Dans mon impatience de lire un nouveau roman de Ferrari, j'ai acheté cette compilation d'éditoriaux écrits pour La Croix. J'ignore si l'auteur est tala, mais il est clairement de culture et de nostalgie catholiques (voir Où j'ai laissé mon âme et le sermon sur la chute de Rome), et la réflexion éthique sur la violence apparaît dans tous ses livres, y compris dans le principe. L'actualité et partant les éditoriaux se périment, mais le ferrariste trouvera du plaisir dans les portraits malmenés de personnalités clivantes (Sarkozy, Valls, Finkielkraut, etc.), et des rappels de responsabilité morale touchant la (dé)mission éducative de la presse, des ministères et de la société. Quelques exemples :
« L'exercice réel de la citoyenneté dépend davantage de la formation du jugement que du droit de vote, et il est évident qu'aucun publiciste, aucun directeur de programmes n'a intérêt à s'adresser à des hommes aptes à juger par eux-mêmes » (p 83)
« Car le “Jeune”, ce grotesque archétype platonicien qui s'ébat exclusivement dans les fantasmes des membres des cabinets ministériels, ne s'intéresse, on le sait bien, qu'à ce qui l'amuse. Il faut donc l'amuser, de toute urgence, partout, tout le temps » (p 107)
« Aujourd'hui, peut-être faut-il aussi rappeler [aux élèves] que l'ignorance n'est pas une vertu, mais qu'elle ne devient vice que quand on en tire gloire. Il ne serait sans doute pas inutile de préciser enfin, à l'attention des parents, que les enseignants ne sont pas des domestiques dont la tâche consisterait à admirer leur progéniture en ménageant son exquise sensibilité mais font, tout au contraire, profession de la transformer » (p 137).
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Très beau recueil de chroniques du prix Goncourt 2012. Un essai sur le monde actuel et ses dérives langagières.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Réunis en recueil, ces 22 textes de Jérôme Ferrari se lisent avec grande cohérence dans notre contexte présidentiel.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Aujourd’hui, peut-être faut-il aussi rappeler [aux élèves] que l’ignorance n’est pas une vertu, mais qu’elle ne devient vice que quand on en tire gloire. Il ne serait sans doute pas inutile de préciser enfin, à l’attention des parents, que les enseignants ne sont pas des domestiques dont la tâche consisterait à admirer leur progéniture en ménageant son exquise sensibilité mais font, tout au contraire, profession de la transformer.
Tout le mystère est là : quels que soient les efforts qu’on fasse pour le nier, du seul fait de notre arrivée dans un monde que nous n’avons pas choisi, nous appartenons à une histoire; et ce fait n’a rien à voir avec la responsabilité morale qui nous incombe en tant qu’individus – il n’a donc rien à voir avec le repentir ou la mise en accusation. (…) Assumer son héritage n’a rien à voir avec le repentir car il n’existe rien de tel qu’une responsabilité morale collective.
D'autant que je n'ai rien contre Nicolas Sarkozy. Car il monopolisa encore longtemps toute l'attention et grâce à lui, ce soir-là, Tarik, Ryad et moi pûmes nous approcher du buffet désert en nous épargnant le recours à cette forme courtoise de krav-maga sans laquelle il est illusoire, même dans les soirées mondaines, d'espérer y accéder. Nous nous régalâmes donc sans modération, sous le regard réprobateur du maitre d’hôtel, d'un Blue Label fort cher mais quelque peu surestimé. N'eût été la présence de Nicolas Sarkozy, je n'en aurais pas obtenu une seule goutte. C'est dire l'étendue de ma gratitude envers lui.
Depuis l'attentat contre Charlie Hebdo, nous vivions et vivons encore dans une ambiance détestable que la classe politique, par cynisme ou par simple bêtise, a contribué, si c'est possible, à rendre plus détestable encore en favorisant systématiquement ce que Spinoza appelle les passions tristes - la jalousie, le ressentiment et, surtout, la peur. Le pouvoir de ces passions est terrifiant. On ne peut évidemment pas y faire efficacement obstacle en publiant des articles dans les journaux. Mais il est des moments, en dehors de toute considération d'efficacité, où se taire quand on a la privilège, mérité ou pas, de pouvoir s'exprimer, devient une faute ; plus qu'une faute même : une obscénité.
L'erreur fondamentale a d'abord été de parler du voile, comme si le port de ce fâcheux bout de tissu résultait d'une cause unique et universelle et qu'une jeune femme de Sanaa se voilait intégralement pour les mêmes raisons qu'une convertie de Limoges - ce qui est évidemment absurde : dans le premier cas, le voile relève d'une tradition dont on peut penser ce qu'on veut tandis que, dans le second, il signifie la revendication, éventuellement polémique, d'un appartenance religieuse. Autrement dit, les femmes qui, en France, portent le voile intégral font acte de militantisme et je doute fort que le délit de "dissimulation forcée du visage" corresponde à quoi que ce soit de réel.
Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, est à l'honneur de cette nouvelle séance du cycle « En lisant, en écrivant ».
Qui est Jérôme Ferrari ?
Professeur de philosophie, Jérôme Ferrari obtient en 2012 le prix Goncourt pour le Sermon sur la chute de Rome, saga familiale inspirée par une phrase de saint Augustin : « le monde est comme l'homme, il naît, il grandit, il meurt.» Son dernier roman, À son image (2018), se penche, à travers l'histoire d'une photographe de guerre, sur le pouvoir évocateur – mais aussi l'impuissance – de la photographie.
En savoir plus sur les Masterclasses – En lisant, en écrivant : https://www.bnf.fr/fr/master-classes-litteraires
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