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EAN : 9782818057568
192 pages
P.O.L. (06/04/2023)
2.96/5   60 notes
Résumé :
"Ma punition, c'était cette case si fade et si datée dans la nouvelle terminologie de nos espèces : Assignée femme."

Professeure d'arts plastiques en proche banlieue parisienne, Zélie, la cinquantaine, part en retraite anticipée. Un jour, elle rencontre un trentenaire qui tombe sous son charme. Cette rencontre la mène à Bukavu, en République démocratique du Congo.
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A l'étonnement de tous, à commencer par le principal de son collège, Zélie, professeure agrégée d'art plastique, démissionne de l'Education nationale, pour prendre, à cinquante ans, une retraite largement anticipée, qu'elle compte financer, principalement, grâce à la vente d'un appartement à Lyon qu'elle reçoit en héritage. Dans sa jeunesse, elle a pu être considérée comme une artiste en devenir, notamment grâce à son exposition personnelle « Minuscule et Ridicule », mais son inspiration s'est tarie, malgré un projet fumeux de « frise sensorielle ». Divorcée d'Alessandro avec qui elle a de temps en temps des relations sexuelles bien qu'il se soit remarié, elle a un fils de vingt ans, Furio, très investi dans le militantisme LGBTQIA+ et vendeur chez Sonia Rykiel Faubourg-Saint-Honoré. Elle essaie désespérément d'être encore à la page, malgré une date de « péremption » dépassée, d'autant qu'au cours d'une soirée elle rencontre Shock, Congolais de trente ans, et qu'une histoire se noue entre eux. ● le sujet du récit étant le décalage entre une quinquagénaire et des gens de l'âge de son fils ou de Shock, Zélie hyperbolise ce décalage jusqu'à la caricature. Cela donne lieu à des passages plaisants : « Une génération venue au monde avec une maîtrise innée du montage vidéo à coupe franche, de l'usage de la touche lecture rapide de la télécommande et des mots-consonnes de trois lettres. Hermétique aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes. […] Pour faire la conversation à Darel – et, par là, pour faire plaisir à Furio à qui je n'osais demander si lui et Darel étaient également amants, j'avais hasardé le nom d'Hervé Guibert. Darel m'avait toisée avec cette compassion amusée qu'on pouvait réserver, de mon temps, à un admirateur du violoniste André Rieu ou du saxophoniste Kenny G. J'avais pensé rectifier le tir en lançant celui de Guillaume Dustan, moins consensuel. Lui, c'est vrai, on peut pas complètement nier qu'il a eu sa part dans le mouvement global, m'avait concédé Darel avec mansuétude. Mais je dirais qu'il reste quand même assez peu challengeant, vu l'importance du contexte, avait-il ajouté pour que je ne me fasse pas trop d'illusions non plus sur la pertinence de mes références archaïques. […] Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m'intéressaient. » ● Mais dans l'ensemble j'ai été gêné par cette exagération des différences entre générations. J'ai aussi trouvé qu'il y avait dans ce livre un vrai conformisme, à commencer par un parianisme triomphant dont la narratrice et probablement l'auteur ne se rendent même pas compte. Toutes ces ratiocinations sont à mille lieues de la France rurale, par exemple. ● Et ce qui est peut-être le pire dans ce livre, c'est que les ruminations noient le récit, que la tension narrative est minime, bref, qu'on s'ennuie très vite, d'autant que les seuls dialogues sont ceux de Zélie avec elle-même… J'avoue que je n'ai lu qu'en diagonale le dernier tiers, tant j'en avais marre de ces pensées qui tournent en