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Nadine Blamoutier (Traducteur)
EAN : 9782715228948
496 pages
Le Mercure de France (26/02/2009)
4.07/5   14 notes
Résumé :

Fabuleuse destinée que celle de Benvenuto Cellini... Orfèvre et sculpteur de la Renaissance, sa renommée dépasse les frontières de l'Italie. Il cisèle, martèle, fond l'or et l'argent des grands de ce monde. Au-delà des faveurs des princes, des rivalités et cabales des cours, il reste homme libre, choisissant ses "patrons".Mais ce sont surtout ses " Mémoires " qui le rendront célèbre. A peine publ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Petit retour arrière et expérience personnelle, quand on lit une autobiographie, pourquoi pas après tout....
Il y a quelques années, lors d'un premier voyage à Florence, traversant l'Arno pour la première fois sur le Ponte Vecchio en direction du Palazzo Vecchio, au beau milieu du pont, je me suis trouvé face à un buste de Cellini, en majesté, monté sur son socle en marbre blanc et une colonnade et son inscription dédicatoire des orfèvres florentins à leur grand maître et compatriote ("a benvenuto cellini maestro gli orafi di firenze").
J'ai suivi le chemin, obligé tant le flux de touristes avance telle une procession, vers la Piazza della Signoria qui sert d'écrin à l'imposant Palazzo Vecchio, sur le côté duquel se dresse la magnifique statue équestre du duc Cosme Ier de Médicis, le David de Michel-Ange et la Loggia dei Lanzi, pour découvrir cette fois, ce que je considère comme son chef-d'oeuvre, et tout simplement comme LE bronze ultime, c'est subjectif je sais, mais Kant l'a si bien résumé : une chose nous plaît, nous la jugeons belle, mais sans savoir pourquoi :
Ce héros nu et dramatique Persée avec la tête de Méduse levée par la main gauche tandis que l'autre brandit l'épée meurtrière. Sous ses pieds ailés chaussés de sandales légères, gît le cadavre décapité et ensanglanté de sa gorgone victime.
Autre tour de force cette statue a été réalisée en une seule fonte....

Alors quand j'ai vu que les éditions Klincksieck ressortaient une édition de ses mémoires préfacée par André Chastel je n' ai pas résisté...
La Vita de Cellini est une autobiographie pleine d'excès, de vanité, d'arrogance, de vantardise, d'autoglorification et mille autres choses du même acabit, mais elle est aussi riche d'aventures, de sagesse et bien sûr d'art, pleine de vitalité et de courage, de grâce et d'humour, talent et créativité, courage et loyauté.
En deux mots : contradictoire et plurielle comme la vie elle-même.
A ce propos, Ernst Gombrich dit dans son ouvrage devenu un classique "L'Histoire de l'art" :
"Il a raconté sa vie dans un livre célèbre qui donne, de son époque, une image extraordinairement vivante et pittoresque. Il y apparaît lui-même vantard, cruel et vaniteux, mais on ne peut lui en vouloir, car il raconte ses aventures et ses exploits avec tant de verve que l'on croit lire un passionnant roman d'aventures."

André Chastel dans son remarquable ouvrage "L'art Italien" ajoute :
"la figure marquante est celle de Benvenuto Cellini (1500-1571), orfèvre, bronzier, mais aussi bretteur, aventurier, qui tente fortune à la de France en 1540, puis, revenu à Florence vers 1545, auprès du duc finalement auteur d'un livre de mémoires étourdissant où il prend sa revanche sur ses multiples ennemis, dont Vasari qu'il déteste et qu'il minimise ; c'est une figure type de l'époque, par sa fièvre perpétuelle, sa virtuosité et ses ambitions. Il en épouse le goût et bizarre (Salière de François Ier [Vienne, Kunsthistoriches] chef-d'oeuvre de riche complication), les raffinements et le formalisme (Nymphe de Fontainebleau [Louvre]), et démontre enfin sa virtuosité anatomique : Persée (Florence, loggia dei Lanzi), son ouvrage le plus complet, d'un modelé accompli, que font valoir les statuettes minutieuses du socle et les bas-reliefs de l'estrade, d'une variété d'accent et d'une subtilité remarquables. Il y a là toute la gamme du bronze, qui mêle seulement trop fortement la forme monumentale et son décor, associe sculpture et orfèvrerie. Cette vitalité, cette richesse d'invention dépassent infiniment la froideur du rival Bandinelli. le crucifix de marbre (Escorial), exécuté en concurrence avec celui-ci a une noblesse juste, qu'on ne retrouve pas dans l'exécution mesquine du buste de Cosme Ier (1548, Florence, Bargello)."

