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Robert Rovini (Autre)
EAN : 9782070701056
448 pages
Gallimard (11/10/1984)
4.14/5   11 notes
Résumé :
Tout en faisant le point des connaissances sur l'œuvre et la personne de Montaigne, Hugo Friedrich entend subordonner cette information à l'analyse de ce que Montaigne appelait «science morale» ; non pas une morale normative, mais une discipline descriptive qui s'intéresse à la variété comme à la motivation des mœurs et qui, à travers les «moralistes» français, aboutira à notre anthropologie moderne.
D'où un nouvel examen des problèmes classiques : la singula... >Voir plus
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A cela s'ajoute une forme de pensée qui se cantonne délibérément dans la sphère des simples opinions privées et du goût personnel. A l'affût de ses réactions spontanées, c'est sa constitution individuelle que l'observateur de soi veut arriver à déceler. "Ce que j'opine, c'est aussi pour déclarer la mesure de ma vue, non la mesure des choses." (II-10) C'est comme si toutes choses, tout ce qu'ont jamais fait ou pensé les hommes, ne lui étaient que des fenêtres pour voir dans sa propre âme, que des moyens de restituer sa propre figure. L'esprit s'est mis à trouver plus d'intérêt à lui-même qu'aux matières qui le mettent en branle. Montaigne a la logique de la subjectivité résolue. Dans la situation historique qui est la sienne, cela signifie la découverte d'un terrain permettant de soutenir la pression de l'énorme culture dont la masse pèse sur le siècle, de l'équilibrer par la poussée antagoniste de l'individualité libre. Au XVI°s, le poids des matières enseignées s'était démesurément accru par l'apport des connaissances humanistes, et avait fini par étouffer le principe d'ordre, encore possible aux débuts de l'humanisme, qui eût permis d'accorder ensemble antiquité et christianisme et d'en dominer la commune étendue. Le résultat fut une polymathie chaotique, une informe accumulation de savoir. Le seul moyen d'en maîtriser la masse restait que l'individu osât rapporter à soi tous les théorèmes, pour leur donner une place dans l'organisation de sa vie et de son âme, ou alors pour les exclure hardiment sans respect des exigences de l'autorité. Quoique encore d'une richesse exceptionnelle, les trésors de culture accueillis dans les Essais y forment un espace aéré dans lequel l'individu se permet d'évoluer à sa guise, de découvrir son originalité, de lui rester fidèle et de dire librement son mot sans se sentir écrasé par la quantité.

p. 16
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Le style antiquisant donné à cette décision de vivre dans la solitude est évident. Achever une période d'activités publiques et politiques par un retour à l'oisiveté et à la méditation passait, dans les milieux cultivés du siècle d'Auguste, pour l'acte qui convient à la vieillesse; Ciceron, dans le De Senectute, Sénèque et Pline le Jeune dans leurs lettres, ont dit leur sentiment là-dessus. Otium cum litteris (Sénèque, Lettres, 82), la formule est celle d'une forme de vie adoptée par les humanistes de la Renaissance. Pétrarque leur montre la voie; il fournira le modèle même de la solitude érudite transportée de la cellule monacale au cabinet du savant, type profane qui allait désormais évoluer parallèlement aux formes religieuses du renoncement au monde. Plus tard, s'inspirant de motifs platoniciens tirés du Banquet, ce seront des cénacles qui s'isoleront ainsi, par exemple les cercles ésotériques de l'Académie médicéenne; ces formes passeront ensuite en France : l'utopie rabelaisienne de l'abbaye de Thélème en est le reflet littéraire le plus connu. La retraite de Montaigne reste aussi dans la ligne de cette tradition cultivée. Il se décida pour la solitude personnelle dans sa sphère privée domestique. Quoique atténuée, une atmosphère de réclusion lettrée, humaniste, de méditation soliloquante, flottera jusqu'à la fin sur les Essais, convenant beaucoup plus à ses goûts que le commerce du monde avec ses devoirs d'état, de politique, de conversation. Sans manifester toutefois de sentiments rigoureusement hostiles au monde, ni quelque orgueil ésotérique que ce soit, son livre baigne dans un espace serein où la vie de l'auteur, qui poursuit son cours habituel nullement inactif encore, ne pénètre plus que tamisée, et tempérée par le recul de la contemplation.
