AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782213721712
300 pages
Fayard (05/01/2022)
3.81/5   24 notes
Résumé :
« Le secret, c’est de s’inquiéter pour quelqu’un. » Entre Raphaël, son frère abîmé, sa mère, qui semble lui cacher quelque chose d’essentiel, et son père, avec qui elle n’est jamais parvenue à communiquer, Zoé ne manque pas de sujets de tourments. Travaillant le temps d’un été dans la ville côtière où elle a grandi, elle tente tant bien que mal de rassembler les éléments disparates de son existence. Mais c’est la réapparition d’Émilie, la fille étrange qui l’a tou... >Voir plus
Que lire après Nos mains dans la nuitVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
3,81

sur 24 notes
5
7 avis
4
4 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Une si longue absence

Avec son second roman Juliette Adam replonge en enfance. Bouleversée par le retour d'Émilie, cette «meilleure» amie si fascinante et si mystérieuse, elle va tenter de comprendre comment sa vie s'est construite à l'aune de celle de sa voisine.

Pour parler de Zoé et d'Émilie, il vaut peut-être mieux commencer par dire quelques mots de leurs mères. Lisa avait 18 ans lorsqu'elle a fait la connaissance de Morgane. À compter de ce moment, les deux femmes ne sont plus quittées, même si leur parcours professionnel était bien différent. Elles ont trouvé une colocation dans un appartement situé dans une ville côtière de Bretagne et tandis que Lisa partait à Rennes pour y suivre des cours de journalisme, Morgane travaillait à Bricorama. Quand un homme est entré dans leurs vies respectives, elles ont trouvé deux pavillons qui se faisaient face. Mariage et enfants ont suivi. Et Zoé est née avec une semaine d'écart d'Émilie, dans le même hôpital. Les deux filles ont alors grandi ensemble, même si là encore, leurs personnalités étaient bien différentes. Pour Zoé, la fille et la mère ont quelque chose de fascinant, d'étincelant. «Elle portait une telle lumière en elle. J'avais l'impression qu'elle pouvait venir à bout des ténèbres les plus tenaces, éclairer les profondeurs, tenir à distance la noirceur. Morgane me faisait l'effet d'un ange qui errait sur terre depuis bien trop longtemps et qui pourtant n'arrivait toujours pas à s'en lasser. Elle me montrait qu'on pouvait vivre autrement, qu'un ailleurs était possible, sans même avoir à partir.» Ajoutons que l'aura d'Émilie gagne encore un intensité grâce à son don de voyance. Ses prémonitions s'avéraient souvent justes, annonçant le décès prochain d'une grand-mère ou encore la catastrophe de Fukushima. Mais au fil des jours les liens se distendent entre la première de classe et la marginale. Jusqu'à ce jour où, de retour de voyage, Zoé découvre un panneau «maison vendue» sur le pavillon d'en face et apprend que ses voisines sont parties «dans le sud».
Commence alors une longue période sans nouvelles. Malgré tous les efforts déployés par Zoé, elle n'entendra plus parler de son ami, ni de sa mère.
Et soudain, comme le chapitre initial nous l'a appris, Émilie est de retour, comme si elle avait toujours été là, retrouvant son ami dans le salon de thé où elle travaille régulièrement.
Juliette Adam rend parfaitement bien l'état d'esprit de sa narratrice, entre l'émerveillement et l'incompréhension. Elle sent qu'elle est manipulée, mais veut croire que leurs liens sont très forts. En fait, elle est aveuglée par un attachement qui vire à l'obsession, qui l'empêche de construire une vie qui ne tiendrait pas compte d'Émilie. le tout sur fond de mystère, de ce trou noir – cette si longue absence – dont elle va tenter de comprendre la cause.


Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          370
Au départ, tout fonctionne à merveille entre la famille de Zoé et celle d'Émilie, leurs mères, Lisa et Morgane sont les meilleures amies du monde et ce depuis leur rencontre. Elles ont tout vécu ensemble, jusqu'à leur grossesse, donnant parfois l'impression que leur amitié presque amoureuse tant elle est fusionnelle flirte avec la toxicité.