Diverses envies d'artistes rivaux, accusations, séjours en prison et problèmes judiciaires ont terni ses dernières années et rendu aigri, face à tout cela il écrit La Vita , comme une revanche morale contre ses détracteurs. "Un des livres qui vaut la peine d'être lu", selon Oscar Wilde.
Par son orgueilleuse suffisance, par cette inquiétude qui le poussait de ville en ville, de cour princière en cour princière, cherchant querelles et lauriers, Cellini est bien de son temps. Son ambition n'avait plus rien à voir avec la paisible direction d'un atelier respectable : il voulait être le virtuose éblouissant que se disputaient princes et cardinaux. Parmi les rares oeuvres de sa main qui nous soient parvenues se trouve une salière d'or exécutée pour François 1er, en 1543.
Cellini en a raconté l'histoire avec force détails. On y apprend qu'il envoya promener deux lettrés réputés qui s'étaient permis de lui suggérer un sujet et qu'il fit un modèle en cire du projet conçu par lui, représentant la Terre et la Mer. Les jambes mêlées des deux figures symbolisent l'interpénétration des deux éléments :
"L'Océan et la Terre étaient assis, les jambes entrelacées par allusion aux golfes qui pénètrent dans les terres et aux caps qui s'avancent dans la mer ; cela donnait une attitude très gracieuse. Dans la main droite de l'Océan j'avais mis un trident et dans la gauche une nef d'un travail exquis pour le sel. Au-dessous il y avait quatre chevaux marins qui n'avaient du cheval que la tête, le poitrail et les pattes antérieures, le reste en queues de poissons joliment entremêlées. Au-dessus, dominateur, était assis l'Océan, entouré d'une foule de poissons et d'animaux marins. Des vagues figuraient les flots, remarquablement émaillées à la couleur de l'eau. J'avais donné à la Terre l'apparence d'une femme superbe, entièrement nue comme l'Océan, tenant une corne d'abondance. Dans sa main gauche, un petit temple ionique, délicatement travaillé, avait été mis pour recevoir le poivre. Sous la déesse se trouvaient les plus beaux animaux de la terre ; une partie des rochers était émaillée, l'autre laissée en or. J'avais placé ce groupe sur un socle d'ébène noir, de dimension appropriée, avec une gorge que je recouvris d'or et quatre figures d'or un peu plus saillantes qu'en demi-relief : la Nuit, le Jour, le Crépuscule et l'Aurore. On y voyait également quatre autres figures de même taille représentant les quatre vents dominants, ciselées et émaillées avec tout le soin imaginable. Quand je mis cet ouvrage sous les yeux du roi, il poussa un cri d'étonnement et ne pouvait se rassasier de le contempler. Il m'enjoignit de le remporter chez moi ; il m'indiquerait en temps utile ce que je devais en faire. Je l'emportai donc et invitai tout de suite de bons amis à déjeuner, avec la salière au milieu de la table ; nous fûmes ainsi les premiers à nous en servir ; le repas fut très gai."

