Aujourd'hui, attention, je mouille ma chemise et m'engage sur un terrain très glissant pour moi, un domaine sur lequel on peut considérer sans fausse modestie que je suis une parfaite ignorante.
C'est vrai, je l'avoue, le genre Science-Fiction ne m'attire pas, mais ce qui s'appelle pas du tout. Étonnant car j'ai pourtant adoré, toute jeune, toute moins jeune et désormais toute plus vieille les épisodes de Star Wars, qui sont, à proprement parler, de la pure SF.
Pardonnez-moi si je vous ennuie (ce n'est probablement pas la première fois et assurément pas la dernière) mais avant d'aborder l'oeuvre en elle-même, je vais vous infliger un petit préambule qui me semble important à l'expression de l'avis qui va suivre.
Qu'est-ce selon moi que la SF ? Que peut-on attendre de la SF ? Quel est l'intérêt de la SF ? Trois questions apparemment anodines et évidentes mais que tout lecteur et/ou auteur de SF devrait se poser au moins une fois dans sa vie.
De la manière où je l'entends, la SF est par essence l'extraction de la réalité, le domaine de l'imaginaire et de la fantaisie. En soi l'imaginaire et la fantaisie doivent être présents à un certain degré dans n'importe quel type de roman et ne caractérisent en rien la SF. À l'extrême rigueur, cela définirait mieux la Fantasy que la SF.
Non, la SF, dans mon esprit, c'est de l'imaginaire et de la fantaisie prenant pour base une réalité humaine au temps t (différant ainsi de la Fantasy) et conjecturant un savoir technique humain au temps t ± ∂. (Souvent c'est + ∂ mais dans Star Wars, par exemple c'est - ∂, chaque épisode commençant par la célèbre formule : " Il y a longtemps, très longtemps... " Au passage, c'est très astucieux car cela évite toute péremption du savoir technique anticipé par rapport aux avancées technologiques de la vie réelle qui apparaissent journellement.)
Le contraste existant entre le savoir technique et l'état du monde entre les temps t et t ± ∂ étant la base de comportements humains inédits qui doivent être narrés grâce au recours à l'imaginaire. Mais l'unité de mesure reste et restera toujours, pour mo
i, le comportement humain dans telle ou telle situation. On peut aussi imaginer que la perturbation ou la modification ne soit pas seulement technique mais qu'interviennent d'autres acteurs, comme des robots créés par les humains ou des êtres extra-terrestres.
Dans tous les cas, la SF est finalement une sorte d'expérimentation, un laboratoire, où l'on fait réagir l'élément humain avec des conditions de milieu ou de société radicalement différentes de celles que tout un chacun peut expérimenter dans sa vie réelle.
L'intérêt de la SF est là, selon moi : conjecturer un comportement humain soumis à telle ou telle condition d'existence différente. C'est une expérience que nul scientifique ne peut faire et que seuls l'imaginaire et la fantaisie de l'auteur de SF peut faire prendre forme. Ce sont bien à de telles expérimentations auxquelles nous convient, entre autre
Aldous Huxley et
George Orwell respectivement dans
le meilleur Des Mondes et
1984. le fait de créer un univers propre, " à la Star Wars " par exemple, est un corollaire mais n'est absolument pas indispensable à la SF.
(Dans Star Wars, si je poursuis avec cet exemple connu d'une grande majorité, les seuls éléments ayant trait à la SF sont la Force et son côté obscur, les sabres laser, les droïds, les vaisseaux spatiaux permettant de grands déplacements rapides sur des portions importantes d'espace et l'afflux de nombreuses créatures extra-terrestres aux propriétés diverses. Tous les autres éléments ne nécessitent pas le recours à la SF, je pense notamment aux côtés aventure, guerre ou thriller.)
Sorti de ces quelques règles fondamentales, les règles classiques de l'écriture et l'exigence de qualité de composition doivent être les mêmes que pour n'importe quel roman. Or, à quoi assistons-nous ici dans
Volte-Face ?
Un univers propre, de type space opera, un contexte de guerre entre deux grosses factions rivales et une héroïne freelance, un peu genre super woman, évoluant dans ce système. Vous me direz, pourquoi pas ? La question que je me pose instantanément est : quelle est l'expérience particulière et intéressante que cette héroïne peut me faire faire ?
La réponse je l'ai cherchée attentivement pendant tout l'ouvrage et l'ai finalement trouvée à la dernière page : aucune. Je suis sévère me direz-vous si vous êtes polis, conne et bornée si vous êtes sincères, obtuse et hermétique comme un bocal le Parfait Super si vous êtes compréhensifs.