Le père de Zoé est marin, donc souvent absent, son frère Raphaël dont elle fut proche durant l'enfance a brusquement pris ses distances, avant de se perdre dans les amitiés dangereuses, la petite délinquance…

Émilie n'a pas connu son père, elle ne sait même pas de qui il s'agit. Elle est « différente » comme on dit, hypersensible, elle ne supporte pas qu'on la touche, elle est harcelée à l'école, car elle fait des rêves prémonitoires qui poussent les autres à la traiter de sorcière. Brave petit soldat Zoé veille.

Tout ce fragile équilibre explose un jour, sans crier gare Émilie et sa mère sont parties sans laisser d'adresse. Zoé a très bien compris qu'il s'est passé quelque chose de grave entre leurs mères, mais c'est l'omerta avec tous les dégâts que cela engendre. Peu à peu elle va rejeter cette mère qu'elle juge coupable.

Alors qu'elle était très bonne élève, sociable, aimée de tous, elle est tellement désorientée par ce départ, qu'elle devient l'ombre d'elle-même, se lancera dans des études de théâtre sans conviction, vivant de petits boulots ; seul son ami Tristan arrive à la maintenir en vie (mode survie plutôt) en lui proposant même de jouer dans le court-métrage qu'il commence à tourner.

Lorsqu'elles se revoient quelques années plus tard, travaillant dans le même café-restaurant, Émilie est réticente, néanmoins, des liens se retissent mais il est hors de question que Zoé en parle à sa mère.

Juliette Adam nous raconte une très belle histoire d'amitié, sur fond de secrets, de vies bouleversées, de liens familiaux qui se tendent jusqu'à l'extrême. Elle analyse avec beaucoup de sensibilité les liens entre les deux jeunes filles, les différences, l'hypersensibilité de l'une, l'autre qui se transforme en mère Térésa, hyper-protectrice avec les autres, se négligeant elle-même, la présence symbolique ou physique du père, les couples trop fusionnels, sur fond de dépression…

Elle parle également avec finesse de la fascination de Zoé pour la mère d'Émilie, tellement plus flamboyante que sa propre mère, et des difficultés que cela peut entraîner, tant pour se construire que pour la possibilité de pardonner.

J'ai beaucoup aimé ce roman, les personnages sont bien analysés, ont de la profondeur, l'auteure ne sombre jamais dans la mièvrerie, ou la romance. Juliette Adam parle très bien de la fragilité des êtres, de leurs fêlures, qui finalement viennent faire écho aux nôtres, dans ce monde moderne si compliqué.

Je n'ai pas lu son premier roman, car j'étais un peu réticente, je méfie toujours un peu des filles ou fils de… et il se trouve que j'aime bien le style d'Olivier Adam dont j'ai lu plusieurs romans, et je n'ai pas eu le réflexe de comparer, je me suis laissée porter par le récit et j'ai passé un bon moment.

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Fayard qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteure.

#Nosmainsdanslanuit #NetGalleyFrance !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
Commenter  J’apprécie          330
J'aime les histoires de femmes entre elles. de tout ce qui se joue dans les amitiés féminines. Dans ce roman de Juliette Adam, il y a les mères et les filles. Les pères sont peu présents voire carrément absents. Lisa, Morgane, Zoé et Émilie c'est un quatuor où tout le monde finira par jouer solo. Un peu sorcière, un peu paumée, chacune tente de tracer un chemin en s'appuyant sur l'une puis sur l'autre.

Il n'y a aucune idéalisation. Dès le début, on pressent que quelque chose ne va pas. Que les affinités sont déséquilibrées. Que ça ne peut pas tenir à ce rythme, à cette intensité. Que la rupture est proche. Des amitiés sur ligne de crête. Ces deux femmes se regardent dans leur rôle de mère. Et les deux filles sont-elles vraiment amies ? L'une admire l'autre, la craint, cherche à percer le mystère de sa solitude. Un départ précipité et tout sera à jamais changé.

Juliette Adam souligne le difficile passage à l'âge adulte. L'émancipation qui passe par une rupture plus ou moins assumée avec la mère. Par le moment encore plus délicat où il faut regarder ses parents en adultes. Elle le fait avec beaucoup de finesse. Sans être totalement emportée, j'ai malgré tout aimé mon séjour sur une plage bretonne en compagnie de femmes en quête d'elles-mêmes. Et d'hommes au second plan qui ne savent pas si leur place est là où ailleurs.

