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EAN : 9782330186142
Actes Sud (03/01/2024)
3.8/5   45 notes
Résumé :
Dans un centre pénitentiaire niché au coeur des Alpes, Antoine Petit est chargé d'établir le profil psychologique de celle dont le nom est sur toutes les lèvres. Dolorès Leal Mayor s'est rendue tristement célèbre pour avoir assassiné une dizaine d'hommes puissants et être à l'origine d'une épidémie de meurtres dans tout le pays, que le jeune psychiatre a pour mission de juguler. Fable sur la violence induite par le capitalisme et son patriarcat, "Dolorès ou le Ventr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Avant d'être arrêté, Dolorès a commis une série de meurtres, uniquement des hommes friqués , des «  ploucs à rolex » qu'elle a séduit dans le but de les trucider, comme sa première victime : « c'est du nombril qu'il parlait, de l'orifice de son gros ventre satisfait et engloutisseur de bouffe, engloutisseur de la transpiration des hommes et des femmes qu'il faisait travailler pour avoir le privilège d'arborer une pute comme moi dans un restaurant sans étoiles. »

« La révolution à coups de couteaux » ? En tout cas, « ça sortait de partout, comme les vers d'un cadavre », les actes de Dolorès ont entrainé une épidémie de meurtres ciblés. Les autorités ne veulent pas d'une passionaria, elles ne veulent pas s'embarrasser d'un procès qui pourrait se transformer en tribune. La justice charge un jeune psychiatre de la déclarer irresponsable de ses actes dans son rapport d'expertise.

Les courts chapitres alternent les voix de Dolorès et celle du psy. Leur confrontation est dense, entre le psy bordeline rongé par ses addictions et une Dolorès joueuse qui ne veut pas se dévoiler. Dolorès est le genre de personnage qui aspire tout dans un roman, et pourtant le psy et surtout son ami le vieux prêtre espagnol existent magnifiquement à ses côtés.

Ce roman prend souvent aux tripes, porté par des personnages marquants et une qualité d'écriture assez impressionnante, créative et ciselée, aux plus près des corps et des sensations physiques.

« Voyez cette peau, si elle est lisse. Regardez si elle ment. Elle cache les rides, les creux, les bosses, les plis accumulés au fil des vies. Juste en dessous se trouvent toutes les nervures, tous les sillons, toutes les rigoles, toute l'érosion, tout l'épuisement du monde. Ne vous fiez pas à ma peau. Si vous pouviez m'ouvrir le ventre, vous verriez tous les désespoirs se répandre à terre, un liquide aux odeurs de merde. Vous ne comprenez pas. Un discours politique construit. C'est une connerie. Il n'y a que des cris. Ce corps, le corps des femmes est un palimpseste des gestes et des douleurs. Ça n'use pas le corps, ça l'écrit. Et quand il meurt, le corps, ces gestes, ces afflictions restent là, enfermés comme dans un livre poussiéreux. Les hommes de votre espèce avancent toujours avec le soleil dans le dos. Ils croient que cette ombre élancée qui s'étale à leurs pieds, c'est eux. Les hommes marchent dans un costume trop grand qu'ils pensent être à leur taille. Et les femmes marchent toute leur vie sous un soleil de midi, implacable, qui les punaise à leur place. »

Dolorès est une héroïne ambigüe comme je les aime. Jusqu'au bout on s'interroge sur ses motivations à tuer, politiques ou plus personnelles, à moins que ce soit les deux. Est-ce une quête, une révolte, une jouissance à tuer, une « rage sans paroles », une rage à message, un débordement après avoir été trop écrasée en tant que femme ?

Au fil de ma lecture, je me suis souvent demandé quelles étaient les intentions de l'auteur. Il me semble qu'il ne faut pas lire Dolorès ou le ventre des chiens comme un roman réaliste, plutôt comme une fable sur la violence induite par un capitalisme couplé au patriarcat. Une fable non moralisatrice sans apologie de quoi que ce soit, même s'il y a un parti pris. J'ai envie d'y lire le cri d'un homme solidaire des femmes violentées, d'un citoyen dégoûté du comportement de certains de ses congénères.