Mais la plus amusante partie du récit est celle où Cellini raconte que, allant chercher l'or chez le trésorier du roi, il fut attaqué par quatre bandits qu'il mit en déroute à lui seul. Peut-être, au goût de certains, l'élégance aisée des figures de Cellini a-t-elle quelque chose d'un peu trop raffiné, d'un peu affecté. Pourtant, l'auteur ne manquait ni de robustesse ni de vigueur.
Cellini a vécu au milieu de la Renaissance, dans des villes comme Florence, Sienne, Mantoue, Rome et Paris, à une époque de grands événements politiques, militaires, culturels et artistiques dans lesquels il s'est entouré ou était dans l'ombre et la protection de personnages tels que Michel-Ange, Côme Ier de Médicis, le pape Clément VII, Laurent de Médicis "Le Magnifique", le duc de Mantoue ou le roi de France François Ier, entre autres. de plus, c'était un voyageur infatigable, ce qui lui a permis de connaître une bonne partie de l'Europe et de se forger comme un homme du monde.

Benvenuto a été impliqué dans plusieurs homicides pour lesquels il a dû purger une peine de prison dont il a même réussi à s'évader, dans des guerres et des batailles mémorables, des intrigues de palais et papales, des envies et des rancunes, des procès et des coups d'épée, qu'il rapporte agréablement et élégamment dans sa Vita, car il avait aussi un grand talent littéraire.
A titre d'exemple, Il est intervenu de manière décisive lors du Sac de Rome par les forces impériales de Charles Quint, sous le commandement du connétable Bourbon, au cours de laquelle le pape Clément VII a dû se réfugier au Château Saint-Ange, où Cellini commanda l'artillerie pour la défense du Pontife, et d'après ses mémoires, c'est son coup de canon qui blessa mortellement le duc de Bourbon en cette mémorable journée du 5 mai 1527.
Soit dit en passant, Clément VII a été le seigneur, le protecteur et le patron de Cellini pendant des décennies, non seulement en raison de son statut élevé de cardinal d'abord puis de pape, mais surtout parce qu'il était un Médicis, nommé Jules, le fils Fils posthume et illégitime de Julien de Médicis et de sa dernière maîtresse, Fioretta Gorini, c'est est le neveu de Laurent le Magnifique. Julien ayant été assassiné avec d'autres personnages dans la cathédrale de Florence lors de la conspiration encombrante et sanglante de Piazzi. Ainsi, le pape était seigneur naturel et vieille connaissance de Cellini, qui à son tour était sujet et vassal fidèle de lui et de son illustre famille.
Voleur, menteur, arrogant, querelleur et rancunier, Benvenuto Cellini était un personnage très marquant. Il écrivit son autobiographie à la fin de ses jours, mais elle ne fut publiée qu'au XVIIIe siècle. Cet ouvrage fit beaucoup pour sa réputation, pour le meilleur mais aussi pour le pire, et a donné lieu à des polémiques.
Benvenuto profite de ce genre littéraire fréquent à Florence pour exalter son ingéniosité personnelle et responsabiliser ses adversaires. Si l'on ignore sa suffisance cette autobiographie permet cependant de comprendre de l'intérieur l'intimité d'un homme complet de la Renaissance : orfèvre, médailleur, sculpteur, dessinateur et écrivain, également auteur de traités politiques.
Cosme de Medici le chargea en 1545 de créer une statue en bronze de Persée et son propre buste.

