Deux Juifs s'en vont là-haut, au bout du chemin, Gross et Klein, un soir pour se faire entendre. le bâton et la pierre font silence. Mais le silence est impossible
:"Tu es venu de loin, venu jusqu'ici..."
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J'aimais la bougie qui brûlait, à gauche dans le coin, je l'aimais parce qu'elle se consumait, elle, car elle c'était sa bougie que lui, le père de nos mères, avait allumée, parce que ce soir-là un jour commença, précisément, un jour qui était le septième, le septième auquel le premier devait succéder, le septième, pas le dernier, ce n'est pas elle, cousin, que j'aimais, j'aimais la voir se consumer, et sais-tu, je n'ai plus rien aimé depuis;
rien, non; ou cela, peut-être, qui allait se consumant là comme une bougie en ce jour, le septième et non le dernier;
INCIPIT :
"Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s'en alla, sortit de sa petite maison et s'en alla, lui le Juif et fils d'un Juif, et avec lui s'en alla son nom, l'imprononçable, il s'en alla et s'en vint, s'en vint, clopinant, se fit entendre, s'en vint bâton en main, s'en vint foulant la pierre, m'entends-tu, tu m'entends, c'est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l'autre [...]"
Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint. (trad. Stéphane Mosès)
"Alors la pierre se tut, elle aussi, et le silence se fit dans la montagne, là où ils allaient, l'un et l'autre."
"So schwieg auch der Stein, und es war still im Gebirg, wo sie gingen, der und jener."
- Tu sais. Tu sais et tu vois : La terre s'est plissée, ici en haut, s'est plissée une fois, deux fois, trois fois, et s'est ouverte au milieu, et au milieu s'étend une eau, et l'eau est verte, et le vert est blanc, et le blanc vient de plus haut encore, vient des glaciers...
Chaque mois, un grand nom de la littérature contemporaine est invité par la BnF, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. L'écrivain Stefan Hertmans est à l'honneur de cette nouvelle séance.
Rencontre animée par Cécile Bidault, productrice chez France Culture
QUI EST STEFAN HERTMANS ?
Stefan Hertmans, né à Gand en 1951, a publié plusieurs recueils de poésie, des essais et des romans. Son oeuvre poétique a été récompensée par le prix triennal de la Communauté flamande. Son roman Guerre et Térébenthine, traduit dans vingt-quatre langues, a été nommé pour le Man Booker International Prize. Il a publié tous ses romans aux éditions Gallimard, dont Une ascension en janvier 2022. Dans la collection « Arcades » paraît également en mai 2022 Poétique du silence, un volume regroupant quatre essais de Stefan Hertmans sur la modernité poétique dans ses rapports au langage et au mutisme, concentré de ses réflexions sur les oeuvres de Hölderlin, de Paul Celan et De W.G. Sebald notamment.
En savoir plus sur les masterclasses littéraires : https://www.bnf.fr/fr/agenda/masterclasses-en-lisant-en-ecrivant
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