Millénaire mode d'emploi

Trois étoiles pour Ballard... que je tiens pour un des plus grands auteurs de SF (mais pas que...) du 20è siècle... comment se fait-ce?

Millénaire Mode d'Emploi porte mal son titre... et devrait contenir un mode d'emploi... un mode d'emploi pour accéder au mode d'emploi, en quelque sorte. le hic, c'est que le titre français est la traduction exacte du titre anglais... et alors...? Eh bien le titre anglais me semble mal choisi.

Par ailleurs, à l'exception de la 4è de couverture, peu d'explication sur le contenu du livre... et là, le bât blesse, car le livre est une compilation de textes écrits par le maître, himself, de 1960 à 1996 (la traduction est de 2006...). On note d'emblée que même en 1996, le lecteur peut se demander de quel millénaire on parle... a priori, le 3è millénaire. Mais la sélection de textes fait la part belle au passé (du moins dans une bonne moitié du recueil). Et la prospective ne vient que plus tard. Evidemment (je ne suis pas complètement idiot), il s'agit de regarder le passé pour construire les fondations du futur... Mais quelques mots de Ballard pour justifier, mettre en perspective, argumenter... les textes compilés, ce ne serait pas du luxe. D'autant qu'ils sont repris dans 9 catégories, et que certains ont déjà fait l'objet de parutions dans des compilations.

Les 9 thèmes sont
1- le cinéma: où Ballard exprime sont amour pour Casablanca, Brando,Blue Velvet... et Rambo II... qu'il n'a pas vu avec les mêmes yeux que moi (et je vais aller regarder le film de plus près),

2- les vies: où il est beaucoup question d'Elvis Presley, d'Hiro Hito ou de dirigeants chinois, car Ballard est définitivement orientophile...

3- le monde visuel: les surréalistes occupent le monde de Ballard, personne n'en douterait vraiment, d'Ernst à Dali (à qui il voue une admiration adorative sans borne), en passant par Paris ou Warhol... que du tout bon...

A ce stade, constatons que les textes montent en puissance. On sent la passion gonfler chez Ballard quand il parle des surréalistes. Mais pas mal de textes mériteraient une explication, surtout quand ils datent de 1960 ou 1970... Et de temps en temps on déniche une pépite, mais l'ensemble est moyen. On découvre quand même un Ballard érudit, extrêmement érudit mais humble aussi, qui avoue ses faiblesses.

4- les écrivains: de nouveau Ballard exprime son admiration pour ses pairs, c'est Miller, Sade, Burroughs... ben oui, aussi des surréalistes... Et Scott Fitzgerald. Et Nathanael West... incontournable pour Ballard.

5- les sciences: on tourne autour de la physique et des neurosciences, avec Einstein ou Cronin. L'ADN et la génétique fascinent Ballard.

6- une autobiographie: quelques saillies très drôles, caustiques, on retrouve un Ballard plus conforme à son image, taillant des croupières à des contemporains.

7- la science-fiction: le chapitre le moins convaincant (étonnamment) à l'exception de 2 textes, un sur l'espace intérieur (l'avenir de la SF pour Ballard) et un autre sur les cataclysmes, court mais percutant sur les aspects quasi psychanalytiques de l'écriture de SF.

8- des généralités: parmi lesquelles un premier texte très amusant sur Coca-Cola, un autre sur l'avenir des villes, et surtout... l'automobile. Un texte écrite en 1970 où Ballard se révèle un visionnaire incroyable, parlant de voitures sans conducteurs, de moteurs électriques, de GPS, etc. Brillant. C'est dans ce 8è chapitre que l'on a les textes les plus drôles et cyniques, engagés et enragés. Avec toujours cet humour British et se second degré impayable. Dernier texte très drôle aussi, avec des définitions sous forme d'aphorismes, comme "Culturisme: masturbation asexuelle, dans laquelle la musculature tout entière simule un morceau de tissu érectile. Mais l'orgasme semble indéfiniment retardé." ou "Epidémiologie: la théorie des catastrophes au ralenti." et j'en passe...

9- un texte sur la libération du camp où il a passé plusieurs années à Shanghaï. Très personnel, un peu guindé, sensible mais parfois un peu mièvre, je n'en garde pas un franc souvenir. Vaut surtout pour la justification des deux bombes atomiques... il serait presque apte à me faire changer d'avis, c'est dire s'il est finaud.

Tous ces textes ont été écrits (ou la plupart) dans des hebdomadaires ou des quotidiens, beaucoup sont des critiques de livres qui permettent à Ballard de divaguer et digresser sur son temps et son espace...