Maryse Condé est une écrivaine guadeloupéenne connue et reconnue, que j'ai eu l'occasion d'entendre à la radio mais jamais de lire. En rangeant les livres de la médiathèque de l'école en cette fin d'année scolaire, je suis tombée sur ce livre, recommandé par l'Education Nationale pour les CM2. L'occasion faisant le larron, je l'ai emprunté et l'ai lu en deux jours. Initialement paru dans la revue Je Bouquine, c'est indéniablement un livre jeunesse. Langage simple, quelques descriptions mais aucune longueur. C'est aussi un livre très didactique dans sa construction, on balaie en à peine 70 pages bien aérées tous les aspects de la pauvreté haïtienne : la campagne et ses sécheresses chroniques, la violence subie par de nombreux « restavek », ces enfants mi-domestiques mi-esclaves, trop souvent battus, trop souvent privés d'école, corvéables à merci en échange d'un bol de riz que leurs parents n'auront plus à leur fournir, le travail informel dans des conditions abjectes et puis bien sûr l'émigration. Celle vers la République Dominicaine voisine pour la coupe de la canne à sucre ou celle, définitive, vers les Etats-Unis et Miami aussi évanescente et fantasmée qu'un eldorado.
Et
Maryse Condé ne fait aucune concession à son jeune lectorat. Les dures réalités ne sont pas occultées, pas minimisées. C'est finalement un livre très dur que ce « Rêves amers », initialement intitulé « Haïti chérie », en référence à une chanson qui est presque l'hymne non officiel du pays, « Haïti chérie, pli bel pays passé ou nan poin » (« Haïti chérie, il n'existe pas de plus beau pays que toi »)
, et la fin n'apporte aucune note d'espoir, aucune piste de solution, au contraire des codes usuels plutôt optimistes de la littérature jeunesse. Alors certes, beaucoup d'aspects sont très vite évoqués et ne seront pas compris par la plupart des enfants, comme la référence aux Tontons Macoutes, mais le vrai sujet du livre n'est pas le système politique en Haïti, ce n'est pas peut-être la réalité d'Haïti, ce pays l'un des plus pauvres du monde, ce pays où « les touristes arrivaient des lieux les plus éloignés pour se baigner dans ses criques, se dorer sous les baisers de son soleil et goûter à sa cuisine, et [qu']elle, elle devait (…) quitter ! » (p. 74, Chapitre 5, “un bateau dans la nuit”). Non, le vrai sujet est plus universel, c'est l'inégalité, la pauvreté, ce monde où « certains ne songent (…) qu'à se nourrir, se vêtir, survivre, sans pouvoir jamais relever la tête afin d'admirer le feuillage des arbres, l'éclat des fleurs, la splendeur des rivières » (p. 73-74, Chapitre 5, “un bateau dans la nuit”), ce monde où certains enfant n'ont pas même le droit de rêver à une vie meilleure, pourtant ces rêves seraient bien modestes, mais déjà ils sont bien amers.
C'est donc un très beau livre pour faire découvrir aux enfants d'autres réalités, la chance que nous avons de pouvoir aller à l'école, de tous manger à peu près à notre faim, de pouvoir essayer de rêver. Mais un livre très dur, à réserver à des enfants déjà mûrs et capables d'une réflexion poussée, tant il est sans espoir. Une bonne faon de sortir de la littérature enfantine pour se préparer aux livres plus sombres, aux livres qui se finissent mal et qui font partie de la vie de tout lecteur. Au risque d'être emphatique, je dirais même que ce livre préparer le chemin pour des
Zola ou des
Victor Hugo. Et comme il est recommandé par l'Education Nationale, oui un bon livre à étudier en classe, pour en approfondir la compréhension. Un livre qui peut accompagner des cours d'instruction civique, voire des ateliers philo en CM2 ou au début du collège.
Et pour moi, la découverte d'une grande auteure, moi qui suis en général assez hermétique à la littérature des Caraïbes, souvent trop exubérante à mon goût, j'y vois une porte d'entrée, et j'ai maintenant envie de découvrir les romans que
Maryse Condé écrit pour les adultes, en espérant être autant emportée par sa plume.