La fin est inattendue avec son côté punk qui clôt parfaitement ce roman sombre et désenchantée. Percutant.


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Chronique difficile à écrire. le roman traite d'un sujet sensible, au coeur de l'actualité, les relations hommes/femmes, le sexe, le consentement, la domination.
L'auteur est du genre à dire : ami lecteur (précision je ne dis pas amie lectrice), je vais te mettre les points sur les I, les barres au T, les cédilles là où il en manque et les trémas là où tu les as oubliés.
Fin de l'avertissement, tu peux continuer.
Dolorès est une femme libre. Elle n'en peut plus de voir des hommes établis, la bedaine installée, la calvitie plus que naissante, le sexe défaillant, séduire et contraindre à leurs désirs inavouables de jeunes femmes souvent prises au piège.
Elle dit : « le ventre des chiens ou leur bite, c'est la même chose. Et vous le savez très bien. Vous nous faites crever, rapidement ou à petit feu, à coups de ventre, à coups de bite. Vous prenez toute la place. » ; elle rajoute pour ceux qui n'auraient pas compris : « le pouvoir ça voudrait faire le bien, mais ça fait toujours le mal. »
Dolorès n'est pas une militante, quand Pedro le compagnon d'armes de son grand-père, républicain espagnol réfugié en France après un attentat de l'ETA en 1975, lui dit « Tu es une merveilleuse étincelle sur un baril de poudre. Dolorès, une étincelle qui brille comme une étoile. », elle pense « je n'ai même pas essayé de lui répondre. »
Paradoxalement et c'est tout l'intérêt de la façon dont l'auteur traite le sujet, si Dolorès veut passer sous les radars, mener son combat pour elle-même, la police et la justice ne veulent pas non plus faire d'elle une pasionaria ou une martyre. Pas de vague. Pas de vague.
Dès le début de son incarcération, on dépêche Antoine Petit, un psychiatre inconnu pour faire en sorte que le combat de Dolorès soit présenté comme la conséquence de ses troubles personnels et de son instabilité. « Il était agaçant comme une mouche se posant sur le coin de la bouche. » dit-elle en le voyant.
Le lecteur découvre l'histoire de Dolorès au cours de ces entretiens. Tout sépare Antoine et Dolorès. Elle combat. Lui choisit de fuir dans l'alcool et la cocaïne. « J'ai sorti de ma poche ma petite boite métallique, ronde, incrustée de lapis-lazuli et j'ai rendu un petit hommage silencieux à Proust en préparant une poutre que j'ai reniflée de toutes mes forces. »
Le nom des deux personnages marque leur différence Dolorès Leal Mayor, (fidélité et grandeur) contre Antoine Petit, (sans commentaires).
Quand il lui propose l'écume des jours de Vian pour l'amener à se confier, elle revendique « Pas ça j'ai répondu. Je ne demande pas à un écrivain de m'aider à m'évader, je veux qu'il me montre où se trouvent les barreaux. »
Ils sont comme des droites parallèles, deux droites distinctes sont dites parallèles si elles n'ont aucun point en commun…pourtant au fur et à mesure des entretiens des points communs apparaissent. Leurs origines sociales modestes sur lesquelles ils ont capitalisé différemment. Qu'elle le veuille ou non, Dolorès a choisi la lutte comme l'a fait son grand-père. Antoine lui a choisi la promotion sociale mais il est un transfuge de classe honteux, quand son amie Zélie l'emmène à une fête chez des amis dans le 16ème, il répond :
- La bienveillance c'est facile dans un hôtel particulier.
- Tu parles comme ta Dolorès. Ou l'idée que je m'en suis fait.
- Tu as sans doute raison. »
L'auteur illustre son propos sur le consentement et la domination en opposant ses deux personnages suggérant que la lâcheté et la soumission des gens comme Antoine est un choix qui autorise tous les excès de pouvoir.
Pourtant la fin du roman nuance cette analyse laissant penser que le choix de Dolorès cache un certain égoïsme.
A lire assurément ! Lisez le et dites-moi ce que vous en pensez...
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Un roman absolument étonnant, noir, dense et concis sur le face à face entre Dolorès, tueuse en série et Antoine, jeune psychiatre, cocaïnomane.

