Petit retour arrière et expérience personnelle, quand on lit une autobiographie, pourquoi pas après tout....
Il y a quelques années, lors d'un premier voyage à Florence, traversant l'Arno pour la première fois sur le Ponte Vecchio en direction du Palazzo Vecchio, au beau milieu du pont, je me suis trouvé face à un buste de Cellini, en majesté, monté sur son socle en marbre blanc et une colonnade et son inscription dédicatoire des orfèvres florentins à leur grand maître et compatriote ("a benvenuto cellini maestro gli orafi di firenze").
J'ai suivi le chemin, obligé tant le flux de touristes avance telle une procession, vers la Piazza della Signoria qui sert d'écrin à l'imposant Palazzo Vecchio, sur le côté duquel se dresse la magnifique statue équestre du duc Cosme Ier de Médicis, le David de
Michel-Ange et la Loggia dei Lanzi, pour découvrir cette fois, ce que je considère comme son chef-d'oeuvre, et tout simplement comme LE bronze ultime, c'est subjectif je sais, mais
Kant l'a si bien résumé : une chose nous plaît, nous la jugeons belle, mais sans savoir pourquoi :
Ce héros nu et dramatique Persée avec la tête de Méduse levée par la main gauche tandis que l'autre brandit l'épée meurtrière. Sous ses pieds ailés chaussés de sandales légères, gît le cadavre décapité et ensanglanté de sa gorgone victime.
Autre tour de force cette statue a été réalisée en une seule fonte....
Alors quand j'ai vu que les éditions Klincksieck ressortaient une édition de ses mémoires préfacée par
André Chastel je n' ai pas résisté...
La Vita de Cellini est une autobiographie pleine d'excès, de vanité, d'arrogance, de vantardise, d'autoglorification et mille autres choses du même acabit, mais elle est aussi riche d'aventures, de sagesse et bien sûr d'art, pleine de vitalité et de courage, de grâce et d'humour, talent et créativité, courage et loyauté.
En deux mots : contradictoire et plurielle comme la vie elle-même.
A ce propos,
Ernst Gombrich dit dans son ouvrage devenu un classique "L'
Histoire de l'art" :
"Il a raconté sa vie dans un livre célèbre qui donne, de son époque, une image extraordinairement vivante et pittoresque. Il y apparaît lui-même vantard, cruel et vaniteux, mais on ne peut lui en vouloir, car il raconte ses aventures et ses exploits avec tant de verve que l'on croit lire un passionnant roman d'aventures."
André Chastel dans son remarquable ouvrage "
L'art Italien" ajoute :
"la figure marquante est celle de
Benvenuto Cellini (1500-1571), orfèvre, bronzier, mais aussi bretteur, aventurier, qui tente fortune à la de France en 1540, puis, revenu à Florence vers 1545, auprès du duc finalement auteur d'un livre de mémoires étourdissant où il prend sa revanche sur ses multiples ennemis, dont Vasari qu'il déteste et qu'il minimise ; c'est une figure type de l'époque, par sa fièvre perpétuelle, sa virtuosité et ses ambitions. Il en épouse le goût et bizarre (Salière de
François Ier [Vienne, Kunsthistoriches] chef-d'oeuvre de riche complication), les raffinements et le formalisme (Nymphe de Fontainebleau [Louvre]), et démontre enfin sa virtuosité anatomique : Persée (Florence, loggia dei Lanzi), son ouvrage le plus complet, d'un modelé accompli, que font valoir les statuettes minutieuses du socle et les bas-reliefs de l'estrade, d'une variété d'accent et d'une subtilité remarquables. Il y a là toute la gamme du bronze, qui mêle seulement trop fortement la forme monumentale et son décor, associe sculpture et orfèvrerie. Cette vitalité, cette richesse d'invention dépassent infiniment la froideur du rival Bandinelli. le crucifix de marbre (Escorial), exécuté en concurrence avec celui-ci a une noblesse juste, qu'on ne retrouve pas dans l'exécution mesquine du buste de Cosme Ier (1548, Florence, Bargello)."
Diverses envies d'artistes rivaux, accusations, séjours en prison et problèmes judiciaires ont terni ses dernières années et rendu aigri, face à tout cela il écrit La Vita , comme une revanche morale contre ses détracteurs. "Un des livres qui vaut la peine d'être lu", selon
Oscar Wilde.
