C'est dans une sorte de bulle que l'on traverse ce roman de 1966, en flottant au dessus d'une réalité démodée, désuète, surannée. Quand Félix y rencontre une âme soeur, les familles de la belle s'en mêlent en évoquant au subjonctif la dot, ou la respectabilité des uns et des autres. Largement de quoi rebuter le lecteur avide de contemporain. Et pourtant il s'y passe une sorte de miracle d'alchimie narrative, difficilement explicable. le démodé devient merveilleusement démodé, le suranné délicieusement suranné, comme dans un conte qui élèverait un tableau kitch en belle oeuvre poétique. Un mystère, sûrement en rapport à une écriture limpide et aérienne, alliée à une romance que l'on visite en ouvrant son âme d'enfant face à un conteur talentueux. À moins qu'il n'y ait autre chose. Par exemple un auteur libéré des contingences d'une littérature moderne, qui écrirait son âme vagabonde au lieu d'une histoire ficelée et ancrée dans notre monde.
Parce qu'il y a une histoire bien sûr, même si l'intérêt de ce livre n'est pas là à mon avis. Il y a donc Félix, Tiburce son ami d'enfance, Angélique, une comtesse et un général, Célestin l'oncle référent, des villes comme Namur, Charleville ou Dinant. Félix a été un enfant abandonné, avant de construire sa vie d'honnête jeune homme méritoire, prêt à convoler avec Juliette grâce à un patron conquis. Mais son passé le rattrape avec le retour de Tiburce. Les deux seront aspirés en deux temps trois mouvements dans la spirale d'une déchéance sociale, aimantés par des chimères à peine conscientes.
de l'amitié, de l'amour, des rebondissements donc, agrémenté d'une sauce à l'eau de rose, au goût miraculeux de potion enchantée. Et même si la bulle a parfois éclaté au cours de ma lecture, dévoilant un arrière-goût de naphtaline, je n'en reste pas moins charmé, je crois même avoir mieux appréhendé cet auteur entrevu avec ses nouvelles d' « un soir », qui m'avaient laissé sur un entre-deux optimiste et curieux.
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" UNE DOUCE ET PURE LUMIERE "
[Une critique du roman d'André DHÔTEL, "Pays natal", 1966, signée du peintre Camille CLAUS et parue dans le quotidien "Dernières Nouvelles d'Alsace", 22 &23 mai 1966]
"Que la terre soit transformée, la société changée, rien n'empêchera qu'on boive du café..." dit un personnage du dernier roman d'André Dhôtel. Et, ajouterons-nous, rien n'empêchera que des hommes écrivent des histoires et que d'autres les lisent avec une joie étonnée.
On est littéralement ravi, envoûté, par la nouvelle aventure que décrit cet auteur fécond et dont l'inspiration ne faiblit pas puisqu'il en est à son 37ème livre. Dans un décor très humble que nous adopterons vite comme "pays natal", sur des routes qui traversent des petites villes et des forêts, l'amour naît et bouleverse des vies avec la simplicité d'un orage suivi d'un ciel serein.
Félix, jeune homme de 25 ans, poussé par une force irrésistible, perd une situation enviée et la promesse d'un riche mariage, et préfère vagabonder avec un ami aussi peu stable que lui. Qui les entraîne ? Sans doute cette "passion banale des découvertes et du voyage", cette soif de vivre non à la manière désordonnée et absurde de certains négateurs actuels, mais au contraire avec la volonté de reconnaître le monde tel qu'il est, c'est-à-dire "terrestre et céleste à la fois".
La toile des destins est tissée habilement et solidement. De rencontres en situations imprévues, les deux comparses qui vivent la poésie mieux qu'on ne saurait l'écrire, découvrent à travers bien des peines "... un espoir qui n'était pas l'espoir de ceci ou de cela, seulement l'espoir sans rien qu'on puisse attendre". C'est de cela que parle ce livre, d'une douce et pure lumière.
Angélique, amie et ennemie d'enfance ["Puceronne"], retrouve Félix pour leur malheur et leur bonheur. Attirés et déchirés l'un par l'autre et par les événements, ils sont entraînés dans un magnifique désordre. "Un désordre absolu. Qu'est-ce qu'ils étaient venus faire en ce lieu ? Mais cela valait la peine justement parce que c'était sans signification." Jamais André Dhôtel n'a raconté l'amour entre deux êtres avec autant de passion. Le lecteur est profondément ému, aussi bien que les jeunes héros.
Un recoin dans lequel tout est illuminé par la grâce : le paysage, les maisons, les enfants, les femmes, les hommes, est-il encore concevable aujourd'hui ? Par quel miracle cet écrivain fut-il préservé de l'asservissement et de l'assèchement des systèmes et des théories ? Que lui importe le problème du langage, il écrit, il raconte, aussi surpris, sans doute, que nous le sommes à la lecture de ces pages. Quelle est cette atmosphère à la fois étrange et familière qui se dégage de chacun de ses livres ? Elle est proprement celle de la poésie. Mais qu'est-ce que la poésie ? Quel charme émane soudain de la description d'un simple verre posé sur la table ou d'un profil de jeune fille qui se détache sur un ciel parfaitement bleu ? L'amour, un amour sensible, concret, cerne, s'empare, possède chaque image évoquée et presque chaque mot.
