Méditation sur les voix des disparus, fantômes intacts qui habitent notre paysage intérieur.
Dans ce livre au titre émouvant paru aux éditions P.O.L. en novembre 2015,
Ryoko Sekiguchi s'adresse à son lecteur et sans doute à elle-même, avec des notes, prenant en compte toutes les sensations fugaces ou tenaces qui l'assaillent, pour constater l'importance de la voix des disparus. Elle appelle à conserver des enregistrements des êtres qui nous sont chers, pour échapper à l'anéantissement, qu'on sait inéluctable, de leurs traces physiques après leur décès.
Ryoko Sekiguchi interroge les traces que laissent les voix de ceux qui ne sont plus, et le trouble que la voix enregistrée d'un défunt peut engendrer, fantôme présent et intact d'un être évanoui.
«Nous écoutons alors cette voix qui vit dans une autre temporalité. Dans le même monde, deux temporalités se croisent et nous sommes nous-mêmes, à notre tour, troublés.»
La voix est singulière : tandis que les autres traces physiques s'usent, perdent leur force évocatrice et sensible, la voix enregistrée, immatérielle et pourtant aussi palpable que la chair, reste intacte.
«À part la peau, par quoi nous pouvons toucher celle d'un autre, seule la voix, émise en forme d'ondes, peut toucher directement nos tympans, échauffer nos oreilles.
Deux territoires où le toucher peut exister.»
L'exil et la distance peuvent rendre irréelle la disparition d'un proche, une disparition en général annoncée par téléphone, donc par une autre voix. La disparition n'existe pas tant que la voix n'a pas parlé, et peut être repoussée à l'infini tant qu'on n'en a pas eu l'annonce, pour éviter cette «simple phrase qui suffit à faire mourir une personne pour autrui.»
Une voix peut faire revivre un être, une autre le faire mourir. Cette constatation renvoie les échos de l'extraordinaire roman de
David Grossman, «
Une femme fuyant l'annonce».
L'auteur rend aussi hommage à la radio, media intime dont les voix se gravent en nous, même à notre insu, et prennent place dans notre paysage intérieur.
Après «Ce n'est pas un hasard», où elle se penchait sur la catastrophe de Fukushima vécue depuis l'exil,
Ryoko Sekiguchi poursuit sa réflexion intime, dépouillée et essentielle, sur la perte et l'effacement, et sur les souvenirs qu'il faudrait archiver pour les garder intacts, résonant ainsi avec «
L'annulaire» de
Yôko Ogawa.
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