« Je me sens coupable de mon pays riche, de ma famille unie, de mon éducation, j'ai besoin d'éteindre des feux et de sauver des enfants, j'ai besoin de faire quelque chose dans ce monde pourri, j'ai besoin de courir d'une bande de laissés-pour-compte à une autre, j'ai besoin sinon je pourrais m'asseoir et pleurer ou lancer des bombes. »
Nirliit est un cri du coeur : celui de la narratrice qui, se sentant coupable de ce qu'a fait son peuple blanc à celui des Inuits, travaille avec cette communauté. « Il faut venir par les airs ; comme les oies,
nirliit, je refais inlassablement le chemin du sud au nord puis du nord au sud, chaque fois que l'été revient, chaque fois que l'été se termine. » Son cri devant la beauté du paysage et des personnes qu'elle y rencontre se mue en cri de tristesse, devant la vie d'une population dont les terres ont été spoliées par les Blancs, puis que l'on a payée à ne rien faire en dédommagement. Or, « La meilleure façon de tuer un homme est de le payer à ne rien faire ». La vie des Inuits étant désormais régie par les activités des occidentaux, ils se retrouvent dépossédés de leur utilité, de leur identité et donc de sens à leur vie. On les entasse gratuitement dans des logement trop familiaux, où la promiscuité implique de trop nombreuses errances et des dérapages incontrôlés.
« Il y a de l'amour violent entre les murs de ces maisons presque identiques, il y a de la jalousie féroce, il y a confusion entre aimer et posséder, vous qui possédez beaucoup mais si peu de choses. Votre maison ne vous appartient pas. Votre terrain non-plus. Tout ça vous est gracieusement prêté par le gouvernement. N'est-ce pas qu'on est fins ? On vous pique votre territoire, mais on vous le prête après. Est-ce pour cela que vous avez tellement besoin de posséder ? Des motoneiges, des bateaux, des quads, des camions pour faire le tour d'un village de quatre rues. Pour échapper à vos maisons surpeuplées où vous vivez les uns sur les autres. Vous manquez d'espace dans votre immensité nordique. Comment se fait-il que toute cette richesse ressemble tellement au tiers-monde ? »
A force de venir chaque année, la narratrice québecquoise a ses repères qu'elle nous égraine : temporels, géographiques, humains. Elle rencontre des têtes connues, se désole de l'évolution des enfants dont elle s'occupe d'une année sur l'autre, dans ce pays où l'alcool et la drogue réchauffent ces corps, enfermés dans l'hiver éprouvant de leurs coeurs gelés, meurtris par les moeurs des envahisseurs qui ne les voient que comme une distraction : des âmes interchangeables, des corps jetables, des femmes poupée au coeur gonflé, au corps gigogne, dont les enfants ne seront jamais reconnus.
« Parce qu'on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l'infini, des aventures que l'on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent maintenant plus alléchantes que votre exotisme du Nord. »
Si le ton est dépité et nostalgique, c'est qu'Eva, l'amie Inuit que la narratrice retrouvait tous les ans, est décédée de cette vie dissolue, laissant derrière elle son fils Elijah.
« Ton corps dans l'eau et ton esprit partout, sur la mer, dans la toundra, au ciel jamais noir de l'été arctique, danse, Eva, danse, je dis avec le même français cassé que le tien : « je manque de toi. » »
La première partie du récit du retour de la narratrice s'adresse à Eva. C'est un pêle-mêle d'émotions, de sensations et d'images du Nord d'aujourd'hui, qui m'ont donné les grandes lignes du paysage mais n'a pas suffit à m'immerger vraiment dans sa vie et son ambiance : En se contentant d'un panorama rapide des situations rencontrées sensées planter le décor, les gens sont à peine effleurés et l'on n'a pas l'occasion de s'attacher à eux. Or l'humain, dans un roman, c'est pour moi l'essentiel. Mais par bonheur arrive la seconde partie où la narratrice s'adresse à Elijah. Celle-ci s'attache aux personnages et est plus vivante, même si elle ne peut se dépêtrer d'une certaine tristesse, comme une fatalité face à laquelle on se sent impuissant.
« Vous êtes là avec vos vies de tragédies grecques, vous feriez baver
Shakespeare avec vos douleurs lancinantes et votre désespoir, et je ne sais pas comment vous faites pour endurer ça, moi qui en arrache déjà avec ma petite misère ordinaire ».
Les deux parties se complètent opportunément, s'imbriquant comme que le yin et le yang pour former un tout convainquant. Au total, ce roman est une dénonciation sensible des conséquences de la colonisation, des ravages dont se sont, une fois de plus, rendus coupables les occidentaux en s'appropriant des terres, puis en voulant compenser leurs actes par de l'argent aux populations, ce qui ne leur a appris qu'à délaisser le travail pour noyer dans l'alcool et les drogues la misère due à leur dépossession originelle.
« Ça leur fait du bien, tsé, aux Inuits, plus ils ont du sang Blanc, plus ils s'améliorent. Ça paraît déjà je trouve. » (!)
Un texte d'une belle sensibilité, tissé de douceur, de chaleur humaine et de mélancolie.