Un professeur de grec ose affirmer qu'Hercule Poirot porte mal son prénom.
Bon, physiquement, il n'a sans doute pas tort. Il lui reproche aussi de ne pas avoir pris le temps de lire les classiques dans lesquels il aurait pu constater qu'il n'est pas à la hauteur de son homonyme grec et ne peut donc prétendre à prendre sa retraite pour, horreur, se consacrer à l'amélioration gustative des courges !
Cette provocation ne manque pas de faire son chemin dans l'esprit ébranlé du détective, bien déterminé à rivaliser avec l'Hercule de la mythologie et même à le supplanter par un Hercule moderne.
Faute de lion, de chien polycéphale, de taureau crétois et autres créatures fantastiques, c'est en ayant recours à la symbolique qu'Hercule choisira désormais ingénieusement ses affaires à traiter. Ces interprétations symboliques reflètent à elles seules l'immense talent inventif d'Agatha et prêtent à sourire plus d'une fois tellement le rapport à la mythologie fouille dans un registre drolatique tout à fait succulent.
C'est ainsi que le Lion de Némée nous apparaitra sous la forme d'un pékinois dans une affaire d'enlèvements cocasses. Quel abominable crime de kidnapper le toutou chéri à sa maman, même si celui-ci est restitué dès la rançon versée. L'infatué petit Belge s'autorisera même un petit marché pour la bonne cause, sacré petit bonhomme au grand coeur !
Imaginez aussi l'Hydre de Lerne sous forme de rumeurs et notre Hercule Poirot bien décidé à atteindre la tête pensante. Ce sera l'occasion de baigner dans un petit village de cancanières qui raffolent de faire grossir une rumeur auteur d'un docteur qui semble bien avoir empoisonné sa femme pour couler le bel amour avec sa laborantine.
Puis, pour faire oublier un peu les crimes, nous avons aussi droit à un joli conte romantique, le petit côté tendre d'Agatha qui aimait prêter à son détective le rôle d'unir des amoureux.
Les travaux d'Hercule filent et nous emmènent aussi sur les sommets de Suisse, dans un funiculaire où ses moustaches ne peuvent passer inaperçues. C'est un pur et parfait huis clos dans lequel l'oeil du Belge, qui tente de faire le modeste, ne s'y trompe pas car il garde « l'exécrable habitude d'avoir toujours raison. »
Comme bien souvent chez l'auteure, elle nous offre dans l'une des nouvelles une petite image railleuse de la supériorité britannique qui se joue de la corruption des autres pays. Cette nouvelle qui met en scène des soeurs polonaises aux physiques de vautours est absolument délectable, divinement mise en place avec une fin excellentissime.
Chantage, kidnapping canin, gourou de secte, drogue, machination politique et médiatique autour d'un fait licencieux comme aujourd'hui… Ce cocktail est intemporel, aussi varié que savoureux.
Si les affaires semblent de prime abord indignes du célébrissime détective, leur petit rapport qu'il flaire immédiatement avec les douze travaux détermine la volonté de s'y consacrer avec plaisir.
Et puis pour le lecteur, l'étonnement quant au choix du coupable que nous a concocté Agatha est toujours au rendez-vous.
Ce fut une lecture merveilleusement récréative dont j'avais un vital besoin et qui a parfaitement rempli son office de détente. Et puis que voulez-vous, je ne résiste pas au ton solennel que prend papa Poirot dès qu'il décline son identité. Il m'a également tiré un immense sourire lorsqu'il a presque regretté (je dis bien presque !) de porter ses inséparables bottines vernies sur les chemins caillouteux de la côte irlandaise. Il est et demeure irrésistible.