« Elle est ma mère. Toute mon enfance a été bercée par des histoires de Russie, lointaines et merveilleuses. Puis quand est venue le temps des séparations entre les mères et les filles, quand je me suis mariée, quand je suis allée vivre ailleurs, à l'étranger, nous avons senti ensemble qu'il nous fallait « un pont », une ligne de retrouvailles : le fil de nos origines, de notre identité, qu'elle seule après tous les deuils familiaux, pouvait désormais nous transmettre. Je l'ai priée d'écrire ses souvenirs et elle m'a promis de le faire.
Macha Méril ».
Ce livre possède une âme, celle de
Marie Gagarine. Elle infuse tout le récit. Son écriture est des plus agréables, élégante, précise, réaliste, fluide, naturelle. Je n'ai pu résister au charme de son écriture. Il est évident que rien ne peut rivaliser avec un témoignage d'une telle honnêteté et qui atteste d'un vécu bouleversé par les tourbillons de l'Histoire. C'est un livre qui m'a passionnée, de très belles photographies insérées dans le livre accentuent l'intimité avec Marie. J'ai refermé ce livre à regret mais il y a une suite, «
le thé chez la comtesse » où l'auteure détaille la dureté du quotidien des russes blancs en exil à Paris.
Vassilki qui veut dire bleuets en russe, est encore un gros bourg de campagne en Podolie Ukrainienne au début du XXème siècle. La famille aristocratique des Belsky y possède leur château. La terre noire y est riche et fertile, les forêts s'étalent sur les versants d'un énorme ravin et une chaine de coteaux arides et tourmentés s'étagent au-dessus de la rivière Ouchitza, à dix km du Dniestr.
C'est dans cette vaste demeure sans aucun confort que Marie Belsky nous invite à partager ses souvenirs d'une enfance très heureuse dans cette campagne russo-ukrainienne. de son écriture se dégage toute cette sérénité qui pouvait régner à Vassilki entre un papa passionné d'horticulture, de menuiserie et de bricolage, aimant la campagne et une maman indifférente à ses toilettes, aimant après Dieu, son mari et ses enfants, appréciant le calme de la campagne, pianiste et passionnée de musique.
On s'éclaire à la lampe à pétrole qui parfois se met à fumer (à filer), pas d'eau courante, c'est encore une jument borgne sous la modeste autorité de Nikita qui apporte les seaux d'eau, aucune commodité surtout en hiver où il faut se laver dans une eau remplie de glaçons jusqu'à la construction d'un bain turc, et c'est sans parler du chauffage, il faisait six degrés dans les pièces. Et pourtant que du bonheur, aucune conscience du manque! Les parents avaient veillé à l'espace, la vue, le parc remarquable, des domestiques mais le confort était des plus spartiates.
Je ne connais aucunement les rites de la religion chrétienne orthodoxe. C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai découvert les préparatifs de Noël comme de Pâques et toute l'effervescence que ces fêtes engendraient dans tout le village. Les relations avec les paysans étaient sereines et tout le monde pouvait participer à toute cette organisation.
Malheureusement, les évènements dramatiques, malgré la distance qui sépare Vassilki de Moscou et qui les préservait jusqu'à présent, vont parvenir jusqu'à eux. Après avoir apprécié les souvenirs heureux de Marie, cette dernière va nous plonger dans les désastres successifs qui vont toucher le domaine de Vassilki et alimenter les antagonistes dans cette région où cohabitent plusieurs cultures. La guerre de 1914/1918, l'abdication du Tsar, la Révolution de 1917, l'arrivée des bolchevicks, la création de la Tcheka et le défilé des envahisseurs. Son écriture fidèle et réaliste va nous permettre de vivre les évènements de l'intérieur et de bien cerner la fin des deux Empires, l'Austro-Hongrois et le Russe.
Les pogroms sous la férule de Petlioura, les tentatives et les échecs pour une Ukraine indépendante, les désaccords entre Kerensky et
Lénine, la naissance de l'Union soviétique, la terreur des paysans, tous ces évènements sont relatés par
Marie Gagarine avec beaucoup de clarté, sans chercher à forcer sur le tragique de l'histoire, ce qui permet d'avoir une vision très précise de l'Histoire de l'Ukraine.
Poussée par un commissaire politique amoureux de Marie qui la contraint de le suivre dans son délire politicien, elle a dix sept ans lorsqu'elle décide, au risque de sa vie, de fuir son pays. Tout au long du récit, on sent cette jeune fille décidée, d'un caractère affirmée, d'un courage qui malgré les épreuves, ne faiblit que rarement. Assoiffée d'indépendance, n'ayant pas sa langue dans sa poche, le désir de vivre chevillé au corps, elle est prête à affronter toutes les épreuves pour gagner sa Liberté. Elle ira jusqu'à connaître l'obscurité terrifiante de la prison militaire.
Le témoignage de Marie nous permet de mesurer à quel point certains peuples, certaines régions du globe, sont malmenés par les tumultes de l'Histoire, cela donne le vertige ! C'est le cas de l'Ukraine maintes fois à la merci du désir de conquête de ses voisins.
J'ai tenté de lire «
La Garde blanche » de
Boulgakov, sans grand enthousiasme. J'ai pu mesurer mon ignorance, il faut une bonne connaissance de l'histoire de l'Ukraine pour aborder cette Garde Blanche qui m'est apparue assez complexe pour une néophyte. Il me manquait un nombre important de paramètres pour me glisser dans cette histoire. Faire la part des choses entre la Révolution, la première guerre mondiale, la fin de l'empire russe et de l'austro-hongrois, un vrai labyrinthe.
Un grand merci à @Krzysvanco pour son retour sur ce livre qui m'a permis un excellent moment de lecture dépaysant et enrichissant.