Premier volet d'une serie de cinq romans consacré à l'Islam (Le quintet de l'Islam) et son influence à travers les âges, cet opus commence en 1153, en Sicile, terre somme toute assez tolérante, où les cultures Chrétienne, Juives et Musulmane se marient de façon relativement respectueuse, sous la tutelle du Sultan Rujari, ou Roi Roger II, descendant de conquérants Normands s'étant taillé un fief en Italie du sud.
Je suis extrêmement partagé sur ce bouquin… d'un côté l'Histoire, le meilleur des scénarios comme d'habitude. En fin de règne notre bon Roger II faibli, tant physiquement que mentalement, laissant peu à peu de la place pour les évêques chrétiens intégristes tolérant très mal cette cohabitation intelligente. Ce dernier vendra progressivement son âme pour maintenir sa succession au trône, sacrifiant un proche musulman sur l'autel de la bêtise humaine. Bien entendu ces derniers, pas franchement d'accord, finiront eux aussi par mettre le feu à quelques gens d'église, et une nouvelle phase de guerre reprendra de plus belle.
Ce contexte est bien documenté, bien narré (bien qu'étant tout sauf exhaustif), distillé au fil des pages de manière assez légère mais efficace, et permet une compréhension globale de cette Sicile au fragile équilibre du XIIeme siècle. Bon point donc.
Et puis de l'autre côté, l'histoire (petit h, grosse déception) qui brode une relation entre le souverain et le cartographe et savant Al-Idrisi, deux personnages ayant existé, et ayant eu des relations amicales et fortes, menant à l'écriture du “Livre de Roger”. Ça c'est la partie sympa.
Le reste est franchement pénible à lire, étant rempli de la libido envahissante et des atermoiements incessants du scientifique, mêlant volontiers échangisme et complaisance de cocu (avec un roi ou un émir quand même). Voila quoi, des femmes qui lui supplient de leur faire des gosses et dont il tombe amoureux, et qu'ils couchent 5 fois dans la nuit, pendant que la fille cachée jubile de tout ces mouvements de grande romance etc... sa vie, ses gosses, ses terres, ses innombrables aller/retour Syracuse/Palerme… Bref on s'en tape et ça n'a selon moi rien à faire ici, surtout que la vie privée d'al Idrisi est semble il très méconnue, à se demander d'où sort tout ce tumulte digne d'amour gloire et beauté. Quand bien même ce serait vrai ça reste vraiment peu passionnant, malgré la plume relativement agréable d'Ali.
Double effet de ce babillage : déjà fortement réduit dans le temps et l'espace, le livre stagne. Ça n'avance pas, la vie privée prend trop d'importance par rapport au reste, et on attend les passages intéressant avec grande impatience. J'ai franchement été frustré de pas pouvoir en lire plus sur les jeux de pouvoir autour du trône, des révoltes latentes ou d'autres choses liées à ce passage de l'Histoire.
Très sceptique aussi quand à l'impartialité de l'auteur. le chrétien en dehors de Roger II est malfaisant, ne pense qu'a asservir le musulman, le convertir ou le réduire en cendre, alors que ce dernier n'est qu'amour, se fait cramer bien volontiers pour le bien de ses coreligionnaires voir prête sa femme pour qu'on lui fasse des gosses, et est bien sûr la grande victime des méchants chrétiens. J'admet une certaine part de vérité dans tout ceci, m'enfin faut pas pousser quand même.
Bref, je n'ai pas aimé. Je n'ai rien trouvé qui m'intéressais dans ce livre en dehors du contexte historique (malheureusement sous exploité) qui aurait mérité une plus grosse part de texte, et j'irais jusqu'à dire que je me suis ennuyé les trois quarts du temps. Et je passe en plus gentiment sur l'anachronisme du canon, qui rappelons le n'arrivera que dans environ 200 ans.
