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Gérard de Nerval (Traducteur)
EAN : 9782020239073
232 pages
Seuil (20/03/1997)
4/5   13 notes
Résumé :

Dans ce recueil, paru en 1855, Heine a sélectionné, en compagnie de son ami Nerval, ses textes favoris en français. Avec ces poésies d'inspiration romantique, Heine se révèle un musicien du verbe qui a su retrouver les rythmes de la mélodie populaire et inspirer des musiciens comme Schumann et Schubert.

Recueil des poèmes et légendes écrits par Heinrich Heine.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ce recueil d'Heinrich Heine est une oeuvre riche et diversifiée qui explore une gamme étendue de thèmes, de l'amour à la politique en passant par la nature et la réflexion sur l'identité nationale. Il est constitué de trois sections qui apportent une variété de perspectives et de styles poétiques qui montrent la polyvalence de Heine en tant qu'écrivain.

J'ai préféré le premier : "Intermezzo" où il décline de multiples façons un chagrin d'amour tout en explorant des thèmes aussi variés que l'amour, la nostalgie, le voyage et la nature changeante de la vie. Les poèmes de cette section sont emplis de lyrisme et d'émotions profondes.

J'ai ensuite moins apprécié la 2e partie : "La Mer du Nord", section qui explore les émotions humaines à travers des images marines. Heine utilise la mer du Nord comme métaphore pour exprimer des sentiments de mélancolie, de désir et de solitude. Ses poèmes sont empreints de romantisme et reflètent la beauté de la nature, tout en explorant la complexité des émotions humaines.

J'ai nettement moins accroché à la troisième partie, plus politique.
"Germania", cette section, se concentre sur l'Allemagne, son identité nationale et sa situation politique. Heine exprime son engagement politique en soutenant les idéaux de liberté et de démocratie, tout en critiquant les régimes autoritaires. Ses poèmes révèlent une réflexion sur l'identité allemande et la diversité culturelle de l'Allemagne. L'ironie et la satire sont des éléments importants de cette section. Mais cela reste marqué d'un contexte particulier et m'a nettement moins touché.
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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
La fleur de la passion

I

Mon rêve s’encadrait dans des demi-ténèbres. Une nuit d’été. De pâles débris, restes mutilés d’une magnificence éteinte, des fragments d’architecture, ruines du temps de la Renaissance, reposent épars sous la flottante clarté de la lune.

Çà et là, une colonne coiffée de son classique chapiteau d’ordre dorique surgit parmi les décombres. Audacieusement levée vers le ciel, elle semble défier ses foudres.

Ailleurs, des débris de portiques, de toits pointus dont les angles, laborieusement fouillés, sont pourvus de sculptures représentant les créatures intermédiaires entre la bête et l’homme ; des gargouilles, des sphinx, des centaures, des satyres, des chimères ; bref, toutes les bizarreries du monde de la Fable, gisent dispersés sur le sol.

Pareillement, plus d’une figure de femme taillée en pierre repose dans l’herbe, pâle nudité disparaissant à demi sous un réseau de végétations incultes. Le temps, cette syphilis incurable, a rongé le bout de leur noble nez, le nez classique des déesses et des nymphes.

Cependant un sarcophage en marbre, seul monument intact parmi cet amoncellement de débris, domine les ruines, et dans ce sarcophage repose, préservé comme lui de l’atteinte de la destruction, un mort d’une physionomie douce et souffrante.

Des cariatides au cou tendu soutiennent le monument, et les bas-reliefs du pourtour représentent un monde de figures sculptées.

Ici, le regard s’arrête sur les magnificences de l’Olympe et sur les libertines déités païennes ; debout, près d’elles, les personnages d’Adam et d’Ève apparaissent pourvus du chaste tablier en feuilles de figuier.

Ici, c’est la chute de Troie, Troie périssant dans les flammes, Pâris, Hélène, Hector. Des personnages bibliques, Aaron et Moïse, Judith et Holopherne, l’impie Aman lui-même font suite au cortège des héros grecs.

Le même bas-relief contient l’image du dieu Amour, celle de Phébus Apollon, puis des groupes formés par Vulcain et dame Vénus, par Pluton et Proserpine, enfin par Mercure, par Bacchus accompagné de Priape et de Silène.

Derrière eux se tient l’âne de Balaam (l’âne frappant de ressemblance) ; on voit aussi le sacrifice d’Abraham, et Loth, qui se soûla avec ses filles.

Ici danse Hérodiade : sur un plat, on apporte le chef décollé du Précurseur ; plus loin, c’est l’enfer avec Satan, et saint Pierre chargé de la clef gigantesque qui ouvre les portes du Ciel.

