Avec "
Ubik", cet ouvrage est généralement considéré comme le sommet de l'oeuvre de
Philip K. Dick.
Il est considéré comme étant le quatrième ouvrage de
la Trilogie Divine, et le meilleur (oui, je sais normalement, une trilogie c'est trois, mais les commentateurs de Dick sont évidemment dickiens) , cependant il y a doute: est-ce le prologue ou la conclusion. En fait ces quatre ouvrages se répondent comme les mouvements d'un concerto (qui n'en comporte que trois, comme une trilogie) , reprenant et brodant divers aspects d'un thème commun
Par ailleurs cet ouvrage était destiné à être la suite de "
Coulez mes larmes, dit le policier", qui se situe dans la même Amérique fasciste, puis il a été récrit, mais il en reste quelque chose. Bref, c'est du Dick.
Comme toujours pour les livres de cet auteur, l'intrigue n'est pas résumable.
L'ouvrage est construit autour de deux personnages, qui représentent deux facettes de la personnalité de Dick
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Philip K. Dick lui-même, écrivain de science-fiction, rationnel, intelligent, cultivé, charmant en société, charismatique; cette description, qui émane du livre, n'est pas auto-complaisante; elle correspond parfaitement aux témoignages de ses nombreux amis, ex-épouses et petites amies, qui tous l'ont adoré
-et son meilleur ami Nicholas Brady, disquaire, perturbé psychologiquement ,, collectionnant les névroses et les addictions; d'après les mêmes témoins, ce portrait est tout aussi véridique.
C'est pourquoi certains ont diagnostiqué chez lui un trouble de la personnalité dissociée,
l'auteur donne successivement la parole à ses deux "moi": dans la première partie à PKD, dans le seconde à Brady et dans la troisième à nouveau à PKD
Cependant, au cours du livre, les deux personnages se rapprochent de plus en plus, jusqu'à quasi-fusionner dans la troisième partie; et c'est PKD qui, dans la troisième partie, est dans une certaine mesure, est absorbé par Brady et adhère à sa vision du monde
,L'intrigue se déroule dans la Californie des années 70, d'abord identique à la nôtre, puis qui glisse peu à peu dans une dictature fasciste dominée par le président Ferris F. Fremont, avatar de
Richard Nixon. Ce régime ressemble au fantasme que nos complotistes appellent "Etat Profond".
L'irrationnel survient par l'entremise de Brady, qui est en communication de plus en plus proche avec une entité extra-terrestre et/ou divine (attention, Siva est un acronyme, sans rapport avec la déité indoue Shiva). Cette entité guide les personnages, accomplit des miracles et guide la vie de Brady, notamment de Ferris. Siva se révèle de plus en plus proche du Dieu chrétien.
Cette complexité est assumée par l'auteur, qui compare son ouvrage au "Finnegan's Wake" de Joyce, dont Dick est un grand lecteur.
La lecture est passionnante, même si mon intérêt a un peu faibli à mesure que l'intrigue va plus profond dans le monde de Brady.
On a finalement une bonne analyse de la contre-culture, un éclairage intéressant sur la personnalité complexe de PKD, et une réflexion sur la nature de la réalité.
Mais est-ce toujours de la science-fiction? question ouverte.
il faut aussi parler de l'humour; le livre est parfois très drôle, surtout quand l'auteur ridiculise l'extrême-droite américaine, trumpiste avant la lettre; et en fait le président Ferris ressemble plus à Trump qu'à Nixon.