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EAN : 978B089T2FC46
129 pages
Flammarion (16/09/2020)
3.18/5   198 notes
Résumé :
Un matin, Greg découvre un reportage datant de plus de dix ans sur le combat, en 2019, d'une jeune femme aux nattes.
Alors qu'il est pris en étau entre Anton, son beau-frère pour qui il a falsifié les résultats d'une étude sur les pesticides, et Lucie, sa nièce engagée dans la lutte écologique, sa vision du monde change lorsqu'il rencontre Véra.
Un roman d'anticipation sur la dégradation du monde.
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
3,18

sur 198 notes
Six personnages en quête de vie meilleure

Philippe Djian nous raconte ce que sera 2030 à travers six personnages aux aspirations divergentes. Les uns se battent pour conserver leur statut, leurs privilèges, les autres pour sauver une planète qui n'en peut plus.

Greg ne se sent plus très à l'aise avec les petits arrangements que le laboratoire dirigé par son beau-frère s'autorise. Mais quand Anton lui demande d'effacer toutes les traces de leurs malversations, il s'exécute. Car il n'a pas envie de renoncer à son luxe, sa voiture de sport, sa maison au-dessus du lac. Après toit, cette étude sur les pesticides ne sera pas la dernière à être falsifiée. Ils font tous ça...
En revanche, il soutient Lucie, sa nièce de quatorze ans, qui s'est engagée avec passion dans le mouvement écologiste et se bat pour faire changer les comportements. Son modèle est «la fille qui voulait sécher l'école pour sauver le monde», une gamine avec des nattes «qui avait fait le tour des écrans de la planète» et qu'elle veut rencontrer pour parler «du chemin parcouru ces dix dernières années.» Bien entendu, toute ressemblance avec Greta Thunberg n'a rien de fortuit. Comme Philippe Djian l'explique dans un long entretien avec Didier Jacob publié dans L'OBS, il a trouvé «impressionnante cette petite nana» et a eu l'idée «d'imaginer comment ça allait se passer quand Greta aurait dix ans de plus. Alors ce n'est pas elle l'héroïne, dans le livre. Mais sa présence me permettait, au travers de la nièce de mon héros Greg qui veut l'interviewer dix ans après, de parler du climat qui me semblait le sujet intéressant. Et de me demander ce qui va se passer non pas dans un avenir lointain, mais tout de suite.»
C'est du reste l'autre point fort du roman. Ici pas d'inventions farfelues ou de découvertes fabuleuses. Comme 2030 va arriver très vite, ce sont par petites touches que l'on découvre ce futur. le climat s'est encore dégradé, les périodes de canicule devenant de plus en plus difficiles à vivre, certaines ressources deviennent rares et difficiles à se procurer. L'énergie sera aussi un problème, l'électricité produite ne pouvant couvrir la demande, la mobilité devant aussi être verte. Rouler en Porsche, comme le fait Greg, devenant presque un délit.
L'autre point fort du roman résidant justement dans l'évolution de ce dernier. Sa prise de conscience étant accélérée par sa rencontre avec Véra, libraire et éditrice engagée dans ce combat. Leur jeu de séduction et leur relation étant un peu à l'image de la société prise entre des enjeux et des intérêts contradictoires. S'il se rapproche de Véra et ses nièces, Lucie et Aude, il s'éloigne d'Anton et de sa soeur Sylvia, qui voit ses deux filles lui échapper.
Lucie l'affronte sur le terrain des idées, mais son aînée, Aude, est encore plus révoltée. Victime d'un grave accident, elle se déplace désormais en chaise roulante. Ce qui ne l'empêche pas de menacer de quitter le domicile familial, car elle ne supporte plus un conflit qui ne cesse de s'envenimer. Comme on le découvrira plus tard, elle est dépositaire d'un lourd secret qui pourrait faire exploser la famille recomposée. Jouant avec les niveaux du récit, Philippe Djian réussit encore une fois à faire monter en parallèle la tension qui agite la famille et celle qui met la société en émoi. Les uns se retrouvant brutalement au coeur de manifestations de plus en plus violentes. Qui ressemblent fort à un baroud d'honneur.