Commenter  J’apprécie          60
Zoé et Emilie se connaissaient depuis l'enfance. Nées à quelques jours d'intervalle, leurs maisons l'une à côté de l'autre et leurs mères discutant souvent ensemble, elles ont tissé une relation qui intriguait tout le monde entre amour et amitié. Emilie c'était la fille étrange, avec des dons qui faisaient peur. Zoé elle c'était la fille sans histoire, un peu paumée et en perte de repères avec un entourage compliqué entre sa mère qui lui cachait des secrets, son père qui n'arrivait pas à communiquer et son frère abîmé par la vie. le jour où Emilie a disparu avec sa mère sans laisser de traces le monde de Zoé s'est écroulé, la plongeant dans une spirale de tristesse, de colère et de désespoir la poussant à commettre des actes qu'elle regretterait plus tard. Elle voulait se faire souffrir autant que le départ d'Emilie la faisait souffrir et six années lui auront permis de faire le point et de tenter de se reconstruire. Une reconstruction qui passera à l'âge adulte par un nouveau boulot, le temps d'un été, dans la ville côtière de son enfance. Mais alors que l'avenir semble un peu plus doux pour elle Emilie réapparaît, entraînant avec elle un raz-de-marée d'émotions chez Zoé ...



Ce roman est aussi singulier que la plume de son autrice et ne ressemble vraiment à aucun autre ! L'ambiance est lourde et le ton est donné dès le début. On sait que l'histoire de ces deux personnages est difficile et que cette relation fusionnelle à mi chemin entre l'amour et la haine va les faire souffrir et donc potentiellement nous aussi nous faire souffrir en tant que lecteurs. Et pourtant la plume de Juliette Adam réussit à amener un peu de douceur et de poésie à des moments clés, rendant le récit plus léger et nous permettant de prendre un peu de distance. Je ne me suis pas attachée aux personnages car je ne les comprenais pas (j'ai du mal avec les relations à tendance toxique), mais je me suis pourtant trouvée très touchée face au cri du coeur de Zoé au travers de laquelle on ressent toute la difficulté de passer de l'adolescence à l'âge adulte quand on n'a pas ou peu de repères ... Ça ne plaira pas à tout le monde mais je vous invite quand même à vous laisser tenter et à découvrir au passage cette jolie plume prometteuse !
Commenter  J’apprécie          10
On peut être « fille de » et avoir un talent fou. En effet, il s'agit du deuxième roman que je lis de Juliette Adam et je suis de nouveau sous le charme. J'ai même eu d'ailleurs un gros coup de coeur pour ce roman qui m'a fait passer par de multiples émotions… le genre de lecture que l'on ponctue par des « mais qu'est-ce que c'est bien » ou des « c'est un régal », et pour laquelle on laisse le reste tomber sans hésiter, pour quelques heures privilégiées… Zoé est une jeune étudiante, venue passer l'été en famille, dans la ville côtière où elle a grandi. Elle travaille pour la énième année consécutive comme serveuse dans un salon de thé. La solitaire Zoé, ancienne enfant populaire, devenue une jeune fille pleine de doutes, est constamment traversée de pensées parasites et d'inquiétudes. Emilie, son ancienne voisine, presque sa soeur, qui était là pendant sa jeunesse a déménagé brutalement il y a quelques années, et a littéralement disparu. le mystère autour de ce départ précipité hante depuis son esprit. Mais Zoé s'inquiète aussi beaucoup pour son frère, instable, pour sa mère, fragile psychologiquement et s'interroge sur ce père, qui semble absent même lorsqu'il est là. Heureusement, son ami Tristan l'entoure de son amitié, avec son projet de court métrage, et sa certitude pour ses talents d'actrice. Lorsqu'Emilie refait tout à coup son apparition, tout est chamboulé. Zoé va-t-elle enfin avoir des réponses ? Va-t-elle de nouveau pouvoir respirer et profiter d'une jeunesse, qui pour l'instant semble lui échapper ?… J'ai été émue par ce personnage, et par les paysages que Juliette Adam nous fait traverser. Elle s'intéresse là à une période extrêmement fragile de la vie. Etre jeune adulte, c'est parfois regarder ainsi son passé comme un objet un peu encombrant, vaciller sur un présent étroit et beaucoup douter de l'avenir, cette chose informe et incertaine. Ce roman est sans concessions mais également d'une grâce certaine. C'est poignant et troublant. Un très beau roman.