Je suis probablement tout ça, mais j'essaie surtout, vis-à-vis de moi-même, d'être parfaitement honnête dans mon ressenti. L'auteur,
C. J. Cherryh fait très probablement une grosse erreur tactique en faisant de
Volte-Face un huis-clos. Nous sommes pendant une très grande partie du livre à l'étroit dans les couloirs du Loki, vaisseau fantôme de je ne sais quelle engeance, et d'ailleurs ça n'a aucune importance.
Erreur C. J.
Cherryh, car qui dit huis-clos dit que le principal élément de votre recette est l'humain. Or l'humain reste l'humain, avec ou sans combinaison spatiale, et les comportements que vous décrivez sont complètement artificiels et peu vraisemblables : une femme (Bet Yeager), une meurtrière, une fugitive, qui baise pour un oui pour un non, qui tout de suite, en un claquement de doigt éprouve de la sympathie et de l'amour pour un inadapté social rejeté de tous (BR), qui de suite se fait " d'indéfectibles amis " sur lesquels elle pourra compter et qui pourront compter sur elle, etc., etc.
Je suis bien en peine de vous citer un seul personnage qui puisse avoir un comportement humain crédible, non monolithique et non archétypal. BR n'en parlons pas, le commandant Fitch est une épaisse caricature, le capitaine Wolfe est une réplique du capitaine Némo de
Jules Verne. Bref, les deux seuls personnages éventuellement un tout petit peu plausibles et légèrement intéressants sont Bernstein et Musa. Pour le reste, je trouve cela très mal observé socialement, sociologiquement et psychologiquement.
Quelle est la recette ? Dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action, dialogue, action. Vous voyez c'est très varié. Mais là encore, ma chère
Cherryh, un dialogue creux et une action molle et sans fondement n'ont jamais élevé, ailleurs comme ici, mes paupières de lectrice au-delà des frontières de l'ennui. L'univers créé est lui aussi d'une rare pauvreté aussi bien culturellement que sur un simple aspect de créativité : les boissons phares sont la bière, la vodka, le coca et le thé. le plastique et la vidéo sont légions, l'essentiel des " anticipations " datant de 1989 sont presque rejointes voire dépassées par les avancées techniques de 2014...
Nous suivons donc tout au long de ce livre une certaine Bet Yeager, dont on essaie artificiellement de nous faire accroire qu'elle a un passé et une épaisseur incroyables. Elle se retrouve fugitive et indigente sur une désespérante plate-forme spatiale, Thulé, qui périclite chaque jour un peu plus. Elle n'espère qu'une chose, c'est qu'un vaisseau vienne rapidement ravitailler sur cette plate-forme et qu'elle puisse embarquer à bord.
Évidemment, la chose se produit lorsqu'un vaisseau inconnu pointe le bout de son fuselage. Notre brave Bet est chargée à bord comme un animal de trait au moment précis où elle allait avoir de très gros ennuis avec les autorités de la station de Thulé pour la bagatelle d'un double meurtre perpétré par elle dans des toilettes publiques crasseuses à l'encontre de deux sombres hères qui désiraient la violer. Wouah ! un univers qui nous fait rêver et qui nous prend aux tripes ma chère
Cherryh !
La voilà donc embrigadée à bord du Loki, dont on comprend vite qu'il ne sera pas une promenade de santé pour l'héroïne, qui fraîchement violée sur sa plate-forme, va s'accoupler aussitôt au premier venu, comme vous le voyez mesdames, c'est très crédible, et puis, et puis, et puis... suite de dialogues creux et d'actions molles où l'on essaie de nous faire croire à un mystère et à quelque chose d'incroyable qui va se passer et qui ne se passe finalement pas car la coquille est creuse et le roman tourne à vide.
Le premier tiers du roman est d'un mortel ennui, vers le milieu c'est un peu mieux mais sans plus et on constate un léger, oh ! très léger, surcroît d'intérêt sur le final où le roman exploite alors la recette du thriller et plus du tout l'intérêt propre de la SF.
Oui, constat assez accablant, écriture pauvre, univers glauque pas du tout captivant, expérimentation d'écriture SF ratée et qui est bien moins fine et enrichissante qu'une expérimentation sociale véritable comme peut nous en offrir
Marivaux dans
L'Île Des Esclaves ou
La Dispute par exemples.
Bref, même pas un bon divertissement (j'ai mis une éternité à lire ce livre, totalement engluée dedans), aucune prouesse d'écriture, aucun intérêt particulier à mes yeux, mais ce ne sont que mes yeux, c'est-à-dire pas grand-chose, libre à vous de faire
volte-face. (Désolée Michel, j'ai sincèrement essayé, mais ce genre de littérature n'est vraiment pas pour moi.)