Dolorès n'a pas été violée, elle n'a jamais été victime d'agressions majeures et pourtant un jour, elle passe à l'acte et tue. Elle tue des hommes, des hommes plutôt riches, après les avoir séduit. Une dizaine de meurtre à son compteur, la rage au corps. Sans le vouloir, Dolorès devient une icône et fait des émules. Elle a ouvert la voie, des femmes tuent prenant conscience des abus des hommes et du pouvoir de l'argent. Un règlement de compte societal qui inquiète en haut lieu. Quand elle est arrêtée, on craint qu'un procès lui donne encore plus de visibilité. La justice charge alors un jeune psychiatre sans expérience et paumé de déclarer Dolorès irresponsable de ses actes.

Un texte sombre et rageux aux accents anarchistes sur une société fracturée et irréconciliable. Un texte qui se lit d'une traite, remarquablement écrit jusqu'à la conclusion surprenante.
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Violence financière et patriarcale, contre-violence improvisée : à force, entre les deux, il n'y a plus rien. Un magnifique quatrième roman de feu et de flamme, poignant, rageur et néanmoins curieusement poétique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/03/17/note-de-lecture-dolores-ou-le-ventre-des-chiens-alexandre-civico/

Ennemie publique n°1 : depuis qu'elle a commencé, un soir, en assassinant un PDG rencontré en boîte de nuit qui croyait banalement que son argent et sa position sociale lui autorisaient n'importe quoi, qu'elle a récidivé, et – bien pire – qu'elle a fait de nombreuses émules, instinctivement décidées comme elle à menacer concrètement – et terminalement – la domination financière et patriarcale sans foi ni loi (autre que celle taillée le cas échéant à ses – souvent larges – mesures), toutes les polices françaises chassaient sans répit Dolorès Leal Mayor. Lorsque la cavale prend fin, son arrestation digne de celle du plus redoutable djihadiste la conduit directement à la case prison, sans passer par les cases commissariat, garde à vue, avocat, etc. : sa seule présence médiatique et – il faut bien le dire – populaire est une grenade dégoupillée pour tout gouvernement – et tout particulièrement pour un gouvernement dont la fragile légitimité est avant tout assise sur la défense de ceux qui vont bien et qui ont l'argent pour en témoigner.

La solution à ce dilemme de police, de justice et surtout de communication – maintenant que les éléments de langage constituent le seul horizon tangible d'une pensée politique : trouver un psychiatre aux abois, facile à manipuler et diriger, qui déclarera la terroriste – comme ils disent – plus ou moins folle à lier, ce qui permettra de l'enterrer vivante pour le salut de la communauté, sans passer par la dangereuse case du procès public. Cela tombe bien : le docteur Antoine Petit, bercé par l'alcool et la cocaïne, n'est pas du tout en position de décliner une offre que précisément, et selon la coutume bien connue, l'on ne peut pas refuser. le voici donc en chemin pour la petite prison des Alpes où l'attend la prisonnière, sommé de produire rapidement un diagnostic sans appel.

Il reste bien, dans l'ombre ou dans la lumière qui aveugle, un troisième protagoniste : Pedro, le protecteur des situations désespérées, le vieux révolutionnaire habitué des luttes anti-fascistes, familier des surveillances et des vies ténues sous le radar sécuritaire, celui qui a couvé Dolorès en fuite (« Ce que tu as commencé, personne ne peut l'arrêter, Dolorès. Ça monte, ça déborde, ça va tout inonder »), celui qui s'inquiète et cultive pourtant l'espoir fou que, enfin, on y arrive – même par des chemins imprévus. Dans un monde tellement à bout, voilà peut-être l'étincelle à préserver quoi qu'il en coûte.