Mais surtout le Persée

Le thème avait été choisi par Cosme, probablement pour souligner le parallèle entre sa politique pacificatrice et la mort du monstre aux mains de Persée. le héros grec rivalise délibérément avec le David de Michel-Ange et la Judith et Holopherne de Donatello.
Brandissant la tête sanglante de Méduse, dont il piétine le corps palpitant, Persée appartient à la série des jeunes héros sereins et victorieux de la Renaissance. Dans ce cas, la tranquillité - en fait, le repos de l'esprit - devient presque inconscience et détachement de l'horreur sauvage du sang jaillissant et des serpents se tordant autour du visage de Méduse. Seul un imperceptible froncement des sourcils et des narines qui exprime l'émotion contenue du héros, maître de ses sentiments, est perceptible.
Tout exalte la beauté du corps au repos, dont la chair lisse contraste avec les cheveux bouclés, hirsutes et profondément ciselés. La balance se referme sur le côté droit, bien qu'à gauche la composition s'ouvre vers le haut à bout de bras et en arrière par un contrapposto accentué, permettant au bronze de tourner majestueusement dans l'espace, offrant les huit angles de vue que Cellini considérait comme des idéaux dans son traité.
Le piédestal qui supporte cet ensemble monumental montre la variété des ornements qui caractérisent l'orfèvrerie : guirlandes, cariatides, masques et bucrânes. Un bas-relief, Andromède enchaînée au rocher, et quatre statuettes - Danaé, Jupiter, Minerve et Mercure - expriment les préoccupations de Cellini.
Persée, debout et victorieux, tient de sa main gauche la tête de Méduse, dont le corps repose à ses pieds. Selon le mythe, il s'agit d'un épisode important de la lutte des dieux pour façonner un monde humain. Sur la même place un autre le groupe florentin nous apporte aussi une tête coupée, celle d'Holopherne que Judith a coupée, selon l'interprétation de Donatello. On a du mal à croire que Cellini n'ait pas tenu compte de cette proximité et de cette relation : par leur action Judith et Persée libèrent l'homme du mal et éclairer un monde plus juste, ordonné et rationnel.

Pour les plus curieux, ou les amoureux d'anecdotes, cette statue de Persée, présente pour qui cherche bien dans une de ses parties l'autoportrait de l'auteur, où se trouve-t-elle ?
Pour ceux qui n'ont ni le temps ni l'envie de s'engager dans cette chasse à l'autoportrait, ils doivent diriger leur regard vers l'arrière de la tête de Persée. Pour ce faire, ils doivent entrer dans la loggia, se mettre derrière la statue et regarder vers le haut et soudain le visage de Cellini se révélera dans toute sa clarté. N'oubliez pas que l'autoportrait est placé dans une zone d'ombre et que, par conséquent, sans lumière du soleil, il n'est pas très visible.
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Voila un gaillard que la modestie n'étouffe pas ! Visiblement, Benvenuto Cellini se considérait comme l'un des plus grands ciseleurs de son temps – pour ne pas dire le plus grand. A la fois orfèvre et sculpteur, passant du bronze au marbre avec une facilité étonnante, on peut dire que ses prétentions sont loin d'être absurdes. Il travailla pour le roi de France François Ier, le pape Clément VII, des Médicis ; fréquenta les plus grands artistes de son temps. Il fut aussi un témoin des grands événements du siècle, notamment le siège de Rome par l'empereur Charles Quint.

La plupart de ses pièces d'orfèvre sont hélas perdues ; il ne nous reste qu'une salière océane d'un luxe indescriptible. Mais beaucoup de ses sculptures sont parvenues jusqu'à nous, notamment ‘Persée tenant la tête de Méduse', son chef d'oeuvre. En France on peut voir sa ‘Nymphe de Fontainebleau' exposée, comme son nom ne l'indique pas, au Louvre.

On découvre aussi quelle vie agitée fut la sienne : comme beaucoup d'artistes de son temps, il buvait sec, frappait fort, comptait fleurette à tout ce qui portait jupon, et se battait régulièrement en duel. Il raconte sans façon avoir tué l'un de ses rivaux au cours d'une bagarre de rue ; il rend de temps en temps visite à ses nombreux bâtards, et de façon générale mène une vie agitée, et ne doit la vie sauve et la liberté qu'à la protection de ses commanditaires.

Quand celle-ci lui fait défaut, les choses se corsent ; il est ainsi jeté au cul de basse-fosse dans le château Saint-Ange. Avec en prime une jambe cassée, il croupira des mois dans ce trou humide. Si vous visitez ce lieu emblématique de Rome vous le verrez : ce n'est rien d'autre que le caveau où était le cercueil de l'empereur Hadrien, le château ayant été construit sur son mausolée ! En ce lieu de misère il eut une vision mystique, qui le conduisit à s'amender (un peu) à sa libération.

