Pour résumer en quelques points pour ceux qui ne voudraient pas lire le détail, voici ce que je reproche à cette oeuvre :
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Christine de Pizan en est un personnage à peine secondaire, la place centrale étant donnée aux événements de la Cour et de la France en général
- nombre de faits, dates, lieux, ne correspondent pas à la vérité historique
- son parcours d'autrice n'est qu'effleuré
- la structure narrative ressemble davantage à une juxtaposition de paragraphes
- le style est le plus souvent plat, sans recherche, et sans saveur.
Ce n'est pas dans mes habitudes d'être cinglante mais cela reflète mon aberration totale face à cet ouvrage que j'ai trouvé foutraque, fallacieux et hors-sujet. C'était ma première lecture de cet auteur, autant dire que cela me dissuade grandement d'en lire d'autres (qui semblent exister en nombre pléthorique – ceci expliquant peut-être cela).
Je développe.
Il m'est arrivé quelques fois étudiante de relire une dissertation et de me rendre compte que j'avais rapidement tourné au hors sujet. Prise par le temps, je ne pouvais que limiter la casse en ajoutant quelques phrases ici ou là pour faire le lien entre mon propos et le sujet. C'est exactement ce que j'ai ressenti à la lecture de «
la non pareille » de
Michel Peyramaure.
L'ouvrage est sous-titré « le roman de
Christine de Pizan » or elle m'a semblé moins qu'un personnage secondaire. En effet, la narration est donnée à une cousine qui n'a jamais existé, à qui l'auteur fait pourtant jouer le rôle de grande soeur, d'éducatrice et de soutien moral. Et son récit est en fait centré sur la vie quotidienne à Paris fin XIVème-début XVème, il est vrai que cela m'a permis d'apprendre des choses et de refixer quelques repères sur les luttes de pouvoir en France et les relations France-Angleterre. Intéressant oui, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit le centre d'un roman sous-titré « le roman de
Christine de Pizan », cette dernière étant éventuellement raccrochée en une phrase, souvent artificiellement, à des paragraphes historiques purs allant d'une à dix pages.
De plus, je n'ai pas retrouvé grand-chose de ce que je connais de la vie de
Christine de Pizan. Les grands traits, soit. La venue en France pour suivre un père illustre physicien/médecin de
Charles V, le mariage à 15 ans avec Etienne de Castel et le veuvage à 25, qui la mettra sur le chemin de l'écriture professionnelle. Cependant, ils sont parsemés d'inexactitudes historiques : la famille a rejoint le père à Paris au bout de trois ans, elle n'a pas accompagné directement Thomas de Pizan ; les circonstances de la mort et de l'enterrement d'Eitenne de Castel sont pour une très grande part de l'invention pure ; l'auteur prétend que c'est sa mauvaise gestion qui a laissé des dettes alors que ce sont ses créanciers qui ont abusé de la situation ; Mémorant, résidence secondaire de la famille, a été vendu en 1392 or l'auteur en fait un refuge notamment pendant les épidémies et autres assauts de Paris, que ce soit par les Anglais ou les Armagnacs et Bourguignons, pendant la première décennie de 1400. Je pourrais poursuivre encore mais je vais arrêter mon listing là...
Christine donne dans ses oeuvres une image élogieuse des deux hommes de sa vie et on peut évidemment penser que la réalité n'était sans doute pas aussi reluisante, certes. Mais quel besoin d'imaginer des portraits aussi contraires et de montrer Thomas de Pizan en dégénéré, peu soucieux de son hygiène et infidèle, et Etienne de Castel en personnage grossier, castrateur et rudoyant sa femme ?
De même, le parcours d'écrivain de Christine est dressé à traits on ne peut plus grossiers : une phrase ici ou là nous fait comprendre qu'elle est connue pour ses poèmes mais jamais elle n'est montrée en situation mondaine les récitant ou les improvisant et rien explique ce qui fait son succès (qui va jusqu'en Angleterre et en Italie !) ; plusieurs mentions laissent croire qu'elle a toujours voulu être écrivain - ce qui semble être plus une vision téléologique de l'histoire qu'une vraisemblance historique . Il est certain que c'est son veuvage et la situation financière délicate dans laquelle il l'a laissée qui vont l'y amener – et elle raconte dans un de ses récits autobiographiques, la transformation, véritable métamorphose au sens ovidien, qui s'est opérée en elle, imaginant que suite à cette épreuve, elle s'est réveillée homme, se devant donc de subvenir aux besoins de sa famille comme un homme.
Elle établit le début de sa carrière d'écrivain à 1399, or l'auteur laisse penser qu'elle vient juste après la mort d'Etienne, en 1390. La chronologie donnée de ses oeuvres est pour le moins obscure et m'est apparue sans rapport avec la réalité. Ses sources d'inspiration sont rapidement éludées. le pire, à mon sens, étant de transcrire au pied de la lettre le topos littéraire du rêve pour introduire les récits allégoriques, faisant penser qu'elle a réellement fait les rêves qui sont la base narrative de certaines de ses oeuvres.
Au final, quelques vers de sa main sont rapportés par endroits mais rien sur la substance réelle de son oeuvre. On est informé du but de certaines oeuvres, pour qui elles ont été écrites et pourquoi. « Le livre des Trois vertus » est par exemple un traité d'éducation des femmes à l'adresse de la jeune épouse du Dauphin. Mais quel est son contenu, le propos de l'autrice ? Cela n'est pas précisé.
J'aurais aussi apprécié de voir peint avec détails le milieu de l'édition. Là encore, c'est à peine allusif et le travail de copiste de Christine est à peine évoqué.
Je passe les incohérences de structures narratives qui donnent souvent l'impression de juxtaposition de faits. Je n'ai pas compris pourquoi quinze pages se sont écoulées entre le moment où on annonce la mort de Richard II, roi d'Angleterre, dans des circonstances perturbées, et le moment où l'on précise la réaction de Christine – dont le jeune fils vit en Angleterre, au service d'un proche du roi, qui peut donc être en danger – sachant que ces quinze pages n'ont strictement rien à voir et qu'au contraire elles avancent le récit d'autres faits.
Pour résumer, si vous êtes curieux/se d'en savoir plus sur
Christine de Pizan, je vous conseille la biographie de
Françoise Autrand – un pavé, certes, mais très bien écrit, facile à lire, et parfaitement documenté – intitulée «
Christine de Pizan » et sous-titré « une femme en politique ».