La tonalité du roman est en effet tout sauf optimiste. Ce monde de 2030 est désormais passé en mode «survie» parce que les intérêts particuliers ont gardé la main sur le bien général, parce que lentement mais sûrement la planète a inexorablement continué à se dégrader. Faisant en quelque sorte écho au Grand vertige de Pierre Ducrozet – qui faisait un constat tout aussi désespéré – les plus optimistes y verront un nouveau signal d'alarme, un aiguillon pour agir avant que la décennie qui vient ne donne raison au romancier.


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C'est le 33e Philippe Djian que je lis, et c'est peut-être celui de trop.
Pourtant, il débutait de façon intéressante car, une fois n'est pas coutume, Djian s'essaie ici à une forme de roman d'anticipation, en plantant son intrigue en 2030. Ce faisant, il nous décrit un monde digne des projections du GIEC, où les incendies succèdent aux déluges et où les pannes de courant sont fréquentes, mais où le progrès technologique permet des vacances virtuelles ou des véhicules volants. Mais une fois le cadre posé, on se coltine encore une histoire de famille chez les rupins, avec des relations humaines compliquées, des femmes indomptables qui font fait fuir les hommes ou les rendent fous, une ado rebelle qui s'engage pour l'environnement (wow !), un chef d'entreprise qui pense au profit au détriment de la santé publique (oh !), et une Greta T. de 30 ans qui a coupé ses nattes (et hop !).
Ca part un peu trop dans tous les sens pour moi, et j'ai eu du mal à m'intéresser à cette non-histoire ponctuée de non-dits. Je me suis trainée pour terminer ce roman, malgré son format court. Car le style m'a également laminée : la ponctuation limitée aux points et virgules, déjà utilisée dans ses précédents ouvrages sans trop me perturber, m'a cette fois lassée, d'autant qu'elle enlevait tout repère dans ma lecture et accentuait sa platitude.
En ce qui me concerne, ce livre ne vaut que par la description du monde qui nous attend si le système économique actuel se maintient. Mais si l'on souhaite de l'émotion -ou juste un peu de vie, mieux vaut se replonger dans les premiers Djian. Ou lire un autre auteur.
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Philippe Djian est un romancier français né en 1949 à Paris. Longtemps présenté comme un héritier de la Beat Generation en France, il est notamment l'auteur en 1985 de 37°2 le matin qui lui apporta la popularité mais depuis, son style et son inspiration ont beaucoup évolué, ce roman qui vient de paraître en étant la preuve flagrante.
Nous sommes en 2030, le réchauffement climatique s'est intensifié, il fait chaud et il ne pleut pas ou bien ça se rafraichit, il peut et ce sont les inondations. Greg vivote dans le souvenir de sa femme et enfant décédés dans un accident de voiture. Il travaille dans le laboratoire chimique de son beau-frère Anton, second époux de sa soeur Sylvia qui a deux filles, Aude, vingt ans, paralysée dans son fauteuil, et Lucie, quatorze ans, militante écologiste. le pesticide fabriqué par le laboratoire est soupçonné d'être dangereux pour les humains, ce qu'un rapport falsifié à l'insu de Greg mais non d'Anton aurait caché jusqu'à ce qu'un mort modifie la donne pour Greg…
Le roman devait paraître au printemps comme d'habitude avec l'écrivain mais pour les raisons que vous connaissez, il a été reporté à l'automne ; une attente qui n'a rien gâché, au contraire, car il est excellent.
Si vous aviez cessé de lire cet auteur par lassitude, il est grand temps d'y revenir car depuis ces dernières années tout a changé dans sa boutique et il atteint aujourd'hui une vitesse de croisière particulièrement réussie. Terminée l'époque où il décrétait que l'histoire n'avait pas d'importance, finies les scènes de sexe olympiques, oubliés les effets de style (genre focus sur les points-virgules) etc.
Donc une histoire qui tient la route. Tous les romans de Djian sont imprégnés de l'air du temps et des idées qui circulent, mais dans celui-ci, l'écologie y tient une part prépondérante, toile de fond omniprésente à son récit. Félonie des fabricants de pesticides, participation de « la jeune fille aux nattes » (mais jamais nommée) comme modèle et idole de Lucie, meeting écolo avec attentat etc.
