Autre coupables, vos professeurs de lycée et le Baron Bich, inventeur du stylo-bille. Ils parlaient du haut de leur chaire, et vous preniez des notes, votre pointe bic courant sur le papier, "à perdre haleine" comme l'écrit Régis Debray quand il évoque ses souvenirs de terminale. L'industrie de la cellulose faisant chaque jour des progrès, et les enseignants ayant beaucoup à dire pour "boucler le programme", le stylo glisse de plus en plus vite, les jambages des m et des n font des vagues de moins en moins bien dessinées, les u et les v se confondent, à moins que ce ne soient les a et les e, selon l'écriture de chacun. Vos cahiers sont des torchons, mais qu'importe, "vous vous y retrouvez". Vos professeurs vous ont convaincu que le fond importait davantage que la forme. Au prétexte de transmettre leurs savoirs, ils ont assassiné l'orthographe, qui n'était plus une exigence consubstantielle à tout acte d'écrire mais une ennuyeuse préoccupation qu'il faudrait que vous ayez quand vous recopieriez vos brouillons de dissertation. Sinon, gare aux points en moins. Ils n'ont pas vu qu'ils étaient les premiers responsables de la baisse du niveau qu'ils dénonçaient. Ils se plaignaient des copies bourrées de fautes, mais ils apprenaient à leurs élèves qu'on peut n'y accorder aucune importance les trois quarts du temps. Pompiers pyromanes!
"Le niveau baisse", dit-on. La plupart des experts du système scolaire considèrent au contraire que le niveau monte. Mais pas en orthographe. C'est ce qui se dit, et je le crois volontiers, à en juger par l'orthographe de ceux-là même qui dénoncent la baisse du niveau. Journaliste, je suis amené à lire les écrits de députés, d'universitaires, de médecins, d'architectes, ou de mes confrères. J'ai souvent entre les mains les épreuves de leurs livres "avant correction", où se trouve donc leur texte avant que n'intervienne le correcteur. Je lis leurs courriers, leurs propositions de lois, leur articles. C'est effarant. L'un de mes ami, psychiatre et psychanalyste, écrivain, homme de grande culture, m'a avoué qu'il tirait les accords des participes passés à pile ou face. L'échec de notre système éducatif en la matière est patent. Et il est bien antérieur à la méthode globale ou aux tentatives, assez maladroites d'ailleurs, qui ont été faites pour intégrer un peu de linguistique moderne dans nos grammaires traditionnelles.
"Les premier et second degrés."
Un journaliste parle des élèves de l'école primaire, du premier degré, et des élèves de collège et de lycée, du second degré. Il y a donc le premier degré, et le second degré, et, pour éviter la répétition, il écrit "les premier et second degrés". Il utilise un correcteur orthographique et grammatical, qui repère une bizarrerie, "les premier" et propose "premiers". Le journaliste ne fait pas attention, et accepte la correction. L'ordinateur repère une seconde bizarrerie, "second degrés", et propose "second degré", accordant d'ailleurs le nom avec l'adjectif, degré avec second, au lieu de l'inverse. Et c'est ainsi que l'article est publié avec une double faute, due au correcteur. Moralité : gardez toujours un oeil critique, l'informatique ne remplace pas l'intelligence humaine !
L'interview de Pascal Bouchard de ToutEduc !