Dans la forêt glacée.
Frédérique Clémençon ***. Livre fini le 6 février 2023
J'ai rapidement parcouru les 5 critiques de Babelio et le mot qui revient le plus souvent c'est « glaçant ». Oui ce n'est pas faux, car dès lors que l'on traite d'inceste du point de vue de la victime, que dire d'autre ? Pour ma part, ce qui m'a tenté dans la lecture du livre, c'est le procédé littéraire, celui de faire mourir un des protagonistes dès le début (et on le sait dans la 4ème de couverture) et de repartir en arrière. On le voit vivre, se mouvoir au sein d'une grande maison lors d'une fête familiale. C'est le même procédé utilisé dans le livre de
Catherine Cusset dans
l'Autre qu'on adorait (par suicide) et par
Eric Reinhardt dans
Comédies Françaises, deux excellents livres. La mort initiale d'un protagoniste est un procédé littéraire que je trouve passionnant en ce qu'il ajoute à la tension romanesque de l'ensemble et crée un suspense (comment ? quand ? pourquoi ?) qui incite à la lecture du livre jusqu'au bout.
Tout le problème ensuite est de savoir où commence le roman et où commence la réalité. Dès lors que ce n'est pas son premier livre, je suis parti du principe que nous étions dans le registre du roman pur, dans la tête de la petite victime. le frère incestueux est présenté (et on le comprend) comme une ombre implacable, comme un prédateur suave (ce qui rajoute à l'horreur).
Hannah Arendt parlait de « banalité du mal » (dans un tout autre contexte) ; là c'est vraiment ça : une famille aimante, plutôt middle-class, une flopée de frères et soeurs, les vacances, le soleil, et pourtant, l'horreur, la nuit, parfois le jour, à tout moment. Sans doute les moments banals sont très très banals et confinent à l'ennui même si on comprend cette volonté de contraste. Pour autant, le frère n'est pas assez présent dans le récit des moments banals pour créer un véritable contraste, il est peu décrit, on ne le voit pas vraiment vivre, il est réduit à sa fonction de prédateur, alors que le roman aurait eu plus de forces, si l'on avait vu l'étudiant en médecine qu'il était participer « naturellement » à la vie sociale de la maisonnée. Et (même si c'est cruel) on se demande comment cette famille soudée (en particulier la Grand-mère Anita) a pu passer à côté des scarifications de cette petite-fille…mais je sais c'est trop facile quand on y n'est pas. La fin est un peu complexe dans ce qu'elle veut interpréter : le frère meurt suite à sa fuite quand l'héroïne avoue le forfait…il glisse et se tue. Est-ce mérité ? L'histoire ne tranche pas mais nous le fait sentir…sans procès, sans possibilité pour le coupable de se défendre, le crime d'inceste est donc indéfendable. C'est sans doute vrai, mais on ne nous laisse de toute façon pas le choix. Par ailleurs, on apprend que l'arrière-grand-père était un tortionnaire de la même eau. Qu'est-ce à dire ? Que nous sommes sur un héritage ? Que, sinon, on ne craint rien ? En résumé, un livre intéressant, sinon passionnant, qui ne cherche pas à donner de leçon à la manière d'une
Christine Angot, mais qui reste dans l'ambiguïté et donc la frustration du récit. Au passage, j'ai adoré le procédé stylistique (et inédit dans mes lectures, sauf erreur) consistant à ramasser en trois termes le sentiment des héros (engouement, félicitations, intéressant procédé littéraire). Comme ça. Chapeau à l'autrice, il est rare d'innover dans le style (sauf à faire comme
Makenzy Orcel, un livre d'une seule phrase sans virgule).