Si cet angle est très important dans le livre, le réel propos de l'auteur est ailleurs, celui qu'il développe et reprend au fil de chacun de ses bouquins : les relations difficiles entre les hommes et les femmes. Ici Greg tombe follement amoureux de Véra, une belle femme divorcée, libraire et éditrice écolo qui a pris Lucie sous son aile. L'un est hanté par le souvenir de sa femme défunte, l'autre a été déçue par son mariage. Ils sont aimantés l'un par l'autre mais résistent tacitement par peur de tout gâcher. Quel avenir pour ce couple virtuel ? D'autant qu'ils ont du mal à se dire les choses importantes… Même la fin du roman avec son petit rebondissement est assez bien gérée.
Ce qui m'ennuie souvent avec la littérature française, ce sont les messages trop lourdingues avec ces récits qui baignent trop dans l'écolo, le social, les migrants, le racisme…. Philippe Djian ouvre ici le volet écologique mais son ton, son approche, bien que très proches de la réalité, restent légers et aériens. Ce qui, de mon point de vue, ne retire rien à la gravité des faits.
Sachant que je suis un fan de Philippe Djian vous me lirez avec méfiance et je ne vous en tiens pas grief, alors pour vous prouver ma bonne foi je vais évoquer un défaut mineur : quand l'angle sentimental entre Greg et Véra s'accentuera, dans le dernier tiers du livre, le volet écolo et tout ce qui tourne autour sera oublié par l'écrivain. Ca peut en agacer certains… ?
Un très bon roman de Djian.
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Deux événements à noter dans la vie d'écrivain de Philippe Djian, en ce mois de septembre 2020 : il a quitté Gallimard et publie son premier roman de science-fiction, 2030. Néanmoins, que ses adeptes se rassurent, son dernier livre ressemble beaucoup (trop ?) à ses précédents, avec une famille dysfonctionnelle et des protagonistes qui ont connu des tragédies et souffrent dans leur chair et dans leur âme. Dans 2030, Djian met en place une sorte de théâtre à 6 personnages principaux mais c'est un dénommé Greg qui en est le héros. Il est veuf, proche de sa nièce de 14 ans, militante écolo, et employé de son beau-frère, qui dirige un laboratoire qui commercialise des pesticides. Inutile de préciser que notre homme a du mal à concilier son travail et les préoccupations environnementales dont il commence à s'imprégner. Et comme si cela ne suffisait pas, le voici qui tombe amoureux. Bref, côté style et côté intrigue, c'est du pur Djian, qui se déroule dans une atmosphère torride, vu qu'en 2030, avec un climat totalement déréglé, la planète est devenue brûlante. Sur fond de violences entre les écologistes et leurs opposants, le roman s'attache principalement aux tourments psychologiques d'un Greg de plus en plus écartelé. Outre un hommage non dissimulé à Greta Thunberg, et quelques amusants détails sur le monde tel qu'il pourrait être dans 10 ans, le livre est dans le droit fil des précédents romans de l'auteur, compact et dense à la fois, mais il semble cette fois-ci avoir été écrit assez vite, sans réussir à nous intégrer totalement à son manège infernal. Une impression toute personnelle, cela dit, qui ne sera pas nécessairement validée par les lecteurs fidèles du romancier.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
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2030. Si loin si proche. Greta Thunberg a grandi mais les choses n'ont pas radicalement changé. Enfin, les voitures ne roulent plus à l'essence et l'on peut commander des ambulances aériennes mais il y a toujours des scandales sanitaires que l'on cherche à étouffer. Et des histoires d'amour qui finissent mal.

Greg, qui travaille dans un labo, doit falsifier des données pour protéger son beau-frère, le seul à pouvoir encore admirer sa verte pelouse alors que la sécheresse règne. Greg a deux nièces dont Lucie, graine d'activiste écologiste. Grâce à elle, il rencontre Véra, libraire et éditrice engagée.

On peut lire ici ou là que Philippe Djian se lance dans le roman d'anticipation. Pour moi, c'est plutôt un roman atmosphérique. Pour ne pas dire météorologique. Il fait chaud, tout est moite, l'air est rafraîchi par des climatiseurs, quand il n'y a pas de coupures de courant. Ce n'est pas le confinement qui inquiète mais le blackout. Et la pluie arrive enfin. Une pluie torrentielle, continue, qui inonde, détruit tout sur son passage. Se transforme en boue. Tout est moite. Et cela joue sur les relations entre les personnages. Bien sûr, tout le monde parle de la météo, tout le temps, encore plus qu'avant. Mais les relations amoureuses sont aussi conditionnées par ça. Pour preuve, entre Greg et Véra, c'est moite.