Par son orgueilleuse suffisance, par cette inquiétude qui le poussait de ville en ville, de cour princière en cour princière, cherchant querelles et lauriers, Cellini est bien de son temps. Son ambition n'avait plus rien à voir avec la paisible direction d'un atelier respectable : il voulait être le virtuose éblouissant que se disputaient princes et cardinaux. Parmi les rares oeuvres de sa main qui nous soient parvenues se trouve une salière d'or exécutée pour François 1er, en 1543.
Cellini en a raconté l'histoire avec force détails. On y apprend qu'il envoya promener deux lettrés réputés qui s'étaient permis de lui suggérer un sujet et qu'il fit un modèle en cire du projet conçu par lui, représentant la Terre et la Mer. Les jambes mêlées des deux figures symbolisent l'interpénétration des deux éléments :
"L'Océan et la Terre étaient assis, les jambes entrelacées par allusion aux golfes qui pénètrent dans les terres et aux caps qui s'avancent dans la mer ; cela donnait une attitude très gracieuse. Dans la main droite de l'Océan j'avais mis un trident et dans la gauche une nef d'un travail exquis pour le sel. Au-dessous il y avait quatre chevaux marins qui n'avaient du cheval que la tête, le poitrail et les pattes antérieures, le reste en queues de poissons joliment entremêlées. Au-dessus, dominateur, était assis l'Océan, entouré d'une foule de poissons et d'animaux marins. Des vagues figuraient les flots, remarquablement émaillées à la couleur de l'eau. J'avais donné à la Terre l'apparence d'une femme superbe, entièrement nue comme l'Océan, tenant une corne d'abondance. Dans sa main gauche, un petit temple ionique, délicatement travaillé, avait été mis pour recevoir le poivre. Sous la déesse se trouvaient les plus beaux animaux de la terre ; une partie des rochers était émaillée, l'autre laissée en or. J'avais placé ce groupe sur un socle d'ébène noir, de dimension appropriée, avec une gorge que je recouvris d'or et quatre figures d'or un peu plus saillantes qu'en demi-relief : la Nuit, le Jour, le Crépuscule et l'Aurore. On y voyait également quatre autres figures de même taille représentant les quatre vents dominants, ciselées et émaillées avec tout le soin imaginable. Quand je mis cet ouvrage sous les yeux du roi, il poussa un cri d'étonnement et ne pouvait se rassasier de le contempler. Il m'enjoignit de le remporter chez moi ; il m'indiquerait en temps utile ce que je devais en faire. Je l'emportai donc et invitai tout de suite de bons amis à déjeuner, avec la salière au milieu de la table ; nous fûmes ainsi les premiers à nous en servir ; le repas fut très gai."
Mais la plus amusante partie du récit est celle où Cellini raconte que, allant chercher l'or chez le trésorier du roi, il fut attaqué par quatre bandits qu'il mit en déroute à lui seul. Peut-être, au goût de certains, l'élégance aisée des figures de Cellini a-t-elle quelque chose d'un peu trop raffiné, d'un peu affecté. Pourtant, l'auteur ne manquait ni de robustesse ni de vigueur.
Cellini a vécu au milieu de la Renaissance, dans des villes comme Florence, Sienne, Mantoue, Rome et Paris, à une époque de grands événements politiques, militaires, culturels et artistiques dans lesquels il s'est entouré ou était dans l'ombre et la protection de personnages tels que
Michel-Ange, Côme Ier de Médicis, le pape Clément VII,
Laurent de Médicis "Le Magnifique", le duc de Mantoue ou le roi de France
François Ier, entre autres. de plus, c'était un voyageur infatigable, ce qui lui a permis de connaître une bonne partie de l'Europe et de se forger comme un homme du monde.
Benvenuto a été impliqué dans plusieurs homicides pour lesquels il a dû purger une peine de prison dont il a même réussi à s'évader, dans des guerres et des batailles mémorables, des intrigues de palais et papales, des envies et des rancunes, des procès et des coups d'épée, qu'il rapporte agréablement et élégamment dans sa Vita, car il avait aussi un grand talent littéraire.
A titre d'exemple, Il est intervenu de manière décisive lors du Sac de Rome par les forces impériales de Charles Quint, sous le commandement du connétable Bourbon, au cours de laquelle le pape Clément VII a dû se réfugier au Château
Saint-Ange, où Cellini commanda l'artillerie pour la défense du Pontife, et d'après ses mémoires, c'est son coup de canon qui blessa mortellement le duc de Bourbon en cette mémorable journée du 5 mai 1527.