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Ses fonctions de juge et de conseiller le mirent en contact avec les troubles religieux qui éclataient alors et qui formeront la grande toile de fond historique de sa vie. Comme magistrat, aussi bien que dans le privé, il était toujours resté catholique conservateur. Ce trait est d'autant plus remarquable qu'il n'y avait de notables divergences confessionnelles dans son proche milieu familiale. Un de ses frères et deux de ses soeurs s'étaient ralliés à la Réforme. Une nièce, élevée dans le calvinisme, se convertit par la suite au catholicisme, sous son influence, prétend-on (elle fut même béatifiée au siècle suivant). Un de ses cousins était jésuite. Dans la famille de sa femme, on était notoirement ennemi des huguenots. Les divisions religieuses de l'époque se reflétaient donc dans l'entourage immédiat de Montaigne. Il put prendre ainsi une vue directe du déchirement confessionnel, ce qui est important pour définir, comme nous le ferons, son attitude dans les questions religieuses. (...)
Il faut garder ces faits présent à l'esprit pour savoir que le drapé personnel des Essais couvre une couche d'expériences qui s'étendent aux grandes affaires de la Couronne et de l'Eglise de la France d'alors. Les problèmes de la liberté philosophique et de son accommodement avec la vie de société et la vie politique, qui traversent tous les Essais, Montaigne leur avait fait subir, comme à l'idée maîtresse de son conservatisme sceptique, l'épreuve d'une réalité à laquelle il avait pris lui-même une part active.
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Montaigne est un des auteurs classiques que l'on relit, parce qu'il remplit le fond de ce qu'il dit de possibilités inexprimées ou à peine suggérées que l'on peut chaque fois imaginer différentes. Il se prête à toutes les humeurs de la lecture et garde toujours en réserve le mont dont on a justement besoin : même les subtilités d'interprétation, si dangereuses ailleurs, ne tombent jamais tout à fait à côté de lui. Et il gagne en qualité au fur et à mesure qu'on le lit plus souvent. "C'est un vin qui s'amende en vieillissant", disait déjà des Essais la sagace Melle de Gournay.
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Mais nous pouvons aujourd'hui voir ces choses sous un jour quelque peu différent. Montaigne avait plusieurs raisons d'ambitionner rang et crédit. Elles tiennent à sa tâche d'écrivain et à son idée de la civilisation. La littérature européenne du XVIe siècle, la littérature française surtout, s'apprêtaient à faire passer l'écrivain du domaine spécialisé des théologiens et des juristes au "grand monde, à la société des gens de qualité, et inversement à ouvrir à cette société l'accès à des trésors de l'esprit. L'évolution s'était amorcée dans les cours italiennes du Xe siècle et du début du XVIe siècle. Par rapport à leur degré de civilisation, la noblesse française restait attardée. (...)
La noblesse française était cependant destinée, sortant de la grossièreté de ses vertus militaires, à s'élever à un haut niveau de civilisation, et même à devenir le terrain privilégié de la culture universelle. c'est à ce processus que Montaigne participe. Ecrivain, il s'adressait aussi, pour commencer tout au moins, à des nobles, ses pairs en condition. Ce qui supposait, s'il voulait se faire entendre, un certain nombre de compromis. Le premier consistait à affirmer hautement qu'il était lui-même une personne de condition. (...)
Grâce à cette adaptation constante, Montaigne a inauguré la dignité alors toute nouvelle d'écrivain libre et aidé l'aristocratie française, pour autant qu'elle s'affranchissait de son isolement soldatesque et campagnard, sur la voie qui devait la mener à son plein épanouissement intellectuel, à la grande civilisation du XVIIe siècle. Aussi le succès ne manqua-t-il pas : après avoir vaincu les premières résistances, les Essais sont même devenus un livre à la mode dans la noblesse française, et il fut bientôt de bon ton dans les châteaux et les salons de l'avoir sur sa cheminée.
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