L'histoire se passe de nos jours, quelque part en France, dans une région montagneuse et frontalière dont on ne nous dira pas plus. Une petite fille de onze ans, Rachel, malingre et aux cheveux hirsutes coupés courts, marche seule dans la montagne, portant un gros sac à dos. Seule mais observée. A environ quatre cent mètres d'elle, Abdelhamid l'observe à travers ses jumelles et se pose bien des questions au sujet de cette présence insolite. C'est un algérien, un ancien harki de plus de soixante-dix ans. La guerre d'Algérie lui a tout pris, sa famille a été massacrée, en particulier sa femmes et sa petite fille de quatre ans. Depuis cinquante ans il ne croit plus à rien. A la fin de la guerre, son lieutenant Philippe de Sainties a réussi à le faire passer en France et ils vivent depuis en parfaite autarcie dans cette partie reculée de "
la terre de l'impiété", comme il la nomme.
Ce qu'il ignore c'est que Rachel est là pour un pèlerinage, en remerciement à Dieu qui lui offre ce qu'elle appelle ses "magies", des signes et des apparitions qui l'emplissent de joie. Elle le sait, elle a des pouvoirs, elle a été choisie et il faut qu'elle grimpe jusqu'au sommet pour prouver sa gratitude... Quand à Abdelhamid, intrigué et inquiet, il décide de veiller sur elle...
Mon avis : Ce livre est à la fois un roman, un conte philosophique, un témoignage sur la guerre d'Algérie, sans qu'aucun de ces aspects ne nuisent aux autres. Quand Abdelhamid arrive en France, la première chose qu'il voit c'est une pinède brûlée dans les calanques. La couleur noire est celle de "
la Terre de l'Impiété" dans "le traité de l'Homme parfait" d'Abdul Karim al Jîlî, d'où le titre choisi par
Jean-François Chabas. Cette histoire à trois voix se lit d'une traite. Les données et point de vue sur la guerre d'Algérie sont douloureux mais dits sans haine, avec un profond regret pour tous ceux qui ont souffert et souffrent encore. Les paragraphes aux tons graves sont séparés par des passages plus légers qui nous permettent de faire la connaissance de Rachel et de la suivre dans son ascension. Cette fillette semble sortir d'un monde artificiel, d'une famille vouée au culte de l'apparence, de la technologie, de la société de consommation, qui vit dans "l'avoir" plutôt que dans "l'être". Elle se sent étrangère parmi les siens et en souffre, sans vouloir plier l'échine. Ce roman étrange et poétique nous offre une fin ouverte afin de laisser libre cours à l'imagination de ses lecteurs.
Bena note : Je trouve l'avertissement de l'auteur très judicieux pour les plus jeunes lecteurs (voir dans mes citations où je vous le dévoile en entier).
Public : roman pour les juniors mais que je proposerai aussi à des adultes sans la moindre hésitation.