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Votre longévité dépendra de la façon dont vous déciderez de vivre après votre victoire. Si l'un de vous décide de devenir le seigneur de la terre et que les autres acceptent, vous ne durerez pas longtemps. Mais si vous travaillez ensemble, en partageant la nourriture et en veillant les uns sur les autres, comme faisaient beaucoup des nôtres aux temps anciens, votre communauté peut survivre. Un mode de vie qui protège les intérêts de tous est un mode de vie pour lequel on est prêt à mourir. Il est sans valeur, l'enseignement de ceux qui recourent aux lois et aux coutumes pour défendre une propriété qu'ils ont volée eux-mêmes, ou héritée de voleurs. Soyez audacieux. Oubliez-les. Ce que vous avez fait aujourd'hui vaut plus que toutes nos coutumes.
Au moment même où le bateau, profitant d'une brise inattendue, approchait de la baie de Syracuse, la lumière de la pleine lune tomba sur les ténèbres de la mer et y forma une prairie dorée. Si souvent et dans de si nombreuses eaux qu'il ait contemplé ce spectacle, Idrisi en avait toujours le souffle coupé. Regardant mieux, il vit les barques éclairées à la bougie qui sortaient en mer pour une nuit de pêche.
"Je ne comprends pas ce qui alarmait tant vos théologiens dans cette oeuvre.
- Je pense qu'ils ne pouvaient admettre cette promiscuité entre dieux et êtres humains, Commandeur des sages. Et l'idée de ces dieux créés à l'image d'hommes et de femmes était pour eux inacceptable. Je ne vois pas d'autre raison.
- Mais c'est ce qui fait le plus grand attrait de l'œuvre. Leurs dieux étaient partie prenante de tout ce qui se produisait : guerres, déluges, catastrophes, aventures dans le ciel et sur la mer, querelles de famille, naissances, mariages, morts, renaissances. Crois-tu que la femme du marin Ulysse, qui résista à ses prétendants terrestres, aurait pu succomber aux charmes d'un dieu? Je suis surpris qu'aucun n'ait essayé. [...] "
La première phrase est décisive. Il le savait d’instinct, et aussi pour avoir travaillé sur de vieux manuscrits. Comme les Anciens comprenaient bien cela, avec quel soin ils choisissaient leurs commencements et, avec quelle facilité leur travail devait progresser une fois cette décision prise ! Où commencer ? Par quoi commencer ? Il leur enviait les choix que leur monde rendait possibles, leur capacité d’aller chercher la connaissance où qu’elle pût se trouver.
Sa mère lui avait appris que les gens du Livre, en déclarant sans valeur tout le savoir antérieur à leurs propres prophètes, ne font que trahir leur ignorance. Elle lui avait raconté comment, lorsque la ville avait été prise par une engeance particulière de guerriers du Prophète –des hommes qui craignaient le savoir plus que la mort- , son grand-père à elle, un mathématicien très estimé de Qurtuba, avait été publiquement déchu et passé au fil de l’épée avec quatre-vingt autres savants. Les zélotes qui les avaient tués au nom de la religion désignaient les Anciens comme « le temps de l’ignorance », un monde dans lequel les gens n’étaient pas soumis à la nécessité d’adorer un seul dieu. Comme ils devaient blasphémer à cœur joie ! Un monde sans apostats. Il eut un sourire qui éclaira un moment son visage, puis il se rembrunit. [p. 11-12]
A mon sens - excuse-moi de te parler franchement -, la géographie n'a jamais été essentielle à la connaissance. La vraie connaissance surpasse toutes les cartes que tu pourrais faire. Car elle provient de ces tempêtes incessantes qui torturent notre esprit, comme les coups de fouet appliqués sur le corps nu d'un marin ou d'un prisonnier. Dans les deux cas, les blessures laissées ne cicatrisent jamais. C'est cette expérience de la vie qui nous instruit, maître Idrisi. Pas tes cartes. Comprends-moi bien : nous avons certes besoin de connaître la taille et l'étendue du monde, mais en elle-même cette connaissance est inutile. Ce qui importe, c'est ce que nous en faiusons.
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