Lien : https://leslecturesdantigone..
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Morgane a toujours représenté à mes yeux ce que la vie pouvait avoir de plus étincelant. Bien plus que ma mère. Elle portait une telle lumière en elle. J'avais l’impression qu’elle pouvait venir à bout des ténèbres les plus tenaces, éclairer les profondeurs, tenir à distance la noirceur. Morgane me faisait l’effet d’un ange qui errait sur terre depuis bien trop longtemps et qui pourtant n’arrivait toujours pas à s’en lasser. Elle me montrait qu’on pouvait vivre autrement, qu'un ailleurs était possible, sans même avoir à partir. Malgré tout ce qu’elle avait traversé, elle restait toujours de bonne humeur, n’élevait jamais la voix, ne s’employait qu'à rire et inventer de nouveaux moyens de nous amuser, toi et moi. Elle faisait en sorte que chaque jour porte en lui une part de magie et je comptais sur elle pour veiller à notre bonheur. Tout était possible. On pouvait découvrir une piscine gonflable remplie de canards en plastique, de paillettes et de Barbie en bikini au beau milieu du jardin. p. 57
Commenter  J’apprécie          140
(Les premières pages du livre)
Je te connais depuis que je suis née. Je ne pense pas que tu t’en sois vraiment rendu compte. Tu m’as toujours donné l’impression que ta vie était ailleurs. Que tu évoluais dans ton monde, un lieu caché, quelque part dans les plis des draps ou le vide d’un double vitrage, ce genre d’endroit inaccessible où tu te trouvais à l’abri de moi, à l’abri de tout. Mais moi, je ne voyais que toi. Tu étais si saisissante avec ton air grave. Si magnétique. Tous tes gestes respiraient la majesté, un seul mot de toi suffisait à me fasciner et je passais des semaines à y repenser, à faire tourner en boucle tes paroles dans ma tête. Elles devenaient prophétiques à force d’être répétées. Tu ne pouvais pas t’empêcher de rendre solennel ce qui ne l’était pas. Tu creusais de minuscules sépultures au beau milieu du potager, y enterrais avec soin les fourmis que tu avais écrasées par inadvertance, du bout de tes sandales roses. Tu lançais des avions en papier pour prévenir les oiseaux de l’arrivée de l’hiver. Tu guettais le facteur chaque matin, assise sur une minuscule chaise que tu installais sous le pommier, juste derrière la barrière en fer rouillé de ton jardin. Quand tu l’apercevais enfin, tu t’autorisais à sourire, et lui remettais en soupirant un bouquet de mourons rouges, lui lançant qu’aujourd’hui encore, grâce à lui, le soleil n’allait pas s’écrouler. Ma mère jugeait toujours comiques tes saillies théâtrales, mais moi, je demeurais désarmée devant tes rituels, devant tes règles qui n’obéissaient à rien de ce que je connaissais. Je détestais ça. Ne pas savoir. Ne pas comprendre. À cet âge, être la plus brillante de ma classe, même en première année d’école primaire, était devenu une donnée que je tenais pour dérisoire, mais à laquelle j’étais secrètement accrochée. Tout ce qui pouvait me démontrer que les adultes se trompaient sur mon compte me terrifiait. Et tu en étais la preuve vivante. Toi et tes mystères. Toi et ta peau transparente. Toi et tes yeux de fantôme. J’avais peur. Peur pour toi, peur qu’il t’arrive quelque chose. Tu étais du genre à tomber d’une falaise par inadvertance, trop occupée à poursuivre une aigrette de pissenlit dansant dans le vent. Du genre à ouvrir la portière de la voiture en pleine autoroute, juste pour avoir un peu plus d’air. Du genre à proposer de jouer à qui tiendrait le plus longtemps la main à plat sur une plaque chauffante, sans y voir aucun danger. J’en faisais des cauchemars. Tu mourais, sans cesse, tu mourais, mourais, mourais sous mes yeux, et je ne pouvais rien faire à part te regarder souffrir en silence et écouter ta mère m’accuser de ne pas avoir été à la hauteur, de n’avoir été qu’une déception pour tout le monde. Pourtant, à l’époque, j’aurais fait n’importe quoi pour te sauver. Tu dois me croire. Chaque fois que je posais mes yeux