rond. ● Cependant, voici une autre citation qui m'a plu : « Avec les réseaux sociaux qui, depuis quinze ans, avaient donné la parole au peuple dans son ensemble, les rapports de force étaient désormais inversés. le peuple et ses goûts pas toujours sélectifs, on n'entendait plus que lui. » ● J'ai aussi aimé que la narratrice critique certains tics de langage affreux qu'on entend sans cesse : « du coup, sur Paris, de base ou au final. » ● C'est le premier livre de Nicolas Fargues que je lis, et malgré ces citations cela ne m'a pas donné envie d'en découvrir d'autres. ● Encore une déconvenue suscitée par les critiques du Masque et la Plume, coutumiers du fait. Ils étaient unanimes à tresser des éloges à cet opus, y compris Beigbeder, dont je me demande bien ce qu'il a pu lui trouver – à part d'aligner sa critique avec le politiquement correct dans le but illusoire de se dédouaner de certaines de ses prises de position.
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J'avoue que depuis le magnifique « Tu verras » publié en 2011, j'avais un peu perdu de vue Nicolas Fargues qui nous revient en pleine forme avec son dernier titre : « La Péremption ». Je ne sais pas si c'est la cinquantaine qui l'a mis en verve mais franchement, ce dernier texte m'a impressionnée par la finesse de ses analyses et surtout par son écriture que j'ai trouvée remarquable.
Il met en scène une prof d'art plastique, Zélie, divorcée, qui en a marre de bosser et qui, grâce à un héritage, compte prendre sa retraite avant l'âge légal. Elle n'a plus beaucoup d'illusions, se sent comme un OVNI parmi les nouvelles générations d'élèves « hermétiques aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes » mais comme elle n'est pas du genre à vouloir vivre dans les conflits, elle écoute les jeunes et les prend là où ils sont même si elle a constamment l'impression de leur être complètement étrangère : « Que nous restait-il d'indiscutablement commun, à eux et à moi ? En dehors des besoins physiologiques et des fonctions corporelles de base, je ne voyais pas trop. » Même chose avec son fils de 22 ans : pas de conflit, on laisse dire et basta. « Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m'intéressaient. » Contrairement à son ex-mari, elle ne se met pas en colère contre « une société perméable comme jamais au matérialisme, à l'infantilisme, et à la vulgarité. » Elle se sent dépassée, résignée mais refuse d'entrer en guerre. Elle fait avec… Sage philosophie finalement… Quant à son travail artistique, il semble s'éteindre doucement… Elle se lancerait bien dans une « frise sensorielle » mais à quoi bon ?
 Lors d'une soirée, elle va rencontrer un jeune homme d'origine congolaise de vingt ans son cadet, un certain Shock qui va devenir son amant. Elle ne sait pas bien pourquoi elle l'intéresse mais elle compte bien profiter de ce nouvel amour. Bon, c'est sûr, ils ne partagent pas grand-chose mais on ne va pas se prendre la tête, on n'a plus vraiment le temps de se poser des questions…
Nicolas Fargues excelle à faire le portrait de notre époque : conflits de générations, nouvelles relations amoureuses, sexualité, amitié, réseaux sociaux, féminisme, rapports inter-culturels, racisme, altérité, langage, art, vieillesse…
Plein d'humour, gentiment ironique, sans illusions, son propos est toujours extrêmement juste et très lucide et en même temps, mélancolique sans être jamais nostalgique… J'ai évidemment adoré ce texte d'une grande intelligence et si bien écrit.
Et inutile de vous dire que je n'ai eu aucune difficulté à m'identifier au personnage principal !