2030, c'est un roman étonnant, qui ne pourrait pas être l'oeuvre de quelqu'un d'autre que de Philippe Djian. Il se lit très bien et cela tient beaucoup au fait que Djian s'intéresse au format des séries télés. Il y a ce style rapide, ces dialogues omniprésents et totalement intégrés à la page, ces personnages qui nous ressemblent, notamment dans leur médiocrité. Un bon roman qui ferait un excellent film.
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critiques presse (6)
LaPresse
26 octobre 2020
2030 : molle anticipation ...
Lire la critique sur le site : LaPresse
LaLibreBelgique
29 septembre 2020
Dans son roman de légère anticipation, Philippe Djian raconte nos lâchetés face à la dégradation du monde.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeJournaldeQuebec
28 septembre 2020
2030, le nouveau roman de Philippe Djian, nous entraîne dans un futur relativement proche où les choses ont eu le temps de changer, mais pas tant.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LesInrocks
22 septembre 2020
L'écrivain plonge ses personnages dans un futur proche où le dérèglement climatique exacerbe la folie humaine.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Liberation
21 septembre 2020
Le roman roule à tombeau ouvert. Ce n’est pas parce qu’il quitte Gallimard pour Flammarion (il reste dans le groupe Madrigall) que Philippe Djian a changé.
Lire la critique sur le site : Liberation
Bibliobs
16 septembre 2020
A 71 ans, Djian se lance dans la science-fiction. Qu’on ne cherche cependant ni vaisseaux spatiaux ni robots interconnectés dans « 2030 », son nouveau roman qui paraît chez Flammarion .Comme son titre l’indique, l’auteur le plus punchy des lettres françaises a téléporté son imagination dans dix ans. Petit joueur ? Pas si sûr.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
Pour la première fois – et Dieu sait qu’il n’était pas d’une nature belliqueuse et ne s’était jamais ouvertement révolté contre les pratiques de son beau-frère –, il défia celui-ci du regard et faillit lui balancer tout le paquet de feuilles à la figure. Il hésita un instant puis il ouvrit la main et laissa tout tomber à leurs pieds, sans un mot. Après quoi il sortit du bureau en claquant la porte. Il traversa l’accueil encore tremblant de rage, à peine salua-t-il le vigile et son chien-loup endormi entre ses jambes.
Il avait toujours su qu’Anton était une belle crapule, que le laboratoire qui portait son nom ne s’embarrassait plus guère de probité ni d’éthique.
Il faisait déjà nuit mais la chaleur demeurait étouffante. On ne pouvait s’empêcher de grimacer en quittant l’air climatisé. Il récupéra sa voiture sur le parking que bordaient de jeunes arbres aux feuilles rabougries par le manque d’eau. Il aurait aimé pouvoir vomir avant de se mettre au volant de sa Porsche. Il ne parvint qu’à attraper une bouteille thermos sous le siège avant et il avala quelques gorgées d’eau. Elle n’était pas trop tiède. Ce n’était pas aussi efficace qu’une glacière mais ça lui suffisait. Son nom était écrit dessus. GREG. Chacun avait possédé un thermos à son nom. Il s’épongea le visage et la nuque. Le ciel était d’une profondeur sinistre. Il soupira. Anton le tenait tellement par les couilles que c’en était risible.
Il monta dans sa Porsche, s’arrêta chez le traiteur. Le saumon fumé était en rupture de stock.
Son appartement donnait sur le lac et il y avait une terrasse. Anton pouvait lui enlever tout ça en claquant des doigts. C’était une situation pénible. Il n’y avait pas pris garde, et maintenant il était coincé.
Il fuma un joint pour se calmer, pour se débarrasser de sa bile, avec la clim au maximum. Il alluma la télé, se versa une bière et finit par s’endormir devant l’écran. Plus tard, il s’éveilla en pleine nuit et tomba sur une adolescente qui parlait du climat, qui s’inquiétait pour la suite et voulait sécher l’école tous les vendredis. Le reportage datait d’une bonne dizaine d’années. Il regarda la jeune fille durant de longues minutes, complètement absorbé, puis il ferma les yeux.