sur toi, une part de moi me disait que je te voyais pour la dernière fois. Je t’observais avec la plus grande attention, mémorisais chaque centimètre de peau, chaque plissement autour des yeux, chaque tressautement de sourcils, je m’abreuvais de toi comme si je voulais imprimer ton visage pour toujours et me promettre de ne jamais l’oublier. Je m’attendais à tout de toi. Tu avais tes coups d’éclat venus d’une autre planète, mais tu passais la majorité du temps à te taire, en fixant le vide. Et je pense que c’était ça qui m’inquiétait, me poussait à être constamment sur le qui-vive. Je te savais capable de commettre une connerie à n’importe quel moment. Je ne compte plus le nombre de fois où tu as été à deux doigts de te tuer. La fois où tu as traversé la route les yeux fermés. Celle où je t’ai fait recracher les pilules contraceptives de ta mère. Celle où tu as trouvé un cadavre de lapin dans le jardin et lui as arraché le cœur, avec un air étonné. Tu te mettais continuellement en danger. Tu courais dans le jardin, un couteau de cuisine à la main, enfonçais des stylos dans les prises électriques, mettais tes mains dans le four brûlant, glissais la tête la première dans la baignoire remplie à ras bord, te retenais de respirer jusqu’à ce que tu t’évanouisses. Tu gobais les œufs d’oiseaux tombés de leur nid, te rasais une partie des sourcils, suivais des inconnus, leur prenais la main avec fermeté. Tu ne te rendais jamais compte de rien. Et moi, je te surveillais tout le temps. Je devais être là pour ramasser les débris que tu laissais sur ton passage. Je me disais qu’un jour tu te volatiliserais, comme ça, sans prévenir. Tu te débrouillerais pour te dissoudre dans l’air, ne laissant plus que le vestige de ta présence, une sorte de brume épaisse qui alourdirait tout et serait toujours à mes côtés, des années après ta mort. J’ai tellement anticipé ce scénario que je m’étonne de te savoir encore en vie, même si je n’ai plus aucune nouvelle de toi. Je m’attendais à des signes qui ne sont jamais venus. Tu t’es contentée de sortir de ma vie de la façon la plus banale possible. C’est triste à crever. Mais qu’est-ce qu’on peut bien y faire ? Tu sais, après ton départ, j’ai mis une éternité à comprendre d’où venait ce calme qui creusait ma poitrine. Tu as emporté avec toi mon inquiétude, celle qui n’était tournée que vers toi. Tu as fait disparaître cette anxiété qui m’a toujours accompagnée, me rongeait sans que j’y puisse rien. Tu as capturé mes frayeurs et mes rêves d’enfant. Tout ce qui faisait ce que j’étais. Tu me l’as volé, Émilie. Et je ne te pardonnerai jamais ça.
Commenter  J’apprécie          10
Tu ne le sais sûrement pas, mais nous sommes nées à une semaine d’écart, toi et moi, en pleine canicule. Dans le même hôpital. Je ne sais pas si c’était dans la même chambre. C’est ce que nos mères nous disaient en tout cas. Elles se connaissaient depuis leurs 18 ans et ne s’étaient pas quittées depuis. Elles avaient vécu un moment en colocation dans un studio près de la gare, coincé entre une crèche et une station-service. Ma mère était étudiante en journalisme, la tienne vendeuse dans un Bricorama. La mienne suivait ses études à Rennes, elle prenait tous les jours le TER de 6 h 57 pour s’y rendre, le même que je prends aujourd’hui pour rejoindre mon université et mon studio, à la fin des vacances ou du week-end. Ma mère ne voulait pas vivre dans une grande ville. Elle se sentait trop petite, pas assez au courant du monde, constamment jugée pour son ignorance, pour son manque de modernité. Elle étouffait. Surtout dans les amphis. Même si elle ne me l’a jamais avoué. Très vite, elle a trouvé un poste de rédactrice dans un magazine féminin, le genre à zoomer sur la cellulite des actrices, à commenter la vie sentimentale des chanteuses, à s’extasier sur les potins de la famille royale anglaise. Elle était responsable de la rubrique des tenues de stars sur les tapis rouges des Oscars, des Golden Globes ou de la Fashion Week. Elle pouvait écrire ses articles à la maison, ce qui lui permettait de n’effectuer le déplacement à Rennes qu’une fois par semaine. Ça lui allait très bien. Elle y