Alexandre Civico excelle à créer des tunnels d'incandescence, rentrée ou explosive : confinée à l'habitacle d'une voiture lancée en course unique entre la France et l'Andalousie (« La terre sous les ongles », 2015), exposée aux vents secs du désert, de la savane ou de la ville désormais hostile (« La peau, l'écorce », 2017), circulaire et hantée autour d'un lieu de mise à mort légale, déjà (« Atmore, Alabama », 2019), ses irruptions de lumière noire et de colère fascinent et dérangent, nécessairement, sous la beauté de la langue qu'il invente pour chaque occasion tout en restant fidèle à sa belle écriture de chemin sec. Son quatrième roman, « Dolorès ou le ventre des chiens », publié en janvier 2024 chez Actes Sud, pousse son art bien particulier un cran plus loin encore.

Comme en écho actualisé d'une ancienne fureur froide, celle qui habitait les personnages fassbindériens du « Si les bouches se ferment » d'Alban Lefranc (là où la Fraction Armée Rouge tuait des fascistes – comme le condensait aussi si magnifiquement, bien plus récemment, le dramaturge Tiago Rodrigues dans un tout autre contexte – quoique…), Alexandre Civico confronte le bouillonnement de celles (et de ceux) qui ne peuvent plus supporter à un univers carcéral – dans lequel il a par ailleurs, et ce n'est pas neutre, assidûment pratiqué l'atelier d'écriture auprès des détenus. de ce choc tragique qui ne peut plus du tout être feutré, celui de la violence des dominations en place et des contre-violences improvisées, il extrait une fascinante démonstration incarnée. En déplaçant la redoutable équation posée par Mathieu Riboulet en 2015, il signifie ce qui sépare désormais Dolorès du ventre des chiens : entre les deux, il n'y a rien.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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L'idéalisme révolutionnaire n'a plus court, on le savait déjà. le dernier combat serait-il celui de la libération de la parole, comme nous le vivons aujourd'hui, ou de la libération des corps féminins, arme fatale s'il en est, instrument de toute puissance face au mâle soumis à ses sens. La dictature sexuelle change de patron et devient féminine. Elle tue et torture, fait peur. Une égérie malgré elle entame sa descente aux enfers peuplés d'hommes asservis, sacrifiés sur un autel dont elle ne sait à qui sont dédiés ces sacrifices. Les origines et le malentendu donnent une réponse qui arrange tout le monde, elle trouve des disciples, l'outil de propagande entretient le mythe, fabrique une nouvelle révolution, nécessaire en ces temps de marée basse idéologique.
Mais non, ce n'est pas ça, elle est folle, faites en sorte qu'elle le soit, au regard de la loi, dernier rempart contre un emballement dont on ne sait où il peut mener. La faiblesse de l'homme est patente, évidente, le riche mâle blanc, l'alpha régnant sur le monde a une moindre allure le slip sur les chevilles et baignant dans son sang.
L'expert notifiera qu'elle n'est que l'instrument de ses origines, il le sait depuis le début des entretiens, elle a quelque chose de pas net, un secret qui explique le tout. La noirceur du trait n'est pas une lutte de libération, la désinvolture n'est qu'un rideau de fumée masquant une blessure originelle.
Lui, revenu de tout, et de lui-même, est déjà mort.
L'écriture est précise et rapide, cédant parfois aux sirènes de stéréotypes, personnages secondaires sortis d'un imaginaire idéologique caricatural. La vision sociétale de l'auteur est si noire que son héros, prototype du sale bonhomme, nage fort bien dans ce monde-là.
Sombre lecture.
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critiques presse (4)
SudOuestPresse
02 février 2024
