Quitte à choquer car
le sujet de ce livre est grave, sérieux (serious au sens anglais), sa lecture a été reposante, revivifiante, et enrichissante.
Je ferai juste d'entrée une remarque sur l'édition en Folio (comme indiqué ci-dessus, j'ai regretté une relecture négligente par l'éditeur qui a laissé quelques coquilles.
Puis, je parlerai de la structure, ou de la construction de ce roman-bijou, comme une pierre précieuse, car il s'apparente à une aigue-marine, ou une émeraude, ou une topaze. Un peu dépassé de mode, peut-être, mais tellement fin.
Donc le roman est découpé en tableaux (chapitres), 51, sauf erreur, pour un total d'environ 460 pages, et chaque tableau est intitulé de manière à présenter, à presque résumer ce qui va suivre mais sans détruire l'envie de prolonger l'aventure, sans détruire un effet de surprise... j'ai trouvé le procédé très cinématographique, me rappelant les films muets et ces tableaux écrits qui annoncent ce qui va suivre sans toutefois casser le suspense. Et bien sûr, ce roman qui nous plonge dans l'Allemagne, Berlin, du tout début des années trente, n'est pas loin de ce cinéma muet qui a fait aussi la gloire de l'Allemagne de Weimar.
Car, ensuite, ce roman nous emmène dans l'Allemagne de Weimar. Cette jeune République, pratiquement morte avant d'avoir vécue, détruite, anéantie en 1933. le contexte historique précis est signalé par l'auteur de manière très très légère. de temps en temps, à deux ou trois reprises, il évoque le conflit entre communistes et nazis, dans cette Allemagne, il évoque aussi l'antisémitisme, je dirais même un certain marquage, mais cela reste fugace et secondaire, voire même moins que secondaire.
Ce qui est revivifiant, je dois justifier mes qualificatifs d'introduction, est le coeur de ce roman magnifique.
La vie d'un jeune couple plongé dans un quotidien médiocre, difficile, pauvre mais pas tant que ca (par moments), continuellement en proie à la précarité, le spectre du chômage, le comptage des sous qui restent ou pas. Si ce couple a vécu il y a près d'un siècle, et que ce roman a été écrit il y a..., son auteur est mort en 1947..., il y a là une actualité, une contemporanéité, une modernité saisissantes.
Nous suivons la vie au quotidien de ce petit couple, banal, médiocre (ôtons le péjoratif de ce terme et laissons lui le sens "moyen"), amoureux, mais un peu benêt quand même, courageux certes, mais peu réfléchi. Il est sympathique et l'écriture de
Hans Fallada épouse parfaitement l'empathie que le lecteur ressent.
Mais cela est détail car
Hans Fallada veut montrer son Allemagne de Weimar entre la déflagration de la crise économique de 1929-30 et l'arrivée du monstre nazi en 1933. Et son oeuvre est alors d'une finesse, d'une intelligence qui la rendent universelle.
En effet, Hans, le Môme, est employé dans un magasin de vente Mandel, au rayon de vêtements (genre les Galeries Lafayettes...). Et d'un coup surgit, un gars grassement payé qui va rationaliser tout cela. Et qui met les vendeurs en concurrence et au pourcentage.
Cela nous rappelle forcément quelque chose. Aujourd'hui encore, les hôpitaux par exemple. Il faut faire du chiffre. Les managers décrits dans ce livre sont les répliques exactes des managers d'aujourd'hui, maniant le froid et le chaud pour mieux tenir leurs employés. Ce ne sont pas des monstres, ils veulent juste faire tourner l'entreprise, pour son bien. Car le bien de l'entreprise, c'est le bien de ses salariés.
Ces pages sont en miroir criantes de vérité, de cruauté, et de découragement : quoi ? depuis ? toujours pareil ?
Pourquoi ce livre m'est apparu précieux et dynamisant ?
D'abord pour son auteur,
Hans Fallada, qui a été une montagne de souffrances et de douleurs, mais qui écrivait tellement simplement, tellement précisément, tellement nettement, tellement gentiment.
Pour ses héros, qui quoique médiocres, ont l'empathie et la sympathie de leur auteur, et celui-ci, par sa plume légère et fine, et claire, sait nous faire partager ses sentiments.
Parce que cette histoire est devenue quasiment intemporelle (les gilets jaunes), sauf qu'alors manifester n'existait pas vraiment. D'ailleurs, il l'écrit, si tu veux te rebeller, tu votes communiste ou nazi. Les choses sont celles-ci.
J'ai aimé ce livre car il dépasse son cadre spatial (l'Allemagne, Berlin) et temporel.
D'où mes trois qualificatifs d'entrée : reposante (car l'écriture est limpide et la construction rigolote), revivifiante car elle donne du courage et du dynamisme (on arrête de pleurnicher et de se plaindre, ce que ne font pas les héros et pourtant) et enrichissante car grâce à
Hans Fallada, ou Thomas Bernhadt, ou
Imre Kertesz,
Thomas Mann,
Heinrich Mann, que de belles lectures encore à vivre.