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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On adhère ou pas, en ce qui me concerne plutôt partagé.
Deux livres en un du moins à ma manière de résumer le livre.

- les discours idées points de vue avancées ou reculs philosophiques de Zélie la périmée de 51 ans, énoncés avec une certitude qui agace un tantinet, qui sont ces gens qui détiennent la vérité et que le doute, connaît pas.
Les thèmes, un peu de tout comme cela vient et comme cela s'enchaîne, dont le temps qui passe et vous ramasse à la pelle et un discours africain discriminant, je ne pense pas pareil.

- livre deux, l'histoire de Zélie, l'andouille de service si j'osais l'écrire, à moins que ce n'était vraiment qu'une belle histoire d'amour.

Zélie, la cinquantaine, professeur de dessin en banlieue parisienne, contre la retraite à 64 ans, décide d'arrêter de travailler. Ses parents ayant oeuvré pour elle, elle va vendre un appartement que ceux ci lui ont légué et vivra sur ce pactole.
Côté sentiments, vit seule, des aventures épisodiques et un fiston dont on se demande comment il a été élevé vu ce qu'il est devenu. Ancienne peintre, elle eut son heure de gloire à 26 ans puis tel un écrivain sans inspiration, des toiles pour le plaisir.

P 61, enfin cela bouge et elle rencontre le choc de sa vie soit Shock africain du Congo, la trentaine, beau comme un dieu, bref l'amour . Elle le suivra dans sa ville d'origine dont seuls les incultes ignorent le nom. Mais peu regardante sur les sommes aussi vite investies que perdues et la rébellion locale, non la France ne paiera pas de rançon car un rapatriement sélectif est correctement organisé,

La péremption.

Pourquoi Nicolas Fargues un homme se met dans la peau d'une femme de 51 ans.
Petite recherche, il est né en 1972, ça colle même âge. Son premier succès littéraire à 26 ans, peut être, je ne cherche pas.
Un homme ne pensant pas comme une femme, du moins c'est ce que je pense comme moi, j'ai un doute non perclus de certitudes sur la véracité psychologique des propos.

Péremption, il a un problème l'auteur ou quoi ?
Je sais on est plus ou moins narcissique et on ne peut être et avoir été mais ce que l'on sera sera le fruit de ce que l'on aura été.

Saturé de féminisme, mais là pas terrible l'image de la femme, et probablement pas mieux pour celle de l'homme.

Donc un style et des idées à partager ou pas, une histoire, pourquoi pas celle là mais on peut avoir une autre vision de la vie.

La dernière phrase comme j'aime à les citer. le fiston retrouvant sa mère dans un café.
Pourquoi c'est ici que tu m'as donné rendez- vous ?

Ps, je me souviens d'un passage, le fils téléphonant de France à sa mère dans une ville congolaise alors que ça tiraille à quelques kilomètres, : tu n'aurais pas pris mon tee-shirt par hasard.

C'est ce que je pensais, dans la vie pour une bonne part on n'a que ce que l'on mérite.

Pour la lecture vous pouvez y aller, c'est encore bon.
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Il faut savoir laisser la place

En treize romans, Nicolas Fargues a su dépeindre les modes de vie et les mentalités de l'époque. Les relations hommes/femmes y sont omniprésentes, tout comme les rapports interculturels dans notre société composite. Son dernier roman, 𝑳𝒂 𝑷𝒆́𝒓𝒆𝒎𝒑𝒕𝒊𝒐𝒏, n'y échappe pas.

Zélie, 50 ans et prof d'arts plastiques en collège de banlieue parisienne, démissionne de l'éducation nationale. Artiste-peintre passée de jeune talent prometteur à ses débuts, à moyennement digne d'intérêt aujourd'hui, elle est devenue anonyme et revenue de ses ambitions de jeunesse. Elle est divorcée depuis plusieurs années d'Alessandro, avec lequel elle a eu un enfant, Furio : la vingtaine, militant homosexuel dans une association LGBT et vendeur dans une boutique Sonia Rykiel.

Lors d'une soirée, Zélie rencontre Shock, congolais 20 ans plus jeune qu'elle, arrivé en France quand il était enfant. Elle est attirée par son côté mauvais garçon cool, son africanité et sa jeunesse qui rejaillit sur elle. Un jeu de séduction se met en place entre les deux, Shock cultivant une indifférence à ces années et cette culture qui les séparent. Mais ces écarts (générationnels et culturels) rendent l'amour intranquille...

Nicolas Fargues possède la faculté de décrire avec précision et acuité l'intimité du couple (𝑱'𝒆́𝒕𝒂𝒊𝒔 𝒅𝒆𝒓𝒓𝒊𝒆̀𝒓𝒆 𝒕𝒐𝒊, roman sur les rapports de domination au sein d'un couple est à lire). Il explore en profondeur le fossé générationnel, culturel et social qui se dresse dans la relation amoureuse entre Zélie et Shock.

Blanche et d'un milieu social plus aisé, Zélie essaie de tout faire pour éviter ce qu'elle estime être des relents néocolonialistes, des réflexes paternalistes. Femme de son époque, elle est prisonnière de sa culpabilité de classe et a parfaitement intériorisée 40 années d'antiracisme : elle n'ose pas entamer certaines discussions ou énoncer certains propos de peur de passer pour 𝑏𝑜𝑜𝑚𝑒𝑢𝑠𝑒, bourgeoise, ou pire raciste : « 𝐴𝑏𝑠𝑡𝑖𝑒𝑛𝑠-𝑡𝑜𝑖, 𝑐'𝑒𝑠𝑡 𝑐𝑢𝑙𝑡𝑢𝑟𝑒𝑙 ».