Soit dit en passant, Clément VII a été le seigneur, le protecteur et le patron de Cellini pendant des décennies, non seulement en raison de son statut élevé de cardinal d'abord puis de pape, mais surtout parce qu'il était un Médicis, nommé Jules, le fils Fils posthume et illégitime de Julien de Médicis et de sa dernière maîtresse, Fioretta Gorini, c'est est le neveu de Laurent le Magnifique. Julien ayant été assassiné avec d'autres personnages dans la cathédrale de Florence lors de la conspiration encombrante et sanglante de Piazzi. Ainsi, le pape était seigneur naturel et vieille connaissance de Cellini, qui à son tour était sujet et vassal fidèle de lui et de son illustre famille.
Voleur, menteur, arrogant, querelleur et rancunier,
Benvenuto Cellini était un personnage très marquant. Il écrivit son autobiographie à la fin de ses jours, mais elle ne fut publiée qu'au XVIIIe siècle. Cet ouvrage fit beaucoup pour sa réputation, pour le meilleur mais aussi pour le pire, et a donné lieu à des polémiques.
Benvenuto profite de ce genre littéraire fréquent à Florence pour exalter son ingéniosité personnelle et responsabiliser ses adversaires. Si l'on ignore sa suffisance cette autobiographie permet cependant de comprendre de l'intérieur l'intimité d'un homme complet de la Renaissance : orfèvre, médailleur, sculpteur, dessinateur et écrivain, également auteur de traités politiques.
Cosme de Medici le chargea en 1545 de créer une statue en bronze de Persée et son propre buste.
Mais surtout le Persée
Le thème avait été choisi par Cosme, probablement pour souligner le parallèle entre sa politique pacificatrice et la mort du monstre aux mains de Persée. le héros grec rivalise délibérément avec le David de
Michel-Ange et la Judith et Holopherne de Donatello.
Brandissant la tête sanglante de Méduse, dont il piétine le corps palpitant, Persée appartient à la série des jeunes héros sereins et victorieux de la Renaissance. Dans ce cas, la tranquillité - en fait, le repos de l'esprit - devient presque inconscience et détachement de l'horreur sauvage du sang jaillissant et des serpents se tordant autour du visage de Méduse. Seul un imperceptible froncement des sourcils et des narines qui exprime l'émotion contenue du héros, maître de ses sentiments, est perceptible.
Tout exalte la beauté du corps au repos, dont la chair lisse contraste avec les cheveux bouclés, hirsutes et profondément ciselés. La balance se referme sur le côté droit, bien qu'à gauche la composition s'ouvre vers le haut à bout de bras et en arrière par un contrapposto accentué, permettant au bronze de tourner majestueusement dans l'espace, offrant les huit angles de vue que Cellini considérait comme des idéaux dans son traité.
Le piédestal qui supporte cet ensemble monumental montre la variété des ornements qui caractérisent l'orfèvrerie : guirlandes, cariatides, masques et bucrânes. Un bas-relief, Andromède enchaînée au rocher, et quatre statuettes - Danaé, Jupiter, Minerve et Mercure - expriment les préoccupations de Cellini.
Persée, debout et victorieux, tient de sa main gauche la tête de Méduse, dont le corps repose à ses pieds. Selon le mythe, il s'agit d'un épisode important de la lutte des dieux pour façonner un monde humain. Sur la même place un autre le groupe florentin nous apporte aussi une tête coupée, celle d'Holopherne que Judith a coupée, selon l'interprétation de Donatello. On a du mal à croire que Cellini n'ait pas tenu compte de cette proximité et de cette relation : par leur action Judith et Persée libèrent l'homme du mal et éclairer un monde plus juste, ordonné et rationnel.
Pour les plus curieux, ou les amoureux d'anecdotes, cette statue de Persée, présente pour qui cherche bien dans une de ses parties l'autoportrait de l'auteur, où se trouve-t-elle ?
Pour ceux qui n'ont ni le temps ni l'envie de s'engager dans cette chasse à l'autoportrait, ils doivent diriger leur regard vers l'arrière de la tête de Persée. Pour ce faire, ils doivent entrer dans la loggia, se mettre derrière la statue et regarder vers le haut et soudain le visage de Cellini se révélera dans toute sa clarté. N'oubliez pas que l'autoportrait est placé dans une zone d'ombre et que, par conséquent, sans lumière du soleil, il n'est pas très visible.