Venise, un monde en soi; Venise, une planète à part entière, avec son lot d'enchantement et de mystère: tel est le fil rouge du recueil "
Nouvelles vénitiennes", premier ouvrage d'imagination de la traductrice
Dominique Paravel. Il se compose de sept nouvelles, rangées de manière chronologique de manière à évoquer, à chaque fois, une période précise de l'histoire de la Sérénissime, du Moyen Age jusqu'au vingt et unième siècle.
"Un coup de dés", première nouvelle du recueil, est emblématique à plus d'un titre. Elle relate la mise en place des deux colonnes qui ornent, aujourd'hui encore, la Place Saint-Marc. Tout ce qui constituera le recueil y figure à l'état natif. La question du hasard y est abordée au travers de l'élément très concret du jeu; plus loin dans le recueil, elle reviendra de manière plus stylisée, plus abstraite. Les femmes y sont présentes, aussi, avec le personnage de Soradamor, qui consent à donner son corps à Nicolò mais refusera obstinément de lui parler - donc de partager son âme avec lui, à l'image d'une ville qui refuse de partager le coeur de son mystère avec les étrangers. Enfin, il y a le jeu des règles et lois immuables qui régissent Venise, et font d'elle une planète à part, le lieu d'une mentalité particulière, à jamais insaisissable, aspirant à l'éternité.
Femmes? L'auteur creuse le sillon de manière heureuse, en insistant sur l'aspect le plus concret de la question. le lecteur sera ainsi placé face à de nombreux personnages féminins, souvent des prostituées - qui, à l'instar de la ville, donnent leur corps mais conservent leur âme. Cela donne des pages d'une extrême sensualité, confinant à l'érotisme, où l'auteur porte une attention exacerbée aux personnes et à leurs corps: sécrétions corporelles des miséreux et des puissants, scènes de dissection, jouissances brèves ou intenses, émois, excitation de l'interdit, demandes étonnantes comme celle de cette orpheline qui, dans "Le goût du chocolat", demande à un ambassadeur français de lui caresser les seins avant de se concéder à lui dans un établissement public. Cela passe par des images fortes, classiques ou novatrices...
Venise ne saurait être évoquée sans que soit abordée son histoire. Aussi chaque nouvelle relate-t-elle, sans qu'on sache si c'est vrai ou non (mais au fond, qu'importe?), un épisode de l'histoire de la Sérénissime et de ses habitants. le lecteur a envie de connaître la destinée du joueur Nicolò, à la fois détestable et fascinant casinotier avant l'heure. Ces éléments historiques offrent à l'auteur l'occasion de placer quelques objets qui créent un fil rouge tout au long du récit - on pense à la statue équestre de la place Saint-Marc ou à l'énigmatique portrait peint par Maître Lorenzo Lotto. Les plus illustres Vénitiens traversent ces nouvelles:
L Arétin,
Antonio Vivaldi, quelques doges ou représentants de familles illustres.
"Mondo Novo", dernière nouvelle du recueil, paraît rompre le charme. L'auteur y adopte du reste une démarche un peu différente en insistant sur le fait que Venise, ville belle de partout s'il en est, semble avoir tout donné aux milliers de personnes qui l'ont découverte - à telle enseigne que Favier, le photographe dont il est ici question, peine à trouver un point de vue original sur cette ville. le ton est également différent des autres nouvelles: "Mondo Novo" commence par un long épisode didactique, et ses personnages s'y expriment dans un français approximatif, semblant traduit littéralement de l'italien, alors que par convention, tout le monde a un style irréprochable dans tous les autres textes. Mais Venise est-elle moins mystérieuse pour autant? Favier n'en saisit pas l'essence, et la relation charnelle n'est pas l'objectif premier de sa rencontre avec Viola, celle femme qu'il a photographiée de manière impulsive et qu'il cherche à revoir. Ainsi le mystère persiste-t-il, au-delà des apparences du désenchantement. Amour? La porte reste ouverte.
Recueil de nouvelles, "
Nouvelles vénitiennes" peut également être lu comme un tout, pratiquement comme un "roman en éclats" relatant, de manière chronologique, la destinée du seul personnage essentiel du récit: Venise elle-même. le tout est porté par un style classique est limpide; le lecteur se trouvera donc immédiatement à l'aise avec le monde vénitien de
Dominique Paravel, fine connaisseuse de la ville, qui signe ici une approche personnelle, riche en résonances, du mystère de Venise - un mystère que chacun se doit désormais d'approcher, à sa manière.
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