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Les Errances d'Ulysse » de Xavier de Schutter (2021, EME Editions, 166 p.) est un petit livre d'un centaine et demie de pages qui prétend résumer les 10 années de « l'Illiade » et les 10 années suivantes de « l'Odyssée », avec en prime la généalogie d'
Ulysse et ses années d'errance quand il repart, après être rentré à Ithaque et brièvement retrouvé Pénélope. Ainsi qu'une introduction et un épilogue de la main même de Télémaque. Et en bonus une préface et une postface de l'auteur pour expliquer son ouvrage et la vision d'
Ulysse à travers les âges. Ce qui laisse à peine 130 pages « écrites de la main d'
Ulysse. Ses « Mémoires » en quelque sorte confiées « à ses tablettes d'argile », tout cela pour nous narrer les quelques 60-70 ans des péripéties de la vie d'
Ulysse, entre Ithaque et les Colonnes d'Hercule. Ces dernières formaient alors « les portes de Gadès », c'est à dire les portes du monde connu de l'époque, avant d'aborder le continent perdu d'Atlantide. Donc, vu depuis ces Colonnes d'Hercule, le livre consacre en moyenne 2 pages par année du héros pour un déplacement d'une dizaine de kilomètres.
Tout commence par la généalogie d'
Ulysse. On oublie cependant sa descendance, hormis Télémaque qui est officielle. Ses aventures à Troie, ou plus tard avec circé, Calypso ou Nausicaa sont passées sous silence. Mais bon, ce n'est pas non plus le
Bottin Mondain. Les années de jeunesse à Ithaque sont également très vite survolées, sans qu'il y ait de révélation inédite. On retiendra le casque en cuir à dents de sanglier, qu'il portera à la fin de la guerre de Troie, pour refaire revenir Achille qui boude sous sa tente. Ou sa blessure à la jambe, toujours par un sanglier, qui le fera reconnaître par ses proches à son retour à Ithaque. Mais ces détails sont anecdotiques, et même sans signification précise pour un lecteur qui ne connait pas le détail de l'Illiade ou de l'Odyssée.
On pourra regretter que l'Illiade commence après neuf années de guerre, mais
Homère n'en disait pas plus. Quant aux raisons de la guerre, à part l'enlèvement d'Hélène, le pourquoi, comment sont eux aussi omis. Et pourtant comme le dit
Xavier de Schutter, il existe deux cycles, le troyen et le cyprien qui comblent ces manques. On en connaitra les noms, on en omettra les faits.
Pour ce qui concerne la vieillesse d'
Ulysse et ses aventures après son retour à Ithaque, là aussi, je reste su ma faim.
Dante le fait descendre aux Enfers.
Jorge Luis Borges lui fait rencontrer des soldats romains, puis le capitaine Achab, lui-même, celui de Moby Dick. Et tout ceci depuis les élucubrations de Tennyson en 1842.
A propos de ces errances d'
Ulysse, je pense qu'il y a plusieurs façons de faire, tout en repartant des textes anciens.
- On peut reprendre ces textes et les romancer à sa façon. C'est ce qu'à tenté, avec brio
Madeline Miller dans «
le Chant d'Achille » de
Madeline Miller traduit par
Christine Auché (2014, Rue Fromentin, 400 p.) qui reprend la jeunesse de Patrocle et d'Achille, leur début au siège de Troie. Ou dans sur des épisodes plus précis comme dans son « circé » de
Madeline Miller traduit par
Christine Auché (2014, Rue Fromentin, 436 p.)
- On peut faire une synthèse de ces textes, ou bien en reprendre certains dans une sorte d'anthologie. C'est qu'à tenté de faire avec succès
Evanghélia Stead dans son « Seconde Odyssée. de Tennyson à
Borges » (2009 ; Million, Nomina, 506 p.). Elle documente 15 auteurs depuis Tennyson et son «
Ulysses » (1842) traduit par
Madeleine l'Cazamian et repris dans sélection de
poèmes (1938,
Aubier Montaigne, 342 p.). Jusqu'à différents textes de
Jorge Luis Borges (l'immortel ; Odyssée livre XXIII, le dernier voyage d'
Ulysse) écrits entre 1947 et 1982 (2 tomes dans la Pléiade).
- En refaire une écriture soit moderne comme pour « Enéide » de
Paul Veyne (2012, Albin Michel, 432 p.) soit en traduction plus littérale comme celle de
Marc Chouet (2013,
Diane de Selliers, 484 p.) ou la « Divine Comédie » de
Dante traduite par
Jacqueline Risset (2021, Flammarion, 672 p.)
- Soit, avec plus de talent en refaire une écriture, différente, et beaucoup plus poétique. Soit qui reprenne les textes anciens comme pour
Seamus Heaney et son «Aeneid Book VI » par
Seamus Heaney (2016, Farrar, Straus and Giroux. 112 p.).
- Réécriture complètement différente comme celle, toujours de Seamus Healey « Human Chain » (2010, Faber & Faber, 96 p.) comme une sorte de
poèmes autobiographiques, repris d'ailleurs dans « New Selected Poems 1988-2913 » (2015, Faber & Faber, 240 p.). En particulier, le magnifique poème « Route 110 » qui comporte 12 suites de 12 vers dans lesquels
Seamus Heaney narre le trajet du bus qu'il prenait lorsque, étudiant, il rentrait chez lui entre Belfast et « Cookstown via Toome and Magherafelt». L'allusion à la mythique Route 66 qui va de Chicago et Santa Monica en Californie, traversant les Etats Unis d'est en ouest, est manifeste. Tout comme les 12
poèmes font penser aux 12 chants de l'Enéide.
- Autre exemple de ré-écriture talentueux et poétique que «
Les Enfants de l'Aurore » (2019, Fayard, 160 p.) de
Marie Cosnay, dans lequel l'écriture transcende l'histoire, mais s'appuie sur les textes grecs.
- Pour finir, on ne peut que citer le «
Ulysse » de
James Joyce traduit par Jacques Aubert (2004, Gallimard, 982 p .). Mais là on s'embarque dans une écriture pour lecteur déjà averti.