Les bouquins sur la Chine, j'adore. C'est toujours, pour moi, un gage de dépaysement. Ce roman est une totale immersion dans un petit village avec ses traditions et ses secrets
Pour éviter une surpopulation du pays, la Chine décide de contrôler les naissances à partir de 1979. Un seul enfant sera admis par foyer. Culturellement les garçons ont la préférence, à l'issu du mariage les filles vont dans les belles-familles alors que les garçons prendront soin de leurs ainés. Une maxime résume cela : avoir une fille c'est arroser le champ du voisin.
En 1991, une fillette disparait, une de plus, qui s'en inquiète ? Personne, sauf sa mère qui vit cela comme un déchirement. Elle remuera ciel et terre pour la retrouver.
En 2013, Lina, une jeune française de Strasbourg, part étudier pour un an à Canton. A sa descente d'avion elle est contactée par Thomas, membre d'une ONG, pour enquêter sur les disparitions de fillettes dans les années 1990.
Un récit sur les deux époques avec des personnages communs. Même si j'ai eu du mal à adhérer au départ, notamment sur la facilité avec laquelle Lina accepte de collaborer avec Thomas, il faut reconnaitre la maitrise de l'auteur pour avoir ficelé un roman aux petits oignons. Les chapitres, très courts, se répondent à 22 ans d'intervalle. Elle a aussi le don de nous maintenir en suspens à la fin de chacun d'eux, nous obligeant à pousser toujours plus loin pour découvrir la vérité. Mais elle a surtout cette capacité de réaiguiller son enquête pour mieux nous perdre.
Commenter  J’apprécie         1191
Portrait noir d'une Chine encore corrompue
*
Encore une bonne pioche (celle du mois de mai)!
Le 1er roman d'une jeune auteure alsacienne qui a du talent et du potentiel.
C'est un thriller psychologique, avec un côté aventurier et ethnologique. Ainsi qu'avec un soupçon d' histoire économique et politique.
Centré sur l'Empire du Milieu avec la mise en place de la mesure de l'enfant unique, une loi qui a dérivé à plusieurs niveaux. On plonge instantanément au coeur de ce problème.
Une jeune strasbourgeoise, bénévole dans un service de pédiatrie, se voit confier une mission dès qu'elle pose le pied à l'aéroport de Pékin. Etudiante parlant très bien le mandarin, elle se voit proposer une bien étrange affaire. Un jeune expatrié français, employé dans une ONG aimerait qu'elle espionne dans un village traditionnel. Des suspicions autour d'enlèvements d'enfants sont l'enjeu central de cette histoire.
Puis sur une autre temporalité (autour des années 90), mais au même endroit, une jeune maman perd sa fille dans d'étranges circonstances. Elle enquête avec l'aide d'un moine.
*
Plus qu'un thriller, c'est surtout une documentation riche et fournie de la situation économique chinoise, notamment la réglementation des naissances féminines, de la corruption, des incidences sur la population, la misère sociale...(et d'autres thèmes que je ne dévoilerais pas pour garder le suspense).
Bouleversant parce que cette histoire si tragique est le reflet de ce qui s'est passé, se passe certainement encore. J'en ai déjà eu un aperçu en lisant des ouvrages de l'auteure @Xinran .
*
C'est bien rythmé, avec une intrigue policière classique, des personnages attachants. Quelques invraisemblances, notamment pour Lina, l'étudiante qui arrive ici dans le feu de l'action aussi rapidement. Des citations appropriées (de Xinran) émaillent certains chapitres.
De meurtres inexpliqués en poursuites dans les bas-fonds mafieux, le lecteur voyage dans une Chine ancestrale avec ses moeurs d'un autre âge.
*
Immersif, dur, choquant par sa gravité, voilà un thriller rondement mené (mais pourquoi fallait-il rajouter une petite romance érotique dans cette histoire?)
Commenter  J’apprécie         664
« Son père voulait la pendre ou la noyer.
Un seul enfant par foyer.
Il voulait un garçon, mais sa connasse de femme a fait le taf qu'à moitié.
A la campagne on a besoin d'homme fort pour travailler,
Pas d'une bouche à nourrir,
Pas d'une pisseuse bonne qu'à chialer.
C'est presque impossible de vivre à trois.
Une fille unique, c'est perdre son nom de famille,
C'est la honte pour un villageois.
Qu'est-ce qu'il pouvait faire d'un déchet humain ?
Lui éclater le crâne entre deux pierres, l'enterrer à côté du chien... » *
Ces paroles sont extraites de 'La petite marchande de porte-clefs', chanson du rappeur Orelsan citée par l'auteur de ce roman aussi noir que documenté. Sous couvert d'une intrigue policière de construction classique, Julie Ewa bouleverse son lecteur en l'informant sur la société chinoise des trente dernières années - pauvreté, corruption, industrialisation, politique de l'enfant unique et ses conséquences catastrophiques sur les filles et leurs mères...
Si on soupçonne l'auteur d'en rajouter pour faire pleurer dans les chaumières, on peut découvrir les ouvrages de Xinran (notamment 'Messages de mères inconnues'), une journaliste à laquelle Julie Ewa se réfère à plusieurs reprises. Pour (ré)apprendre que le bienheureux Occidental s'équipe à pas cher grâce aux petites mains d'Asie ou d'Afrique, on peut aussi lire 'La fabrique du monde' de Sophie van der Linden...