« 𝐽'𝑒𝑠𝑝𝑒́𝑟𝑎𝑖𝑠 𝑠𝑒𝑐𝑟𝑒̀𝑡𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑠 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑎̀ 𝑓𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑙𝑒 𝑣𝑖𝑛𝑔𝑡 𝑒𝑡 𝑢𝑛𝑖𝑒̀𝑚𝑒 𝑠𝑖𝑒̀𝑐𝑙𝑒 [--] 𝐽𝑒 𝑡𝑒𝑛𝑡𝑎𝑖𝑠 𝑑𝑒 𝑚𝑒 𝑐𝑜𝑛𝑓𝑜𝑟𝑚𝑒𝑟 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑙𝑒 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑖𝑟𝑒 𝑎𝑢 𝑚𝑜𝑢𝑣𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑔𝑒́𝑛𝑒́𝑟𝑎𝑙 »


Un livre sur l'époque donc, sur le choc des cultures, sur l'air du temps et le temps qui passe. La cinquantaine passée, Zélie se demande si elle n'est pas périmée. Un peu dépassée, elle s'était promis de ne jamais dire « c'était mieux avant », mais elle est en décalage dans un Paris où elle est devenue quelconque, « 𝑢𝑛𝑒 𝑣𝑒́𝑟𝑖𝑡𝑎𝑏𝑙𝑒 𝑎𝑛𝑜𝑛𝑦𝑚𝑒 𝑎𝑢 𝑠𝑒𝑖𝑛 𝑑'𝑢𝑛𝑒 𝑣𝑖𝑙𝑙𝑒 𝑜𝑢̀ 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑙𝑒 𝑚𝑜𝑛𝑑𝑒 𝑎 𝑡𝑟𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑎𝑛𝑠 », où les tics de langage « 𝑑𝑢 𝑐𝑜𝑢𝑝, 𝑠𝑢𝑟 𝑃𝑎𝑟𝑖𝑠, 𝑑𝑒 𝑏𝑎𝑠𝑒, 𝑎𝑢 𝑓𝑖𝑛𝑎𝑙 » l'exaspèrent, où elle a du mal à comprendre les luttes intersectionnelles et transsexuelles de son fils .

Ce roman, écrit avec la finesse et l'ironie dont Fargues est passé maître, expose les complexes d'une quinquagénaire de la gauche culturelle, dépassée par le monde qu'elle a contribué à enfanter.

