On aura remarqué (la seule fréquentation de Babelio suffit à confirmer cette impression) que la littérature contemporaine, les milieux éditoriaux
et critiques, la création, la librairie, sont des chasses gardées de la gauche.
Christopher Gérard a eu la curiosité de rechercher les auteurs et les créateurs extérieurs à la Matrice, animés par d'autres valeurs, et qui, de ce fait, ont été exclus du champ littéraire et privés, souvent, de visibilité. Qu'on se souvienne d'
Annie Ernaux, prix Nobel, brisant la carrière de
Richard Millet, ou des signataires de la pétition contre
Sylvain Tesson, entre mille autres exemples. Donc, aux éditions de la Nouvelle Librairie,
Christopher Gérard publie un fort volume, un répertoire alphabétique d'auteurs connus, inconnus, ostracisés ou simplement ignorés. On ne s'étonnera pas de tomber sur
L. F. Céline,
Slobodan Despot,
Ernst Jünger,
Gomez Davila,
Renaud Camus ou Pierre-Guillaume de Roux, mais ce livre sert moins à retrouver des auteurs dont on a déjà entendu parler, qu'à en découvrir d'inconnus.
Christopher Gérard n'a pas négligé les
lettres belges francophones, ce qui est un gage de qualité.
Comme le volume adopte la forme du dictionnaire, on devrait se garder de le lire de A à Z, mais se servir de la table des matières pour aller à tel ou tel écrivain. Cet ouvrage a pour principal intérêt de guider le lecteur vers de nouveaux horizons, qui, pour une fois, ne seront pas tracés et bornés par le journalisme engagé et son bourrage de crâne. Comme, par définition, nous sommes tous en butte à cette propagande incessante, la "faune" littéraire que présente
Christopher Gérard risque de nous paraître un peu étrange, ainsi que le langage employé par le critique pour présenter les personnalités choisies. Il a ses propres tics, ses propres clichés, ses propres valeurs, qui, pour différer de ceux du camp d'en face, n'en demeurent pas moins des clichés et des valeurs frelatés : ("... X qui signe là un vrai livre d'écrivain, hilarant et désespéré, incorrect et plein d'humanité...") . Ce dictionnaire est aussi agaçant qu'il est utile : l'éloge des auteurs va plus souvent à leur personnalité et à leur vie, qu'à leurs livres ; on privilégie les êtres d'exception et non les ouvrages, qui n'apparaissent dans la notice qu'après le portrait de l'auteur, comme s'ils procédaient de la nature particulière de l'homme, et non de son travail sur la langue et sur soi-même. Ce florilège d'êtres d'exception s'exprime dans une langue souvent précieuse, ciselée (comme dit l'auteur) et travaillée pour différer du dialecte du camp d'en face, langue parfois snob où l'on se prévaut des amitiés et des connaissances de tel ou tel pour se mettre en valeur. Enfin, j'ai été un peu lassé du néo-paganisme mondain qui se rencontre à de nombreux endroits ("...lobotomisés par la sous-culture américanoïde, décérébrés par les médias, crétinisés par les dogmes monothéistes".)
Ce volume de 450 pages est donc un livre indispensable pour repérer les non-conformistes et beaucoup d'auteurs belges, étrangers au Wokisme ambiant. Il faut toutefois supporter patiemment cette esthétique narcissique, cette manière d'être l'artiste de sa vie au détriment de son oeuvre, qui donne de la littérature une très fausse, futile et rebutante idée.