Plus loin encore, un tableau lascif : les ardeurs et les méfaits de Jupiter, comment il séduisit Léda sous la forme d’un cygne et Danaé par une pluie de pièces d’or.

Ici passe, avec la rapidité d’une flèche, Diane suivie de son cortège, — nymphes à la tunique retroussée, meutes lancées et haletantes ; — tout près de là, file Hercule, la quenouille au bras, travesti en femme.

Là, paraît le Sinaï ; au pied de la montagne, Israël adore le Veau d’or ; on aperçoit aussi le Seigneur, qui discute, encore enfant, avec les orthodoxes assemblés dans le Temple.

Ici, les contrastes sont hardiment accusés. Les voluptés de la Grèce païenne et la divine personnification de la pensée judaïque ! Le lierre, se tordant à travers ces images, les enlace de ses sombres étreintes.

Bizarrerie des songes ! Tandis que mon regard se posait en rêve sur ces sculptures, il me vint soudain à l’esprit que j’étais moi-même l’homme mort qui occupait cette tombe magnifique.

Une fleur s’épanouissait au chevet de ma couche, fleur d’aspect énigmatique. Les pétales de cette fleur étaient violets et jaune de soufre, et d’elle tout entière se dégageait un sauvage charme d’amour.

Le peuple la nomme « la fleur de la Passion » ; il la dit éclose sur le sol du Calvaire, à l’heure où le divin Crucifié y répandit son sang rédempteur.

Selon la légende, cette fleur porte un témoignage de sang, et son calice renferme l’image de tous les instruments du martyre.

Clous et marteau, courroies et calice, croix et couronne d’épines, on y retrouve tous les attributs de la Passion, tout le sanglant attirail de la torture.

Une telle fleur était auprès de ma tombe, et, penchée sur mon cadavre comme une femme en deuil, dans une désolation muette me baisait le front, les yeux, la main.

Magie du rêve ! Voilà que, par une transformation étrange, la fleur de la Passion, la fleur couleur de soufre devient effectivement une femme, et cette femme, c’est elle, la bien-aimée.

Oui, c’était toi, la fleur, ô mon enfant ! Je devais te reconnaître à tes baisers ! Des lèvres de fleur sont moins tendres ; des larmes de fleur, moins brûlantes.

Ma paupière était close, mais mon âme n’a pas cessé de contempler ta face. Tu me regardais, comme en extase, pâle sous les rayons de la lune qui te caressait de lueurs fantastiques.

Nous ne parlions point. Toutefois mon cœur entendait ce qui se passait dans le tien ; le mot prononcé hautement est sans pudeur, la chaste fleur de l’amour est le silence.

Et combien éloquent est ce silence ! On se dit tout sans métaphores, l’âme ne se croit point obligée d’arborer l’hypocrite feuille de vigne ; on se sait compris sans avoir à se préoccuper de la richesse de la rime, de l’harmonie de la phrase.

Face à face l’un de l’autre, les mots, dépourvus de leurs voiles, prennent un aspect impudique. La chair est soumise aux conditions du temps et du lieu, mais les pensées ne connaissent point d’entraves.

D’un calme regard, elles affirment leur accord. Parfois, mues d’un désir étrange, elles se précipitent dans le sein de la folie ; puis, soudain, reparaissent blanches et immaculées comme de nobles cygnes.

Entretien muet ! On ne croirait guère comme le temps fuit pendant la silencieuse causerie, dans le rêve charmant de la nuit d’été, ce rêve tissé de voluptés et de frissons !

Ce que nous nous sommes dit, ne le demande jamais. Demande le secret de ses clartés au ver luisant ; à l’onde, l’explication de son murmure ; au vent d’ouest, demande le mot de son gémissement et de sa plainte.

Demande ce que signifient les feux de l’escarboucle, ce que veulent dire les parfums de l’hespéris et de la rose ; mais jamais, entends-tu, jamais ne demande de quoi, sous les rayons de la lune, dans le jardin funèbre, l’homme mort et la fleur du martyre s’entretenaient ensemble.

J’ignore combien de temps, dans ma fraîche cellule de marbre, je goûtai le beau rêve pacifique. Ah ! mon repos ne tarda guère à s’évanouir.

Toi seule, ô mort ! toi seule avec ton silence sépulcral, toi seule, peux nous donner la volupté suprême. Les convulsions de la passion, c’est-à-dire le plaisir tourmenté et inquiet, l’agitation sans trêve, voilà ce que la vie brutale et absurde nous donne pour du bonheur.

Hélas ! d’abominables clameurs, venues du dehors, mirent un terme à ma béatitude. Ma fleur avait fui au bruit populacier d’une dispute vulgaire.