" C'est toujours la même histoire ! " Oui, mais comme celle des hommes, toujours renouvelée, autre, passionnante. Mais celle-ci nous rend particulièrement attentif, surtout lorsque Félix dit : "On ne démordra quand même pas qu'il ya une aventure entre nous et l'infini." C'est ce lien que l'univers d'André Dhôtel parvient à établir, et c'est pourquoi, malgré les modes et les sciences, son oeuvre ne cessera d'émerveiller tant qu'il y aura quelqu'un qui ouvrira un de ses livres.
Que la terre soit transformée, reprenait Beursaut, la société changée, rien n’empêchera qu’on boive du café et si personne ne se charge de choisir le café, le peuple en sera réduit à la chicorée...le peuple en sera réduit à la chicorée, et il se révoltera, malgré l’estime en laquelle nous devons tenir la chicorée. Cela vous explique, monsieur Marceau, quel rang vous occupez dans notre ville. Cependant, je ne m’attendais pas à une aventure aussi brillante.
Félix se mit à rouler une deuxième boulette de papier.
Il se redressa pour la regarder. Le vent du matin rabattait le châle d'Angélique sur son visage. Félix se prit à imiter à mi-voix le cri d'un oiseau loin dans le ciel. Cela ressemblait à l'appel d'autrefois dans les rues de Namur mais c'était encore autre chose.
Elle le regarda. Alors il saisit son châle et l'arracha brusquement. Il dit : "Puceronne !"
La lumière de ses yeux de de son visage n'avait pas vieilli d'un jour, depuis ce temps... Depuis quel temps ? C'était étonnant comme le soir où elle l'avait délivré (on n'oublierait jamais), ou encore comme cette nuit sous le réverbère quand il l'avait reconnue (on n'oublierait jamais).
Ils entendirent le hennissement du cheval dans l'air du matin. Apolline était partie avant l'aube pour une chevauchée dans la forêt et elle redescendait la pente sur le verger. Quand mourrait-on ?
[André DHÔTEL, "Pays natal", Gallimard, 1966 - réédition Phébus "libretto", 2003, pages 257-258]
Félix était satisfait d'avoir évité tout discussion avec Madame Anselme. Il marcha dans les rues au hasard. La neige lui inspirait une sorte de passion. C'était merveilleux de voir dégouliner les flocons devant les magasins, et les trongues traînées de la neige sur les trottoirs déserts. Pour s'amuser, il monta jusqu'en haut de la ville. A ce moment, les nuages se déchirèrent et la lune apparut dans l'ouverture. [...]
La lune éclairait de nouveau avec vivacité la ville blanche en contrebas, mais surtout les arbustes qui étincelaient tout près de lui. Il ne voulait pas penser à Angélique. Il ne voulait plus jamais. La colline neigeuse était infiniment belle. Il aurait fallu se mettre à genoux dans la neige, se coucher dans la neige, dormir jusqu'à la mort et se réveiller dans l'oubli le plus total, avec une certitude totale et la vision définitive d'un être aimant et aimé.
[André DHÔTEL, "Pays natal", Gallimard, 1966 (réédition Phébus "libretto", 2003) -- fin du chapitre III, pages 154-155]
La conversation en effet prit un tour superficiel comme lorsqu'on va assister à un lever de rideau.
On parla des journaux, et de ce qu'on devrait écrire dans les journaux et qu'on n'y lit jamais.
[André DHÔTEL, "Pays natal", 1966, chapitre III - réédition Phébus coll. "libretto", 2003, page 145]
« […] J'ai reçu de François Dhôtel (1900-1991), sous la forme d'un « tapuscrit » photocopié […], la merveilleuse suite de poèmes que voici. Je me suis dit qu'André Dhôtel, à la mort de qui je n'ai jamais cru, se dévoilait soudain plus vivant que jamais, avec la lumière pailletée de son regard et son sourire en coin.
[…]
Maintenant ces poèmes sont là, qui n'ont rien de testamentaire, même si l'on devine que leur auteur peu à peu s'absente - mais c'est pour mieux affirmer une présence imprescriptible.
Voici ces poèmes, dans l'ordre où je les ai reçus. […] Les poèmes naissent de la couleur du ciel, du temps qu'il faut, d'un écho des jours ordinaires et miraculeux, comme les impromptus qu'aimait tant Dhôtel, ou les petites pièces de Satie. […]
Au rythme séculaire des premières lectures éblouies,
« Voici donc le chant
de la jeunesse oubliée
et des souvenirs perdus »
[…] » (Jean-Claude Pirotte)
« […] Des paroles dans le vent
en espérant que le vent
est poète à ses heures
et nous prêtant sa voix
harmonise nos artifices.
Nos strophes seraient bien des branches
avec mille feuilles que l'air du large
fera parler peut-être un jour
où personne n'écoutera.
Car l'essentiel serait
qu'on n'écoute jamais
et qu'on ne sache pas
qui parle et qui se tait.
[…] » (Espoir, André Dhôtel)
0:00 - Abandon
2:00 - Attente
3:30 - En passant (II)
4:50 - La preuve
5:30 - L'inconnu
6:15 - Splendeur (II)
6:46 - Générique
Référence bibliographique :
André Dhôtel, Poèmes comme ça, éditions le temps qu'il fait, 2000.
Image d'illustration :
https://clesbibliofeel.blog/2020/04/08/andre-dhotel-idylles/
Bande sonore originale : Scott Buckley - Adrift Among Infinite Stars
Adrift Among Infinite Stars by Scott Buckley is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.
Site :
https://www.scottbuckley.com.au/library/adrift-among-infinite-stars/
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