Tout d'abord, je ne pensais pas qu'un numéro spécial sur cet auteur sorte un jour, donc rien que l'existence de ce Bifrost
Gene Wolfe et autres histoires me ravit prodigieusement.
Cet ingénieur, puis rédacteur pour une revue technique, est devenu écrivain à plein temps sur le tard. Gros lecteur depuis son jeune âge, d'abord avec les pulps, qui l'ont définitivement branché sur la SFFF (même le roman préféré de sa carrière,
Peace, qui est classé en littérature blanche, en relève !) puis sur beaucoup d'autres domaines, il acquiert une solide culture littéraire en plus de sa formation scientifique.
Ma première lecture fut la bonne : L'Ombre du bourreau. J'avais passé un très bon moment avec ce récit initiatique, mais c'était également le cas pour d'autres auteurs lus à la même époque. Tout juste se démarquait-il des autres par la profusion de mots rares. Mais ce n'est qu'en le relisant des années plus tard, que Wolfe est définitivement entré dans mon panthéon.
Cette caractéristique à vrai dire fort courante dans le domaine artistique, qui consiste à apprécier une oeuvre de façon répétée, est une évidence en musique ou dans les Beaux-Arts. Ca l'est nettement moins en littérature, déjà parce que ça prend plus de temps de lire un roman de 350 pages que de regarder un tableau ou d'écouter un album, et aussi parce que quand on connaît l'histoire à l'avance, ben c'est moins marrant quoi. La relecture est pourtant une nécessité chez Wolfe, du moins pour apprécier pleinement ses meilleurs récits.
Une des raisons est que certaines choses nous échappent à la première lecture. Mais il faut une grande connaissance de l'auteur pour oser une relecture dans ce cas. En fait c'est intentionnel de la part de Wolfe, alors quand à la deuxième lecture ça fait tilt, le plaisir n'en est que plus grand !
Une autre raison qui amène à relire, est que dans certaines de ses histoires, la révélation finale conduit à reconsidérer tout ce qui a précédé, et alors on replonge !
Lorsqu'on se prend au jeu, cela peut devenir addictif.
Passons aux quatre nouvelles de ce numéro.
L'Île du docteur Mort et autres histoires, de Wolfe, c'est le nom d'un bouquin que lit le jeune Tackman dès qu'il en a l'occasion, ce qu'il trouve beaucoup plus intéressant que sa vie réelle. Des extraits du livre entrecoupent l'histoire peu réjouissante de Tackman. Un bel hommage à l'évasion que procure la lecture ! La première fois, j'ai trouvé ce mélange un peu dur à suivre, et de plus un peu vieillot (ça date de 1970), mais maintenant chaque relecture est source d'émotion.
Les trois autres nouvelles offrent toutes de l'intérêt à des degrés divers :
Le Requin conceptuel, de Larson, tente d'introduire de l'horreur dans la vie quotidienne. Comme souvent dans ces cas-là, c'est affaire de feeling, et ça n'a pas vraiment pris pour moi.
Le Groom, de Seignol, est plaisant même si on devine un peu ce qui va se passer.
Enfin, La Cité du rire, de Nagamatsu, est prenant et pathétique à souhait, un poil excessif à mon goût cependant.
Le dossier sur Wolfe est très bien documenté et intéressant, surtout la biographie réalisée par le connaisseur Pascal
J. Thomas.
Quant à l'éloge inattendu d'
Ada Palmer envers Wolfe, ce n'est qu'un des exemples de l'influence qu'a eue l'écrivain sur quelques vedettes de la SFFF anglo-saxonne.
Bon, le gros gros regret : ne pas avoir eu une nouvelle inédite de Wolfe en français, il y en a des dizaines. Dommage, sans parler des romans (dont The Book of the Short Sun, son meilleur livre après le Livre du Nouveau Soleil).