Christian Dedet, ce passionné de l'Afrique, nous emporte, dès les premières pages, dans son royaume. Il a passé quelques années à parcourir les routes et chemins du Bénin. C'est depuis la région d'Abomey, de Grand-Popo, de Porto-Novo, le lac Nokoué, le fleuve Ouémé… qu'il nous adresse ses notes, un journal remanié, revu et corrigé pour en faire un récit riche, et nous faire partager son expérience, en particulier les rituels vaudou et la religion animiste.
« Les oeuvres missionnaires ayant l'aval du Vatican y rivalisent toujours avec méthodistes et adventistes de toutes nationalités. le fait nouveau, depuis l'ère moderne, réside en des Églises d'inspiration chrétienne fondées par les Africains eux-mêmes. […] L'Église apostolique africaine se signale souvent par des sorties de haut-parleurs, en ville, à percer les tympans, par une littérature vindicative à l'égard du vaudou, distribuée aux carrefours. »
Les rituels vaudous
au royaume d'Abomey, sont un sujet passionnant pour qui s'y intéresse ou s'intéresse aux phénomènes de transe. J'ai souvent ri de ses descriptions, d'autant plus qu'il le fait avec un humour, voire une certaine naïveté, un certain regard occidental, mais lucide et conscient.
« Certains de ces couvents comptent de nombreuses femmes dans leurs rangs. Matrones, pour la plupart, avec leurs cent kilos et leurs seins à proportion, pris dans un filet à grosses mailles ou basculés par-dessus la toile de lin. »
Il n'existe pas qu'un seul vaudou mais un nombre infini. Rien que dans la région d'Abomey on en dénombre autant que de villages. À chaque « couvent » sa pratique, ses dieux, ses tenues. La religion animiste est aussi matinée de religion catholique ce qui présente un avantage non négligeable ! Dans le vaudou, religion animiste (considéré tantôt comme une religion tantôt comme une secte), ce sont les dieux qui descendent dans le corps de l'impétrant pour le chevaucher, et l'avantage est terre à terre, autrement dit terrestre : les récoltes, la nourriture… ; quant aux avantages de la religion catholique, elle promet le salut de l'âme, alors pourquoi pas concilier les avantages des deux !
Maléfices, mauvais sorts, sacrifices animaux (avant, les sacrifices étaient humains) en sont le corrolaire : avec le vaudou on ne rigole pas ! (mais
Christian Dedet semble souvent s'amuser !) :
« Ce personnage est le garde du corps du vaudou Agbo. Il veille à ce que nul affront ne soit perpétré envers le dieu son maître, mais également à ce qu'aucun maléfice ne soit jeté sur ceux ou celles qui dansent sur la place. Un mauvais sort – le cakato – est si vite parti… Il y a des gens si pervers, si malfaisants et qui ont un tel pouvoir, au cours de ces réunions pour pactiser avec les forces du mal. »
A propos des rituels vaudou et des transes des danseurs, si
Christian Dedet a osé faire une petite comparaison avec l'hystérie de conversion décrite par Charcot, il ne semble pas en être convaincu. Bien au contraire, plus loin il vend la mèche, et nous confie son saisissement, ce constat de la puissance incroyable de certains sorciers et fétichistes, des maîtres en la matière. Car la magie opère. Celui qui assiste, de l'extérieur, ou qui vient étudier ces rituels, pourrait n'y voir que des croyances archaïques que n'importe quel ethnologue pourrait démonter. Mais si toutefois l'un d'eux était initié, il en garderait le secret. Il n'aurait pas le choix, c'est une question d'éthique, mais aussi cela pourrait se retourner en maléfice contre lui. Ces pratiques puissantes et parfois dangereuses ne s'adressent qu'à des initiés et celui qui ne l'est pas n'a pas accès à cette connaissance et n'en décrira que les aspects superficiels et visibles.
« Les professeurs de l'enseignement supérieur de Cotonou, les hauts fonctionnaires de Porto-Novo savent à quoi s'en tenir sur l'existence des sorciers. Ils leurs consacrent des thèses dont le moins qu'on puisse dire est que l'objectivité scientifique n'en exclut pas le frisson. Quant aux hommes politiques, même à l'époque où leurs discours se devaient de fustiger les “superstitions”, ils n'omettaient pas pour autant de se prémunir contre l'effet dévastateur des magies. »
Dedet est médecin, et son regard se porte bien sûr aussi sur cet aspect des choses, cet envers du décor qui ne lui échappe pas :
« L'envers du décor est une situation sanitaire effroyable. Paludisme. Dysenterie amibienne. Hépatites A et B. La pathologie la plus meurtrière est représentée par la bilharziose, cette parasitose dont l'agent se trouve dans les eaux stagnantes, pénètre dans l'organisme de l'être humain à travers la peau de la plante des pieds avant de s'attaquer au foie et aux reins où il crée des lésions irréversibles […]. Les figurines fétiches sont en nombre, aux carrefours de canaux. »
Et en toile de fond, la politique de ces dictateurs qui se sont succédé.
Un récit passionnant, à mettre dans la pile des références ethnographiques. Une très belle aventure de lecture !