S'il n'y avait pas eu ce livre, il est probable que Benvenuto Cellini eut disparu des mémoires. Il aurait été l'un des multiples artistes italiens de la Renaissance, coincé entre Michel-Ange et le Bernin. Mi-orfèvre mi-sculpteur, cette absence de spécialisation aurait conduit à l'oublier dans les deux catégories.

Mais il rédigea ses mémoires, qui constituent un formidable témoignage sur son époque. Redécouvertes au XIXème siècle, elles eurent un grand retentissement et inspirèrent nombre d'artistes, notamment un opéra à Berlioz. de nos jours elles ont un peu vieilli, mais leur lecture reste facile et plaisante.
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Cette autobiographie, première en date pour un artiste, se lit plus comme un roman d'aventures que comme le récit authentique d'une vie. En effet, qu'elle existence riche, tourmentée et hors norme que celle de Benvenuto Cellini et comment ajouter foi à l'authenticité de tous les faits que nous conte cet hâbleur en diable! Plus grand orfèvre de son temps, graveur et joailler de talent, sculpteur admirable, Cellini servit les potentats de son époque tels les papes Léon X, Paul III et Clément VII, ou les ducs Médicis que furent Alexandre et Cosme mais aussi, et surtout, François 1er. Il connut personnellement les génies que furent Michel-Ange et le Titien. Artiste de talent certes, mais meurtrier aussi, voleur, menteur, vagabond, irascible, et très certainement à moitié fou. Ce livre est un précieux témoignage de la vie et des moeurs de la Renaissance Italienne dont la lecture a certainement grandement réjoui et influencé de nombreux artistes, Stendhal tout le premier. Une autobiographie très plaisante à lire avec son rythme soutenu, son humour, avec ses passages très pathétiques aussi - comme le récit des terribles conditions de son emprisonnement au château Saint-Ange (humidité, obscurité, malnutrition) qui déclencha une terrible crise mystique en lui qui relèverai de nos jours plus de la psychiatrie qu'autre chose – ou avec ses morceaux de bravoure, notamment la narration des circonstances de la fonte de son “Persée tenant la tête de méduse”. Extraordinaire destinée donc, pour cet artiste dont l'autobiographie (servie dans cette édition par la magistrale traduction de 1922 de Maurice Beaufreton) fit plus pour sa gloire que toutes les autres de ses oeuvres réunies!
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Je laissai refroidir le bronze pendant deux jours et commençai à le découvrir peu à peu. D’abord la tête de la Méduse, parfaitement venue grâce aux évents et à la loi naturelle du feu qui est, comme je l’avais dit au duc, de s’élever. Poursuivant mon examen, je trouvai l’autre tête, celle de Persée, tout aussi réussie. Cela m’étonna beaucoup plus, car elle est bien plus basse que celle de Méduse. Les canaux débouchaient sur la tête et les épaules de Persée et je constatai que tout le bronze du fourneau avait été exactement employé pour cette tête. Chose stupéfiante ! il n’en restait pas une miette dans les canaux et il n’en avait pas manqué un grain. Cela m’étonna tellement que je crus à une œuvre miraculeuse de Dieu. Je continuai à découvrir la statue avec le même bonheur ; chaque détail était aussi réussi.
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Mon glorieux et immortel Seigneur permit que je finisse complètement mon ouvrage et un jeudi matin, je le découvris tout entier. Il ne faisait pas encore grand jour qu’une foule innombrable s’assembla aussitôt ; tous unanimement rivalisaient de louanges. À moitié caché dans l’embrasure d’une fenêtre basse au-dessus de la porte du palais, le duc entendait tout ce qu’on disait. Il resta là à écouter pendant plusieurs heures, puis, fier et content, se tourna vers messire Sforza : « Sforza, va, trouve Benvenuto et dis-lui de ma part qu’il a comblé mes vœux au-delà de mon attente. Dis-lui que je comblerai les siens d’une manière qui le surprendra. Qu’il ait l’esprit en paix ! » Messire Sforza me transmit ce glorieux message ; cette bonne nouvelle me réconforta. Le peuple me désignait du doigt à un tel ou un tel, comme un prodige inouï.