Une satire brillante.
Lien : https://www.facebook.com/pho..
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Je ne comprends pas pourquoi mes amis m'ont offert ce bouquin pour mes 50 ans. Parce que la narratrice a 50 ans ? Parce qu'elle est prof ? L'ont-ils lu avant ? Si oui, je suis d'autant plus perplexe.
Durant le 1er quart, il ne se passe absolument rien. La narratrice, agrégée d'art plastique, mère d'un jeune homme queer travaillant dans le milieu de la fashion, ex artiste branchée, démissionne de l'éducation nationale pour... rien, un vague projet artistique dont on pressent dès les premières phrases qu'il ne verra jamais le jour. Bref, on s'emmerde ferme. Et puis, un jour, chez un ami militant no border, elle s'amourrache d'un jeune Congolais. Alors, on espère être surpris. Mais non, il se passe exactement ce à quoi on s'attend de la relation entre une vieille Blanche et un jeune Noir.
Seul point positif, Nicolas Fargues écrit vraiment très bien et, au hasard de quelques fulgurances, on se dit: "mais c'est tellement vrai !" Mais c'est tout. le reste (90 %) est une somme de parisianisme snobinard et de bons sentiments post coloniaux.
Allez hop, boîte à livres.
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critiques presse (4)
Actualitte
15 mai 2023
Passé maître dans l’art de peser, soupeser, formuler, juger, analyser, Nicolas Fargues a écrit une nouvelle satire méticuleuse. Observant une distance pointilleuse avec des personnages très incarnés, il démontre une grande lucidité dans l’étude de leurs manques et faiblesses.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeMonde
15 mai 2023
Sur son exploration, il construit une œuvre qui cultive le goût du sarcasme et de la satire sociale, pointe avec une certaine jubilation les mensonges que l’on se fait à soi-même. On retrouve tout cela dans La Péremption, rehaussé d’une pointe de mélancolie.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
17 avril 2023
Dans son nouveau roman, La Péremption, Nicolas Fargues met en scène le nouveau conflit des générations.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeFigaro
14 avril 2023
Une quinquagénaire tombe amoureuse d’un jeune Noir. L’écrivain au plus fort de son art.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Il me rendait à une projection que, rétrospectivement, je me faisais d'un Paris désirable. Grâce à lui, je prenais enfin ma part de ces terrasses de café estivales et pleines de jeunesse dont je n'avais su profiter lorsque j'en avais l'âge. À vingt-six ans, tu ignores que c'est ta génération qui donne à la capitale de ce pays sa tonalité et sa vitalité. À vingt-six ans, tu te dis simplement : Mon Dieu, j'aurai bientôt trente ans et je n'ai rien fait. Et tu expédies ton demi de bière ou ton ballon de mauvais blanc sans te rendre compte que tout le monde, à cette terrasse, a les mêmes vingt-six ans pleins de menus soucis que les tiens. Et que tous ces vingt-six ans réunis font la vitrine de la ville et rêver ceux qui les ont franchis depuis longtemps, ces vingt-six ans. Parce qu'à vingt-six ans, tu ne possèdes pas encore la sagesse nécessaire pour sanctifier ces instants, dont rien ne te laisse supposer qu'ils feront plus tard l'objet de ta nostalgie.
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Elle me rappelait cette fille aux dents mal positionnées, peut-être kurde ou iranienne, assise en tailleur sur la moquette pelée de l’appartement de Mathieu. C’était a Pâques, lors de l’un de ces apéritifs qu’il improvisait pour les bénévoles et les paumés de son association. Au moment des présentations, sans prendre la peine de se lever ni de me tendre la main, la fille m’avait souri avec méchanceté derrière son gobelet: « Toi, je t’aime pas. »

C’était sorti tel quel, sans le moindre indice préalable d’hostilité. Elle ne semblait ni alco
olisé, ni droguée. Juste portée par l’assurance que rien ne valait un bon accès de franchise dans ce monde de grimaces et de minauderies bourgeoises. Tout aussi surpris que moi par sa phrase, Mathieu avait rigolé pour détendre l’atmosphère. Puis, se rendant à l’évidence que la fille ne plaisantait pas, il était retourné à ses bouteilles de muscadet à déboucher et ses sachets d’amuse-gueules à transvaser dans ses petits saladiers en pyrex.

Ces mots m’avaient gâché le reste de la soirée. Pourtant, j’avais continué à faire bonne figure aux yeux des miséreux de Mathieu. Je me demandais ce qui, dans mon apparence, pouvait bien avoir suscité l’agressivité de la fille. Mes sourires trop appuyés? Mon air d’emblée trop amical qu’elle avait dû prendre pour de l’hypocrisie? Mon ton trop éduqué ? Bref, ma trop objective « francité »? J’avais beau me convaincre que le problème venait de son côté, qu’elle vivait peut-être sous antidépresseurs, quelque chose en moi accueillait sa hargne. Mieux: approuvait cette loi de la nature en vertu de laquelle c’est le premier qui frappe qui a raison, quels que soient ses motifs.
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Il est aisé de se montrer compréhensive dans l’indétermination. Tous ces jeunes si je ne les avais pas jugés, c’est uniquement parce que je ne tenais moi-même à rien pour de bon

A la mort de leurs parents, il y a ceux qui se sentent libérés de n’avoir plus rien à prouver à personne et ceux qui éprouvent ce vertige de se retrouver brutalement au plein milieu de l’océan, seuls maitre à bord de leur vie, seuls avec leurs choix. Sans plus personne que soi-même à qui prouver quoi que ce soit