Après le remarqué « Atmore, Alabama » chez Actes Sud, Alexandre Civico revient chez le même éditeur avec cette critique féroce du machisme et du consumérisme sexuel.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Liberation
29 janvier 2024
Dans son nouveau roman noir, «Dolorès ou le ventre des chiens», Alexandre Civico croque une tueuse en série à talons aiguilles, un texte glaçant qui baigne dans une «tristesse d’égout».
Lire la critique sur le site : Liberation
Marianne_
10 janvier 2024
Un tête-à-tête entre une tueuse et un psychiatre permet à Alexandre Civico, l’un des fondateurs du collectif Inculte, de signer un beau roman noir, dense et concis, dans une veine qui flirte avec celle du documentaire.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Culturebox
09 janvier 2024
La tonalité du roman est étonnante, rageuse, et Alexandre Civico nous réserve une surprise finale et s'adonne à un excellent et surprenant roman de cette rentrée d'hiver.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Des poings contre la porte. Des poings d’hommes, des poings fermés, des poings si serrés que les jointures devaient craquer comme des noix sous des bottes. Des poings de colère. Ça criait. J’entendais à peine ce que ça disait. Le son était ouaté, presque onctueux, pourtant ça criait, pourtant ça hurlait. Puis ça s’est arrêté. Ça a grogné, discuté, frappé à nouveau du plat de la main. Et des pas lourds ont dévalé l’escalier, le bruit s’atténuant à mesure qu’ils s’éloignaient. Un peu de silence, enfin. J’étais assise dans cette mare humide et rouge, collante. Je continuais à caresser doucement sa tête comme une mère qui ne pourrait se détacher de son enfant mort-né. Rien qui vienne me traverser l’esprit. Pas un mot, pas une sensation. Je n’étais que cette main flattant une chevelure éparse. Du temps a passé mais je ne sais pas combien. Et puis c’est revenu. Les mêmes paroles, les mêmes voix qui se diffusaient doucement dans mes tympans mais qui ne parvenaient pas à construire un sens. Une suite de phonèmes que je ne rattachais pas entre eux. Soudain il y a eu un coup assourdissant, énorme, brutal. Suivi d’un deuxième. La porte a volé en éclats. Je n’ai pas levé la tête, j’ai vu leurs chaussures, des brodequins noirs et luisants. Quatre paires qui se sont précipitées dans la pièce. C’est elle, c’est sûr que c’est elle. J’ai entendu un appareil de transmission, ça crachait, il a dit je crois que c’est elle, je crois qu’on l’a. Il s’est adressé à deux des paires de brodequins luisants, vous restez là, vous appelez une ambulance et vous sécurisez. Il a sorti des menottes, m’a demandé de tendre les mains. Je les ai avancées, jointes, comme en prière. Il m’a relevée, a attrapé le manteau qui se trouvait dans l’entrée, l’a posé sur mes épaules. On l’emmène, les gars. J’ai levé les yeux sur un visage carré au regard bleu. Il m’a prise par le bras et m’a fait descendre l’escalier. Son camarade était avec lui. Il n’avait pas besoin de me tenir, lui. Un seul suffisait. Je ne risquais pas de leur échapper. La voiture était garée juste devant la porte de l’immeuble. Avant de sortir, l’homme au visage carré et aux yeux bleus a relevé le manteau et a couvert ma tête de manière à cacher mon visage. Il m’a poussée à l’arrière de la voiture. Le gyrophare tournait, bleu comme les yeux de l’homme au visage carré. La voiture a démarré en trombe. Ils ont appelé le commissariat, on leur a dit ne venez pas, pas tout de suite. Tournez. Visage carré a demandé confirmation. On vous a dit de tourner. On attend un fourgon. Le collègue de visage carré a ralenti. Son air con de flic avait quelque chose de délicieux. Il roulait sans savoir où aller mais hésitait tout de même par moments entre la droite et la gauche. Alors qu’il n’allait nulle