Il aperçut Anton le lendemain en arrivant, qui faisait les cent pas au bord de sa piscine, le téléphone collé à l’oreille. C’était une vraie caricature, parfois. Il n’y avait sans doute plus un seul brin d’herbe alentour qui ne soit transformé en paille, mais le gazon d’Anton demeurait d’un vert tendre, éclatant.
Ils échangèrent un signe. Greg n’était pas pressé de le voir. Il entra dans la maison et rejoignit sa sœur dans le salon. Sylvia observait Anton, derrière la baie, qui marchait toujours de long en large avec sa casquette enfoncée sur le crâne.
Il est contrarié tel que tu le vois, dit-elle.
Oui, moi aussi, mais je ne peux pas signer tout et n’importe quoi. Il s’agit quand même de santé publique, tu sais ce que c’est que la santé publique.
Greg, n’exagère pas.
Anton la tenait, elle aussi. D’une autre manière. Il ne servait plus à grand-chose désormais d’avoir une discussion sur ce sujet avec elle. Sylvia avait choisi son camp. Sylvia avait eu besoin d’un roc et Anton mesurait un mètre quatre-vingt-dix et pesait près de cent kilos. Greg ne pouvait pas trop en vouloir à sa sœur. Certaines femmes sont attirées par les grands singes.
Je me demande s’il ne fait pas aussi chaud que l’année dernière, déclara-t-il pour détourner la conversation.
Oui, vous allez cuire.
Je le leur ai dit. Ils veulent commencer après le coucher du soleil, mais ça ne sert à rien. Il faut s’attendre à transpirer un minimum à un concert de heavy metal, non, si tu te souviens. J’ai hésité à prendre des boules Quies.
En tout cas, tu ne les quittes pas des yeux.
Si ça ne va pas, je les attache.
Il tiqua lorsqu’elles descendirent de leurs chambres car elles étaient un peu court-vêtues pour ce genre de sortie et passablement maquillées mais il ne fit aucun commentaire. Il n’était pas chargé de leur éducation. Dieu merci. L’une et l’autre avaient du tempérament. La plus âgée, Aude, avait à peine vingt ans mais elle n’en faisait plus qu’à sa tête depuis un bon moment. Il était bien content de ne pas être son père. Et Anton, quelquefois, lorsqu’elle lui tapait vraiment sur les nerfs, renonçait à endosser ce rôle. Ce n’était pas sa fille, après tout, mais celle de Sylvia, et il s’en lavait les mains. Quant à Lucie, quatorze ans, qui n’était pas davantage la fille d’Anton, qui écrivait déjà au Président pour l’interpeller sur les néonicotinoïdes ou la pollution aux particules fines qui perdurait, Lucie qui se mêlait d’à peu près tout, elle ne manquait pas de caractère.
Il n’y avait probablement pas un seul homme dans toute la ville qui aurait souhaité être leur père. D’ailleurs, le leur avait filé.
Ils s’arrêtèrent en chemin pour manger quelque chose. Il ne voulait pas qu’elles arrivent au concert le ventre vide. Il gara sa voiture dans le coin réservé aux VIP – un terrain plat en contrebas où l’on plantait des pommes de terre autrefois, qui ne servait plus à rien, qui était gardé par un type et son chien – et entraîna les filles vers les loges en préfabriqué. Le soleil se couchait.
Anton était une vraie crapule, sans doute, mais il n’était pas idiot. Il s’occupait sans relâche de sa publicité et de celle de son laboratoire qui sponsorisait l’événement, peaufinant l’image du patron décontracté, pieds nus dans ses mocassins, entouré de chercheurs pointus, sans cravate, des allumés, des trentenaires avec des barbes de bûcherons, en tee-shirts, gominés. Ha ha. L’enfoiré.
Quoi qu’il en soit, les deux filles étaient aux anges. Il y avait beaucoup de monde et la chaleur de la journée ne parvenait pas à s’évaporer. Des silhouettes étaient juchées dans les arbres, d’autres circulaient sur l’herbe sèche, d’autres encore trépignaient devant la scène pendant que le premier groupe attaquait une reprise de Sunn O))). L’organisateur, un type aux cheveux blancs avec une queue-de-cheval et des bagues à chaque doigt donna l’accolade à Greg et cligna de l’œil en direction des deux sœurs qui secouaient déjà la tête comme des damnées. Les types jouaient si fort que la forêt tremblait. Cela faisait du bien quelquefois. Elles n’étaient pas ses filles, mais ses nièces néanmoins. Il ne disait pas le contraire.