Oui, on entendait des sons de voix querelleuses, des trépignements de colère. Certains accents me frappèrent ; je crus reconnaître les voix des personnages sculptés sur les bas-reliefs de ma tombe.

Quoi ! le spectre suranné de la foi vient-il hanter la pierre ? Et la division se glisse-t-elle dans les figures marmoréennes ? Voici le cri d’alarme de Pan, du sauvage dieu des forêts, qui semble vouloir rivaliser de puissance avec les emportements de Moïse.

Non, jamais ne finira cette querelle, toujours on verra subsister l’éternel démêlé entre le vrai et le beau, toujours l’armée humaine demeurera partagée en deux camps : celui des Barbares et celui des Hellènes.

S’injuriaient-ils ! se disaient-ils assez de sottises ! Ils n’en finissaient point avec l’insipide controverse ! Il y avait là surtout un certain âne, l’âne de Balaam, qui criait plus fort à lui seul que dieux et saints réunis.

Avec son y-a-y-a, sa façon de braire ridicule et stupide, la sotte bête m’exaspéra. Moi-même, finalement, je poussai un cri et m’éveillai.

II

Tu es enchaînée par le cercle magique de ma pensée, et ce que j’ai imaginé, rêvé, tu dois à ton tour l’imaginer et le rêver. Tu ne saurais échapper à l’étreinte de mon esprit.

Son souffle sauvage t’enveloppe ; même dans le lit, tu n’es pas sûre contre son ricanement et son baiser.

Mon corps mort gît dans la tombe, néanmoins mon esprit survit, et, semblable à un génie familier, il habite dans ton cœur, ma toute gracieuse.

Accorde-le-lui volontiers, le doux petit nid ; quoi que tu fasses, tu n’échapperas jamais au monstre, tu ne te soustrairas point au pauvre chenapan, et cela quand tu fuirais jusqu’au Japon, quand tu te sauverais en Chine !

Car partout où ton chemin te conduit, mon esprit siège dans ton cœur ; c’est là qu’il rêve ses rêves insensés, c’est là qu’il tente ses sauts alertes.

Entends-tu ? Le voici qui fait de la musique, et ses bonds, comme ses accords, ont un tel charme, que la mouche qui se promène dans les plis de ton rideau s’arrête, ravie, et bondit, elle aussi, de plaisir.

III

Avec des tenailles rougies, pince-moi les côtes, la poitrine, le visage ; fais-moi écorcher, fusiller, lapider, mais ne me fais pas attendre, non, ne me fais pas attendre.

Cruellement, par tous les procédés de torture imaginables, fais-moi rompre bras et jambes, mais ne me fais point attendre ; car, de toutes les tortures, l’attente vaine est la plus douloureuse !

Tout l’après-midi, jusqu’à six heures, je t’ai inutilement attendue hier. Tu ne vins pas, sorcière, si bien que j’en devins quasiment fou ! L’impatience me tenait encerclé comme par des nœuds de vipère, et je bondissais sur ma couche à chaque coup de sonnette ; mais, angoisse mortelle, ce n’est pas toi qu’il annonçait !

Tu ne vins pas, — je rage, je me démène, et Satanas me souffle ironiquement à l’oreille : « La fleur de lotus, la charmante se fiche de toi, vieux fou ! »
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J'ai pleuré en rêve ; je rêvais que tu étais morte ; je m'éveillai, et les larmes coulèrent le long de mes joues.
J'ai pleuré en rêve ; je rêvais que tu me quittais ; je m'éveillai, et je pleurai amèrement longtemps encore.
J'ai pleuré en rêve ; je rêvais que tu m'aimais encore ; je m'éveillai, et le torrent de mes larmes coule toujours.
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AU FOND DE LA MER


J’étais couché sur le bordage du vaisseau je regardais, les yeux rêveurs, dans le clair miroir de l’eau, et je plongeais mes regards de plus en plus avant, lorsqu’au fond de la mer j’aperçus, d’abord comme une brume crépusculaire, puis peu à peu, avec des couleurs plus distinctes, des coupoles et des tours, et enfin, éclairée par le soleil, toute une antique ville néerlandaise pleine de vie et de mouvement. Des hommes âgés, enveloppés de manteaux noirs avec des fraises blanches et des chaînes d’honneur, de longues épées et de longues figures, se promènent sur la place, près de l’hôtel de ville orné de dentelures et d’empereurs de pierre naïvement sculptés, avec leurs sceptres et leurs longues épées. Non loin de là, devant une file de maisons aux vitres brillantes, sous des tilleuls taillés en pyramides, se promènent, avec des frôlements soyeux, de jeunes femmes, de sveltes beautés dont les visages de rose sortent décemment de leurs coiffes noires et dont les cheveux blonds ruissellent en boucles d’or. Une foule de beaux cavaliers costumés à l’espagnole se pavanent près d’elles et lancent des œillades. Des matrones vêtues de mantelets bruns, un livre d’heures et un rosaire dans les mains, se dirigent à pas menus vers le grand dôme, attirées par le son des cloches et le ronflement de l’orgue.