part. Qu’il tournait. Il ne s’arrêtait pas aux feux. Il activait la sirène et passait prudemment les carrefours. Nous avons longé le Rhône ou la Saône, je n’en avais que foutre. Un large fleuve en tout cas. J’ai regardé les hauts immeubles haussmanniens. Ils étaient faits de la pierre qui dure, de la pierre qui protège, de la pierre qui étouffe le bruit des rues. Après un temps ça a éructé dans le poste. Allez à l’hôtel de police du 7e. Le chauffeur a fait un demi-tour acrobatique et a appuyé de nouveau sur l’accélérateur. Il avait l’air content de pouvoir faire son rodéo sur les grandes artères de la ville. Quelques minutes plus tard, il s’est arrêté devant un bâtiment administratif, blanc et vitres, s’est garé juste derrière un fourgon dont les portes se sont ouvertes. Visage carré est sorti de la voiture, en a fait le tour, a remis le manteau sur ma tête et m’a transférée d’un véhicule à l’autre. Les portières ont claqué très fort. On m’a assise sur un banc, entre deux flics armés. Un troisième, visage poupin, était en face de moi. Son fusil aurait dû être à bouchon tant il avait l’air jeune. Le fourgon a démarré. J’entendais à nouveau la radio. Sortez de la ville, on vous dira ensuite. Le flic-enfant avait l’air perplexe. La même expression que l’autre quand on a lui a dit de « tourner ». J’ai aperçu à travers le hublot que nous prenions l’autoroute. J’ai dit on va où ? Le gamin a hésité à me répondre. Le manteau commençait à glisser sur mes épaules, découvrant mon soutien-gorge. Je l’ai remis en place comme je pouvais.
Il a répondu on ne sait pas encore. Visiblement, on cherche un centre pénitentiaire pour vous accueillir.
– C’est légal, ça ? Je n’ai pas droit à ma garde à vue ?
– Vous êtes spéciale, il a répondu, vaguement gêné. On ne peut pas prendre le risque de vous garder dans un commissariat. Et puis, avec les dernières lois antiterroristes…
Au bout d’une demi-heure peut-être, la radio, encore. Un nom que je ne connaissais pas a été prononcé. Le fourgon a accéléré. Bientôt, j’ai entendu des sirènes devant et derrière. On nous escortait.
Le flic-enfant regardait mes cuisses du coin de l’œil, gêné comme un adolescent devant le décolleté un peu trop lâche de la mère de sa copine. J’ai rabattu un pan du manteau dont ils m’avaient recouverte pour le priver de la vue. J’ai imaginé un instant ce qui se tramait sous sa casquette. À portée de main, une chair rose, appétissante, interdite. Il devait bander à regret. J’étais Méduse, ou Circé, ou les sirènes de l’Odyssée. Bref, une salope. J’ai passé doucement ma langue sur mes lèvres et j’ai vu son regret devenir douleur. Les menottes marquaient mes poignets. J’avais froid, n’en disais rien. Le fourgon a cahoté une nouvelle fois. Le bruit du moteur grondant comme ronfle un ogre ne masquait pas les sirènes autour. Je ne voyais l’extérieur que par le hublot de la porte arrière, enfermée dans le ventre de métal d’un fourgon pénitentiaire, trois flics armés à mes côtés. Sous mes ongles, le sang avait séché. Il était brun, couleur de terre. La terre et le sang, la même chose.
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Je n’ai pas vraiment dormi. Me suis agité dans le lit, ressassant des choses que je ne ressassais plus depuis un moment. Avant de me lever, j’ai allumé mon portable. Une notification : un autre pauvre type s’était fait crever la peau au sortir d’un grand restaurant de la capitale. Cadre dirigeant d’une boîte de télécommunications. Une perte pour la France. Ça continuait.