Elles furent bientôt en nage. Il distribua des bouteilles d’eau, les invita à s’hydrater, à ne pas s’éloigner. Il se formait, à mesure que les groupes se succédaient, une brume de chaleur poisseuse en suspension au-dessus des têtes au point qu’un chanteur s’arrêta entre deux morceaux pour se mettre à poil. Ces pratiques du siècle dernier avaient encore quelques adeptes mais elles faisaient plutôt sourire aujourd’hui, certains se versaient encore du sang sur le crâne, se scarifiaient, fracassaient leur instrument contre les amplis, exercices auxquels se livraient déjà leurs pères quelques décennies plus tôt. Comme hanté, le gars agita son pénis devant celles et ceux qui se tenaient aux premiers rangs et il fit un tabac.
Plus tard dans la nuit, les invités se rassemblèrent sous un chapiteau festonné tandis que le public s’éparpillait dans la nuit noire. Le laboratoire avait envoyé deux cents invitations que l’on s’était arrachées. Aude jeta un regard de défi à son oncle en attrapant une coupe de champagne. Il ne broncha pas.
Il se demanda quel genre de type finirait par mettre la main sur elle, un de ces quatre. Ce serait intéressant à voir, à ne pas manquer.
On entendait des chiens hurler au loin, le ronflement de l’hélicoptère qui surveillait la zone et braquait son projecteur sur les alentours comme s’il touillait une soupe.
Greg se mit à chercher Aude au moment de partir. Il ressentit une petite contraction au niveau de l’estomac.
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L’esplanade, devant les grilles du Parlement, était comble, et beaucoup restaient bloqués dans les rues adjacentes sans pouvoir avancer. Les pancartes en carton, les effigies en papier mâché, tout fichait le camp, tout finissait en charpie. Plus personne n’avait un poil de sec, plus personne ne savait où donner de la tête devant l’ampleur des dégâts qu’une fille énumérait sur une estrade, continent par continent, et la colère des gens demeurait palpable, la tristesse, la frustration aussi, mais il allait de soi que cette sacrée pluie n’était pas rien. Elle rassurait. Elle mettait fin, provisoirement, à une angoisse diffuse. Elle leur disait qu’ils s’en tiraient une nouvelle fois, que le glas n’avait pas encore sonné. Ils avaient l’impression de sortir d’un coma. Ce n’était pas rien.
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Elle faisait partie des quelques éditeurs qui s'entêtaient à publier des livres, des textes écrits sur du papier, qu'on pouvait tenir en main, qu'on pouvait respirer, dont les pages pouvaient être tournées, cornées, annotées, des livres qu'on pouvait attraper sur une étagère un jour de vague à l'âme et serrer contre soi. Ralph, par exemple, lire sur un écran ne le gênait pas. Ils avaient eu de vraies disputes sur le sujet et ni ni l'autre n'avait bougé de ses positions. Mais déjà, elle ne l'aimait plus vraiment.
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« Ce livre rendait tellement furieux. A moins de faire preuve d’un optimisme inébranlable, il n’y avait aucune chance de réparer les dégâts infligés à l’environnement – sans même parler des catastrophes humanitaires. Au fond, se disait Greg, c’était une histoire d’engrenage muni d’un cliquet antiretours. Si certains s’employaient à limiter la casse, d’autres – plus puissants, plus roués, plus vénaux – s’empressaient de tout démolir. Une mécanique folle, que rien ne pouvait arrêter. C’était hallucinant.
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On s'était longuement moqué des prévisions totalement foireuses des services météo depuis quelques années mais chacun savait aujourd'hui que l'on ne pouvait pratiquement plus rien prévoir du tout, eu égard à l'emballement de la dégringolade climatique - et dire qu'on leur promettait le goudron et les plumes, les pauvres, dire qu'on les trouvait trop nuls, et maintenant plus personne ne voulait le job.
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Le romancier Philippe Djian, adapté de nombreuses fois au cinéma (notamment dans "37°2 le matin" de Jean-Jacques Beineix, "Impardonnables" d'André Téchiné, "Elle" de Paul Verhoeven), publie un nouveau roman, "Sans compter". Un polar qui ne dit pas son nom et s'approche par moment du fantastique. Il est l'invité d'Olivia Gesbert.
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