'Les petites filles' a reçu en 2016 le 'Prix du Polar historique'.
C'est amplement mérité ! ♥
* La Petite Marchande de Porte-Clefs, Orelsan
https://www.youtube.com/watch?v=RXCIkIcdCD8
Commenter  J’apprécie         524
Un policier... mais ne partez pas si vous n'en êtes pas fan, car ce policier là, c'est totalement autre chose !
Moi non plus, ce n'est pas mon genre de prédilection, mais j'ai fortement apprécié celui-ci parce que le fond du livre dénonce les aberrations de la politique chinoise de l'enfant unique. Des petites filles abandonnées, vendues, exploitées, tuées. Des mères traumatisées quand la famille et le poids des traditions leurs imposaient une issue dramatique pour la petite nouvellement née qu'elles avaient commencé à aimer. Alors avec un tel sujet, vous imaginez bien que l'intrigue policière est presque accessoire, néanmoins on tourne rapidement les pages de ce livre... la non-spécialiste de roman policier vous le dit... il est passionnant et instructif !
(ouf ! la politique de l'enfant unique a pris fin, même si ses lourdes conséquences sont encore là pour un moment)
Commenter  J’apprécie         550
« Il vaut mieux un fils infirme que huit filles valides », prônait le dicton. Des sottises... Avec [son fils] Pan-Pan, ni descendance ni 'assurance-vie'. Personne ne veillerait sur ce qui lui restait de vieux jours.
« Tout est de la faute des Occidentaux ! Maudits 'yangguizi' ! »
Elle en avait fait les boucs émissaires de ses nombreux malheurs. Pan-Pan serait-il malade s'il n'avait pas fabriqué des jeans pour ces satanés Américains ? Quand son épouse était décédée, Pan-Pan était devenu 'mingong' (1). Pendant seize ans, le pauvre homme avait dormi dans un piteux dortoir avec d'autres migrants et trimé plus de soixante-dix heures par semaine pour une paye mensuelle de mille yuans (2). Certes, c'était dix fois plus qu'un salaire de paysan, dans les années 1990... Mais pour une telle somme, il avait inhalé des nuages de poussière, ravageant peu à peu les alvéoles de ses poumons. Le sablage industriel l'avait rendu malade.
____
(1) 'Paysan-ouvrier'. En Chine, beaucoup de paysans désertent la campagne et partent chercher une emploi d'ouvrier, souvent en usine, afin de nourri leurs proches, restés au village.
(2) Environ 120 euros.
____
(p. 308-309)
Mais aux yeux de Pan-Pan Gong, Zhen avait brisé ce bonheur. Elle avait martyrisé Xia, au point de la pousser au suicide. Tous les jours elle l'insultait, tous les jours elle l'enfonçait plus bas que terre. Elle clamait qu'une bonne épouse devait mettre au monde un fils, sinon elle ne méritait pas de vivre. Xia était fragile et très influençable. Elle n'avait pas eu de chance : cinq petites filles étaient sorties de son ventre. Zhen en avait vendu deux, et elle avait tué les trois autres.
Rongée par la culpabilité, elle s'était mise à bercer d'invisibles bébés qui lui torturaient l'esprit. Un matin du mois de janvier 1996, Xia s'était donné la mort.
Un fatras d'émotions [l']envahit. Il n'y croyait pas. [Elle] était jeune, si jeune. Pourquoi s'en aller maintenant ?
Après des années de pratique bouddhiste, le moine était convaincu que la mort n'était pas une fin. Tout était impermanent. Nous venions de quelque part et nous y retournions. Une simple continuation. Entre deux renaissances, la vie était un voyage, une aventure, avec pour unique bagage le fruit de notre karma. Celui qui comprenait ce processus n'avait pas de raison de s'inquiéter. Dans ce cas, pourquoi souffrait-il ?
(p. 425)
Depuis des millénaires, les Chinois pensent que les hommes ont plus de valeur que les femmes. Surtout, un fils perpétue la lignée, il restera auprès de ses parents et prendra en charge leurs vieux jours . A l'inverse, les filles mariées s'en vont vivre avec leur belle-famille.
Il avait de très beaux yeux, gris avec des reflets marron. En ville, Sun avait entendu dire qu'il existait des yeux encore plus beaux en Occident : des bleus, des verts, aussi ronds que des soleils. Une dame lui avait raconté que beaucoup d'Européens avaient les cheveux jaunes... Sun n'en avait jamais vu, mais elle se méfiait des 'da bizi'*. Personne n'aimait leurs bras poilus et leurs longs nez.
(p. 45)
* en mandarin, ce mot désigne les étrangers, mais signifie littéralement 'long nez'.
Portrait de Julie EWA sur ARTE 28 minute (1 août 22)
Les romans peuvent-ils cultiver notre empathie pour un être à l’autre bout du monde ? C’est en tout cas ce que pense Julie Ewa, autrice et globe-trotteuse.
Avec Aurore Lalucq, Olivier Babeau et Michel Ruimy !