Bon appétit !
Il en faut pour mastiquer ce roman saignant dont le titre résume parfaitement l'histoire.
Je sais que ce billet a un petit goût de réchauffé car ce récit d'anticipation morbide a déjà rencontré un vrai succès et il a bénéficié d'un excellent bouche à oreille crue, en passant aussi par la brochette des petits doigts de nombreux Babeliotes. Mais tant pis, je ne suis pas le roi du micro-ondes des plats déjà cuisinés pour rien et je vous livre ma recette en drive.
Dans un futur plus ou moins conditionnel, tous les animaux et pas seulement ces pauvres pangolins, sont frappés par un virus mortel transmissible à l'homme. A défaut de masque, l'homme extermine toutes les bestioles de la surface du globe.
Sans plus aucun os à ronger et face à une demande carnée acharnée, l'humanité décharnée légitime puis réglemente le cannibalisme sans prononcer ce mot aussi indigeste qu'interdit. Bizarrement, ni l'auteure, ni personne n'a eu l'idée de rendre le véganisme obligatoire. Il y a des limites à l'horreur.
Pour que la morale soit sauve, les consciences apaisées et les estomacs rassasiés, après avoir d'abord mitonné les plus pauvres, les migrants, les vieux et les malades, un élevage de bipèdes avec le statut de « viande spéciale » est organisé.
Ce roman possède l'atmosphère d'une chambre froide. C'est la bureaucratie Kafkaienne au milieu des carcasses labellisées.
Marcos, le héros, travaille dans un abattoir qui met à mort le bétail humain dont on a coupé les cordes vocales pour leur ôter le langage et certainement la capacité de se plaindre à un syndicat. Une façon d'éviter la révolte des colis d'Amazones.
Marcos a conscience de l'atrocité de son quotidien, mais il doit continuer à travailler pour financer le placement de son père sénile. La perte de son enfant et le départ de sa femme l'ont vacciné contre toute sensibilité. Néanmoins, il finit par garder chez lui une femme promise à l'assiette. Au début, il ne sait pas trop quoi en faire mais il trouve rapidement le mode d'emploi et retrouve par la même une part d'humanité.
J'en reste à l'entrée et vous laisse découvrir le plat de résistance mais sachez que le comble du chic dans ce roman est de disposer dans les bonnes familles de sa propre créature pour la découper peu à peu tout en la laissant en vie pour réussir ses diners mondains. de la Pâta negra qui bouge.
La force du roman d'
Agustina Bazterrica tient pour moi à son ultra réalisme. Elle pousse le processus de deshumanisation de nos sociétés à son paroxysme, décrit la dictature du paraître, la capacité de chacun à se mentir pour accepter l'intolérable face à un système qui peut normer légalement des abominations, légiférer sous les hourras des horreurs, noyer la masse à l'eau tiède, et je peux continuer encore longtemps pour rendre cette phrase interminable.
Ce récit est aussi une fable. En tuant les animaux, c'est la fin de l'état sauvage et le triomphe de la domesticité de l'homme. L'auteure y glisse aussi un peu de poésie à travers les visites de Marcos dans un zoo abandonné.
J'ai lu dans plusieurs critiques que les âmes sensibles devaient s'abstenir. Il est certain que ce n'est pas du
Jane Austen mais je préconise au contraire au plus grand nombre d'ouvrir le menu.
Les scènes gores ne sont pas gratuites. Il ne s'agit pas d'une série Z avec un psychopathe armé d'une tronçonneuse chassant des étudiantes courtes vêtues dans une forêt mais de la description d'une inconscience collective poussée à son paroxysme. La construction du récit est habile et l'issue imprévisible.
Je suis omnivore, mais j'ai un coeur. A point. Pour ne pas virer au bleu après cette lecture, je continuerai à manger un peu de viande tout en évitant de donner un nom à mon steak.
Chérie, y'à quoi à manger ? Pour une fois, j'essaierai bien tes trucs verts qui ressemblent à des virus. Oui, des brocolis, c'est ça. Non, non, je vais bien.