Parce qu’à 26 ans, tu ne possèdes pas encore la sagesse nécessaire pour sanctifier ces instants dont rien ne te laisse supposer qu’ils feront plus tard l’objet de ta nostalgie. Même si cette sagesse-là, on ne l’acquiert jamais tout fait

Au fil des décennies, la sécurité et l’opulence auront engendré pire que le gout du risque inutile : en nous faisant davantage témoins des tragédies du monde, en nous indignant plus fort que les autres, nous avons désacralisé la tragédie. Nous avons donné du sens à nos existences en inventant le frisson
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L'art, c'est comme les bons sentiments : un caprice de nantis, d'esthètes et de naïfs. Pendant la première vague de la pandémie, j'avais été la seule enseignante du lycée à trouver regrettable mais réaliste que les cinémas, les théâtres et les musées se retrouvent catégorisés "activités non essentielles". Il faut avoir approché le monde, le vrai, celui où règnent la cupidité et les rapports de force, pour comprendre que la poésie et la beauté, le goût des idées et de l'élévation d'esprit y jouissent de moins de considération que le bol d'arachides ou de chips qui agrémente les tables de bar des hôtels où s'affrontent les pouvoirs.
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Que pouvais-je entendre à sa sensibilité neuve de jeune homme moderne aux mots littérature ou roman ? Moi dont la génération s'était fait encore imposer au collège les manuels de Lagarde et Michard? 300 ou 400 pages de bloc de texte imprimé à l'encre et relié à la colle sous une sommaire couverture en carton, rédigées dans une langue obsolète, sans photos, ni vidéos, ni liens hypertexte, cela pouvait-il revêtir encore un sens, en 2022 ?
Possédait-on encore vis-à-vis des mots cette foi, cette patience et cette faculté d'imagination qui étaient tant bien que mal parvenues à traverser les millénaires depuis, mettons, la Bible? Devenir un écrivain fort d'un lectorat de 30 000 personnes dans le meilleur des cas, cela pouvait-il aujourd'hui présenter un idéal aussi enviable que d'atteindre 300 000 like avec un reel beauté Instagram, un challenge Ce matin je vends un steak haché à ma boulangère ou un trend chaton sur Tik Tok ? Garnir d'étagère de livres les murs de sa chambre de bonne, est-ce que cela paraissait toujours digne de convoitise aux yeux d'un type ou d'une fille de 25 ans ? (p33,34)
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Vidéo de Nicolas Fargues
"Bienvenue aux éditions P.O.L", un film de Valérie Mréjen. Pour les 40 ans des éditions P.O.L, quelques un(e)s des auteurs et des autrices publié(e)s aux éditions P.O.L écrivent une carte postale et laissent un message aux éditions P.O.L. Avec par ordre d'apparition de la carte postale: Violaine Schwartz, Jean-Paul Hirsch, Lucie Rico, Emmanuel Lascoux, Jacques jouet, Philippe Michard, François Matton, Frédéric Boyer, Catherine Henri, Suzanne Doppelt, Lamia Zadié, Marianne Alphant, Suzanne Duval, Laure Gouraige, Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Elisabeth Filhol, Célia Houdart, Nicolas Fargues, Nicolas Bouyssi, Louise Chennevière, Frédérique Berthet, Marie Darrieussecq, Jocelyne Desverchère, Jean Frémon, Kiko Herrero, Julie Wolkenstein, Emmanuelle Bayamack-Tam, Liliane Giraudon, Frédéric Forte, Pierric Bailly, Valère Novarina, Hélène Zimmer, Nicolas Combet, Christian Prigent, Patrice Robin,, Emmanuelle Salasc, Alice Roland, Shane Haddad, Mathieu Bermann, Arthur Dreyfus, legor Gran, Charles Pennequin, Atiq Rahimi, Anne Portugal, Patrick Lapeyre, Caroline Dubois, Ryad Girod, Valérie Mréjen / Dominique Fourcade, Marielle Hubert, Robert Bober, Pierre Patrolin, Olivier Bouillère, Martin Winckler, Jean-Luc Bayard, Anne Parian, Nathalie Azoulai, Julie Douard, Théo Casciani, Paul Fournel, Raymond Bellour, Christine Montalbetti, Francis Tabouret, Ryoko Sekiguchi,
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