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Nous étions en août 1545. Notre duc était à Poggio a Caiano, à dix milles de Florence. J’allai le trouver uniquement pour lui présenter mes devoirs comme citoyen florentin et membre d’une famille dont les ancêtres avaient été très attachés à la famille Médicis ; moi personnellement, j’avais pour le duc Cosme plus d’affection qu’aucun d’eux. J’allai à Poggio, je le répète, uniquement pour le saluer et sans la moindre intention d’entrer à son service.[...]
Il me dit qu’il aimerait bien, pour premier travail, un Persée qu’il désirait depuis longtemps. Il me pria de lui en faire un petit modèle.[...]
Il l’examina soigneusement ; sa joie débordait : « Benvenuto, me dit-il, si la statue en grand est aussi réussie que ce petit modèle, ce sera le chef-d’œuvre de la place. » – « Monseigneur, répondis-je, sur la place il y a les ouvrages du grand Donatello et de l’admirable Michel-Ange, les deux plus grands génies depuis l’Antiquité. Mais Votre Excellence m’infuse un tel courage par ses compliments sur mon modèle que je me sens d’attaque pour réussir trois fois mieux l’œuvre elle-même. »
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La sage-femme qui savait qu’on attendait une fille lava le bébé, l’enveloppa de beaux langes blancs et s’approcha tout tranquillement de mon père Giovanni en disant : « Je vous apporte un beau cadeau auquel vous ne vous attendez pas. » Mon père qui était vraiment un sage lui répondit : « Ce que Dieu me donne me plaît toujours. » Il écarta les langes et vit de ses yeux le fils inespéré. Il joignit ses vieilles mains et, le regard tourné vers le ciel, il ajouta : « Seigneur, je te remercie de tout mon cœur. Cet enfant m’enchante. Qu’il soit le Bienvenu ! » Tous les assistants lui demandaient joyeusement le nom qu’il voulait donner au bébé et il ne cessait de répéter : « Qu’il soit le bienvenu ! » C’est le nom que je reçus au saint baptême et que je porte encore, comme il plaît à Dieu.
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C’est dans ce sentiment de mécontentement que, le lendemain, je découvris ma statue. Il plut à Dieu que, dès qu’on la vit, s’éleva de la foule un cri de louange d’un enthousiasme délirant qui me consola un peu. Les gens ne cessaient d’accrocher des feuillets de vers à la porte qui m’abritait pendant que j’apportais les dernières finitions. Le seul jour où elle fut exposée aux regards pendant quelques heures, on y appliqua, je l’affirme, plus de vingt sonnets chantant tous les louanges éperdues de mon ouvrage. Quand je l’eus recouverte, on continua à attacher quantité de sonnets et de vers latins ou grecs. L’université de Pise était en vacances ; doctes professeurs et élèves rivalisaient pour composer les plus beaux. Mais ce qui me fit le plus plaisir et me donna l’espoir de meilleurs rapports entre le duc et moi, ce fut de voir mes collègues artistes, sculpteurs et peintres, faire assaut d’éloges. Entre tous j’appréciais surtout ceux de l’excellent peintre Jacopo Pontormo et surtout ceux de son brillant élève Bronzino qui ne se contenta pas d’afficher plusieurs sonnets mais m’en envoya à domicile par son Sandrino. Il y disait tant de bien de mon Persée, dans ce beau style dont il a le rarissime secret, que je me sentis un peu rasséréné.
Je recouvris ma statue et y mis la dernière main.
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Video de Benvenuto Cellini (1) Voir plusAjouter une vidéo
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