Je me suis extirpé d’entre les draps, me suis vêtu rapidement, me suis à peine débarbouillé, et j’ai attrapé la convocation qui était assortie d’un billet de train pour une petite ville nichée dans les Alpes. Les échanges que j’avais eus avec le juge, le fait même qu’il ait pensé à moi m’avaient considérablement surpris. Je n’avais ma thèse en poche et mon nouveau poste à l’hôpital que depuis quelques mois seulement. J’étais, oui certes, officiellement psychiatre, mais j’avais supposé jusqu’alors que pour des affaires de cette ampleur la justice faisait appel à des confrères d’un autre calibre. Lors du premier coup de téléphone, reçu dans mon bureau, quelques jours après l’arrestation surmédiatisée de Dolorès Leal Mayor, j’avais même émis l’hypothèse qu’ils se soient trompés de personne. Ayant un nom relativement commun, j’envisageais possible qu’un autre Antoine Petit fût psychiatre dans un autre établissement. mais c’était bien moi qu’on voulait. Le magistrat instructeur avait fait ses recherches. Il avait été séduit par le sujet de ma thèse. Soit. Elle n’avait pourtant pas eu un écho retentissant au sein de l’académie, les facéties des autorités soviétiques n’intéressaient plus grand monde. Encore moins la créativité de leurs psychiatres et les diagnostics fantaisistes inventés dans le seul but d’enfermer les opposants.
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Le ventre des chiens ou leur bite, c’est la même chose. Et vous le savez très bien. Vous nous faites crever, rapidement ou à petit feu, à coups de ventre, à coups de bite. Vous prenez toute la place.
(...)
Ne t’inquiète pas, je n’ai pas bandé depuis au moins Vatican II. Les hommes vont arrêter de bander m’avait dit Pedro un soir. Si ça se trouve, c’est ça la réponse. Que les hommes arrêtent de bander.
(...)
Le pouvoir ça voudrait faire le bien, mais ça fait toujours le mal.
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Un bureau, un ordinateur, deux chaises de part et d’autre du bureau. Une jeune femme à la queue de cheval haute était assise, raide, elle ne s’est pas levée pour m’accueillir.
– Je suis votre conseillère de probation. Je suis venue prendre un premier contact, savoir comment vous vous sentez.
– En prison.
– J’entends bien, j’aimerais savoir comment vous encaissez le passage derrière les murs.
– Je vous dirai ça dans quelques jours.
– Souhaitez-vous joindre quelqu’un à l’extérieur ? Voulez-vous que je prenne contact avec votre famille ?
– Non.
Je n’avais même plus ma mère. Elle était morte, avait cessé de baver quelque part dans un mouroir à des centaines de kilomètres d’ici quelques années plus tôt. Elle avait de toute façon fini par oublier complètement qu’elle avait une fille. Un genre de fille.
– Vous êtes en observation, ici au quartier arrivants. Vous serez transférée à la maison d’arrêt du centre pénitentiaire, d’ici quatre ou cinq jours. nous nous reverrons pour parler et mettre au point votre projet de détention. Si vous souhaitez me contacter, il faudra m’écrire.
Je n’ai pas relevé le terme de « projet de détention ». J’ai simplement esquissé un sourire vaguement narquois. Trop fatiguée. De projet, je n’en avais jamais eu. Ça n’allait pas commencer ici, au milieu du peuple des grilles.
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Il devait bander à regret. J'étais Méduse, ou Circé, ou les sirènes de l'Odyssée. Bref, une salope. J'ai passé doucement ma langue sur mes lèvres et j'ai vu son regret devenir douleur.
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Fable sur la violence induite par le capitalisme et son patriarcat, *Dolorès ou le Ventre des chiens* est une ode désespérée à l'incandescence des révoltes, et à toutes celles et ceux qui décident, un jour, de se soulever.
le nouveau roman d'Alexandre Civico paraît en librairie le 3 janvier 2024 ! https://www.actes-sud.fr/dolores-ou-le-ventre-des-chiens #litterature #rentreedhiver
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