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" SFFF ", " littératures de l'imaginaire " et beaucoup d'autres appellations contemporaines, qu'on n'utilisait pas il y a quelques minces années de cela encore, qui font donc très modernes et qui se réfèrent à des genres eux aussi très modernes et très en vogue en ce moment ne seraient-ils qu'un N-ième avatar de quelque chose de véritablement ancestral ? Je me rends compte — mais un peu tard, comme dit la fable — qu’on écrit de la littérature de l'imaginaire, fantastique, SF ou fantasy (comme vous voudrez) depuis des temps immémoriaux. Et même, avant d’en écrire, avant qu'on invente l'écriture, on en disait, et cela s’appelait des récits mythiques. Si je vous parle de cela, c’est qu’à la lecture de L’Enfer de Dante, j’ai le sentiment d’avoir lu un bouquin de SFFF, et pas forcément le meilleur que l’on puisse rêver. Les récits mythiques sont truffés de fantastique et d'imaginaire et Dante n’a, pour ainsi dire, fait que cela au travers de sa Divine Comédie, même si l’on n’appelait pas encore cela comme ça. Ce serait plutôt une forme de RF (pas République Française, bien sûr, mais Religion Fiction) car rien ne distingue formellement les images créées par Dante de celles des films dit fantastiques, d’horreurs, d’action, de Space Opera, d’Heroic Fantasy et consort. Certains gardiens des enfers, tels que décrits ici, semblent parfaitement avoir été illustrés dans les films de George Lucas ou dans des grosses productions américaines plus récentes (et j’allais ajouter " de bas aloi ", mais je m’en abstiens, car ce n’est pas parce qu’un genre me déplait que je dois y porter des jugements négatifs ou sévères). En somme, ce premier volet de la trilogie (vous voyez, ça fait tout de suite un petit côté Star Wars) de la Divine Comédie de Dante ne m’a pas du tout ravi. La structure en est très répétitive et, de chant en chant, on suit Virgile qui mène Dante de plus en plus profondément dans les entrailles de l’enfer. Chemin faisant, les descriptions de supplices s’accumulent et les exemples de suppliciés italiens des XIIIème et XIVème siècles sont d’un ennui absolu. C’est chiantissime à lire (rien à voir avec le chianti, qui lui se laisse boire sans déplaisir) et il est quasiment impossible de s’en sortir sans les notes (au passage, je salue la traduction de Jaqueline Risset et la qualité des éclaircissements qu’elle apporte et qui rendent la lecture, tant soit peu digeste). Petite précision sur ce que j'entends par chiantissime. Dans l'optique de son projet littéraire et de la " mission " qu'il s'attribue, il est tout à fait pertinent, au moment où Dante écrit son œuvre de faire référence à de grandes figures des guéguerres incessantes florentino-bologno-pisanes entre les guelfes blancs et les guelfes noirs, par exemple, et que les gens de l'époque avaient possiblement vus à l'œuvre dans leurs agissements. De même, n'oublions pas, pour ceux qui ont lu Le Nom De La Rose, par exemple, que Dante écrit en plein dans la période religieusement troublée des papes avignonais et des merveilles de l'inquisition qu'Umberto Eco a si bien su nous faire revivre. Mais sorti de ce contexte géographico-historique, les noms et les personnalités de ces individus perdent tout leur sens, et en cela, leur évocation également. Dans un écrit vieux de 700 ans, c'est ce qu'il y a d'intemporel qui est intéressant, le reste me semble juste... ennuyeux. Souvenez-vous, dans les années 1990, les querelles Chirac / Balladur, par exemple ; tout le monde en parlait, qui allait gagner, qu'est-ce qui allait en ressortir, etc. Aujourd'hui, tout le monde s'en fout et il a bien raison de s'en foutre, le monde. Il en est de même mon cher Dante de vos gugus d'il y a 700 ans. Par contre, ce qui m’a mieux plu et plus intéressée, ce sont les ponts que Dante a créé entre la littérature païenne pré-chrétienne (essentiellement grecque et latine) et les œuvres plus clairement référencées dans la mouvance du christianisme. L’auteur a façonné, peut-être sans le savoir et à l’inverse de ce qu’il espérait sans doute faire, un formidable outil de désacralisation de la religion en bâtissant un imagier des supplices qui nous attendent en enfer. Dans ce genre de matière, notre imagination est toujours plus forte que ce qu’on nous peut décrire. On a toujours tors de vouloir trop en dire quand il s’agit de " vérités " religieuses. J’irai même encore plus loin, si vous me le permettez. En lisant L’Enfer, le lecteur soupçonneux et ami du doute (même pour l’époque) voit dans cet outil de propagande chrétienne, pro-religion et pro-christianisme, finalement rien de bien différent d’un paganisme comme un autre, d’un sectarisme comme un autre, d’un boniment comme un autre. Ce que nous confirme le projet littéraire de Dante, c’est qu’il vivait dans une époque particulièrement troublée et sanglante. On n’imagine pas d’écrire un tel livre visant à l’édification des foules sur les misères qui les attendent en enfer s’il n’y avait pas matière, quotidiennement, à pratiquer ou à voir pratiquer l’infamie. Et cela, je ne doute pas que Dante ait pu en voir ou en entendre parler beaucoup. Enfin, un dernier mot sur l’impact fort qu’a eu cet ouvrage sur le scellement de l’identité italienne, au travers de cette langue, écrite et versifiée de cette façon pour la première fois avec autant d'éclat. Avant Dante, il y avait la langue vulgaire, après Dante, il y aura l’italien. Et l’italien sera reconnu, pour des siècles et des siècles comme la langue de Dante, comme il y aura plus tard, la langue de Cervantés, la langue de Shakespeare, la langue de Molière, la langue de Goethe ou la langue de Pouchkine. Un dernier mot encore avant que je n'aille rôtir en enfer, infecte athée que je suis, sur l'emploi du terme "comédie " dans ce registre qui peut être amusant, avec un certain recul mais qui n'avait pas nécessairement vocation à l'être, surtout à l'époque. Il est bien évident qu'en écrivant en langue vulgaire, l'auteur prenait le parti de ne pas faire un livre " noble ". En somme, même s'il avait devisé de droit ou, comme c'est le cas ici, de religion, sujets, par essence, pas spécialement drôles, il ne pouvait s'agir que de " comédie ", au sens, " écrit non noble rédigé dans la fangeuse langue de la populace et non le catholique latin des écrits sérieux ". Bref, un livre important dans l’histoire littéraire, dans l’histoire italienne et l’histoire des religions, peut-être aussi dans l’histoire de la SFFF, mais franchement pas ma tasse d’espresso. Au reste, ceci n’est que mon infernal et vicieux petit avis, c’est-à-dire, très peu de chose en vérité. + Lire la suite |