plus que vous ne les voyez (même si toutes les personnes trans ne sont, heureusement, pas des Ophélia). Néanmoins, il n'y a pas besoin d'être totalement acculé pour ne plus pouvoir encaisser la transphobie qui s'accumule par petites touches...
Ceci étant dit, afin de garder la part de mystère qui s'impose, je n'en révélerai pas davantage sur l'intrigue.
Car
Effroyable porcelaine est surtout une excellente histoire de fantôme. Même s'il s'agit d'un roman à la base destiné aux ados, la plume de
Vincent Tassy, très mature, séduira sans mal un lectorat plus âgé... et parviendra même, peut-être, à vous filer un peu la frousse pour peu que vous vous trouviez dans les conditions adéquates (seul, de nuit, sous la couette). On passe parfois sans transition du charme envoûtant du vieux château abandonné à la terreur des manifestations surnaturelles. Les descriptions sont riches et précises, mais pas envahissantes, la tension sait se faire palpable dans les moments les plus critiques... et oui, parfois, on frissonne ! Il y a dans
Effroyable porcelaine une véritable ambiance, en partie dû au fait que l'auteur n'est pas tombé dans la surenchère.
Sibylle m'a beaucoup rappelé une autre héroïne gothique pétillante, à savoir Raven de Vampire Kisses. Comme elle, Sibylle est une ado bien dans sa peau, qui assume à fond ses goûts, n'en a rien à faire du regard des autres et possède une famille bienveillante. Une ado normale quoi, qui préfère simplement la nuit au jour et le noir au jaune pétant. Elle n'est pas obsédée par la mort ni par l'occulte, auquel elle ne connaît d'ailleurs pas grand-chose...
... autant dire que les connaissances en la matière de Philémon, qui ne partage pas le goût de Sibylle pour l'esthétique glauque mais possède en revanche le bagage en ésotérisme que n'a pas son amie, se révéleront précieuses.
Ce duo principal qui ne tombe donc pas dans les clichés se retrouve confronté à un surnaturel qui, loin d'être tape à l'oeil, s'inscrit lui aussi dans un certain réalisme. L'horreur est avant tout instaurée par petites touches, à travers des détails, comme le froid, la brume ou une petite musique à peine audible... et c'est finalement bien plus efficace que des visions effrayantes, du gore ou des trucs qui volent partout. le danger est bien là, palpable, précisément parce qu'il n'est pas grotesque. Plus Sibylle et Philémon en découvrent, plus la menace pèse lourd, et le sentiment de course contre la montre est bien réel.
Un joli décor, un récit rythmé, des personnages crédibles et réussis, un peu de trouille : malgré des critiques pourtant très positives qui annonçaient la couleur,
Effroyable porcelaine se révèle être un coup de coeur inattendu et se place clairement parmi mes meilleures lectures de l'année.
Si vous n'êtes pas cis, gardez toutefois à l'esprit que la lecture peut parfois se révéler très dure.