travaille encore aujourd’hui. Elle est devenue la rédactrice en chef des pages mode, a gravi les échelons, naturellement, petit à petit, sans se presser. Elle ne rêve pas de plus. Elle ne rêve pas beaucoup, ma mère. Elle se contente de ce qu’elle a, depuis toujours. La tienne, au contraire, n’a jamais perdu ses espérances. Elle n’a pas arrêté d’enchaîner les petits boulots, comme elle le pouvait, dans l’espoir de monter sa propre boutique un jour. Combien de fois j’ai aimé l’entendre me raconter ses aventures de cueilleuse de pommes, femme de chambre dans un hôtel quatre étoiles, sondeuse en ligne pour des marques de sodas bretons, testeuse de bougies parfumées, dog-sitter, livreuse de sushis, distributrice de prospectus pour des montres de luxe, sexeuse de poussins, nettoyeuse d’écran de cinéma et même modèle nu pour des étudiants d’art, autant de métiers qui lui ont appris différentes manières de voir le monde, comme elle disait. Sa vie me semblait tout droit sortie d’un roman picaresque. À des années-lumière du quotidien sans vie de ma mère. Pourtant, elles s’entendaient à la perfection, c’était presque effrayant de se dire qu’elles avaient un jour pu vivre l’une sans l’autre.
Commenter  J’apprécie          10
Mon père n’était pas doué pour les mots. Pour la tendresse, pour l’affection, pour l’attachement. Pour nous montrer qu’il savait qui on était. À l’époque, il travaillait déjà comme conducteur de porte-conteneurs, souvent en direction du port de Shanghai, de Singapour ou de Ningbo-Zhoushan. Il partait un mois, téléphonait de temps en temps, et puis il revenait. Il ne parlait pas de ce qu’il voyait là-bas. Il ne parlait pas de l’océan, des tempêtes, des couchers de soleil, des orages et de la lumière. Il ne parlait pas des gens qu’il rencontrait, des marchandises qu’il acheminait. Il n’avait pas l’air de s’intéresser aux pays qu’il visitait. C’était le boulot, c’est tout. Pas la peine d’en faire tout un plat. Il se reposait dans un hôtel, le plus proche du port possible avant de refaire le chemin vers la France, pressé de retrouver les bras de sa femme. Quand il était en ville, il s’enfermait avec ma mère dans la chambre, s’en allait ramasser des couteaux sur les plages sauvages, fumait sur la terrasse, tentait de lire un Zola qu’il ne finissait jamais, partait boire des coups avec ses collègues sur le port, toujours sur le port. J’avais l’impression qu’il ne pouvait pas s’en éloigner trop longtemps. Mes parents s’en allaient le temps de leur traditionnel week-end en amoureux à Étretat, nous laissant chez Morgane et toi, pour mon plus grand plaisir. Et puis, il retournait en mer. Il était absent de nouveau, et chaque fois je l’oubliais un peu plus. Chaque fois, j’étais encore plus surprise quand il rentrait, comme si mon cœur de gamine pensait que, s’il nous abandonnait, c’était forcément pour de bon. Les pères ne reviennent jamais dans les livres pour enfants. Les orphelins et les abandonnés le restent, ils trouvent une nouvelle famille souvent, mais n’attendent jamais de leurs disparus qu’ils reviennent. Je n’espérais pas son retour, je ne me languissais pas de ses absences. J’avais déjà bien assez à faire avec toi. Cela vient peut-être du fait que mon père ne jouait pas vraiment avec nous, contrairement à nos mères, qui connaissaient tout de nos goûts, savaient ce qui faisait briller nos yeux de petites filles.
Commenter  J’apprécie          10
Ma mère ne pouvait pas supporter de vivre éloignée de Morgane, sa sœur, son adorée, sa moitié. Je crois que ça emmerdait mon père, cette proximité entre elles. Il n’en a jamais parlé. Pas devant moi, en tout cas. Mais il ne parle jamais de rien, mon père. Encore aujourd’hui, il reste une sorte de statue sans vie à mes yeux.
Commenter  J’apprécie          30

Videos de Juliette Adam (II) (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Juliette Adam (II)
Lire et écrire avec Juliette Adam
Les plus populaires : Littérature française Voir plus
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus


Lecteurs (62) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3662 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..