À ces sons lointains, un secret frisson s’empare de moi. De vagues désirs, une profonde tristesse, envahissent mon cœur, mon cœur à peine guéri. Il me semble que mes blessures, pressées par des lèvres chéries, saignent de nouveau ; leurs chaudes et rouges gouttes tombent lentement, une à une, dans la mer, elles tombent sur une vieille maison qui est là dans la ville sous-marine, sur une vieille maison au pignon élevé, qui semble veuve de tous ses habitants, et dans laquelle est assise, à une fenêtre basse, une jeune fille qui appuie sa tête sur son bras. — Et je te connais, pauvre enfant ! Si loin, au fond de la mer même, tu t’es cachée de moi dans un accès d’humeur enfantine, et tu n’as pas pu remonter, et tu t’es assise étrangère parmi des étrangers, durant un siècle, pendant que moi, l’âme pleine de chagrin, je te cherchais par toute la terre, et toujours je te cherchais, toi toujours aimée, depuis si longtemps aimée, toi que j’ai retrouvée enfin ! Je t’ai retrouvée et je revois ton doux visage, tes yeux intelligents et calmes, ton fin sourire. — Et jamais je ne te quitterai plus, et je viens à toi, et les bras étendus, je me précipite sur ton cœur.

Mais le capitaine me saisit à temps par le pied, et, me tirant sur le bord du vaisseau, me dit d’un ton bourru : « Docteur ! docteur ! êtes-vous possédé du diable ? »
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MAL DE MER


Les nuages gris de l’après-midi descendent plus bas sur la mer sombre qui semble aller au devant d’eux. Entre elle et eux fuit le navire.

Malade et toujours assis près du grand mât, je me livre à des méditations sur moi-même, méditations d’un gris cendré qui sont extrêmement vieilles, les mêmes que fit déjà le père Loth quand il eut trop joui des bonnes choses et s’en trouva si mal, après. Parfois me viennent aussi d’antiques histoires : comment les pèlerins marqués de la croix, au cours des traversées orageuses, baisaient pieusement l’image consolatrice de la sainte Vierge ; comment les chevaliers, atteints du même mal de mer, trouvaient de semblables consolations en pressant sur leurs lèvres le gant bien-aimé de leur dame… Mais moi, je reste là la mine renfrognée, mâchant un vieux hareng, consolateur salé, tout secoué de nausées et malade comme un chien.

Cependant le navire lutte avec les vagues déchaînées ; tel un cheval de bataille qui se cabre, tantôt il se dresse sur l’arrière, faisant craquer le timon, tantôt il se précipite, la tête en avant dans la gueule hurlante des flots ; puis, comme épuisé par l’amour, on dirait qu’il s’étend, indolent, sur le sein noir de la vague géante, laquelle vient à nous en mugissant très fort et tout-à-coup, telle une cataracte effrénée, s’effondre dans un blanc bouillonnement et m’inonde de son écume.

Cette agitation, ce roulis, ce tangage est insupportable ! En vain mes yeux cherchent la côte allemande. Hélas ! je ne vois que de l’eau, de l’eau de toutes parts, de l’eau en mouvement !

De même que, par un soir d’hiver, le voyageur aspire à la tasse de thé intime et chaude, ainsi mon cœur aspire à toi, patrie allemande ! La sottise, les hussards, les mauvais vers et les petits traités douceâtres peuvent couvrir ton sol chéri ; tes zèbres peuvent manger des roses, au lieu de manger des chardons ; tes nobles singes en falbalas peuvent se rengorger fièrement et se croire supérieurs à tout le pesant bétail ; tes parlements de limaces peuvent s’estimer immortels parce qu’ils rampent avec lenteur ; ils peuvent voter tous les jours pour qu’on sache si le fromage appartient aux vers qui le rongent et délibérer interminablement sur le point de savoir comment on perfectionnera les brebis d’Égypte, en vue d’améliorer leur laine et pour que le berger puisse les tondre, comme les autres, sans distinction aucune, — la démence et l’iniquité peuvent te couvrir tout entière, ô Allemagne ! je n’en aspire pas moins à toi : parce que du moins tu es la terre ferme.
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LES DIEUX GRECS


Sous la lumière de la lune, la mer brille comme de l’or en fusion ; une clarté, qui a l’éclat du jour et la mollesse enchantée des nuits, illumine la vaste plage, et dans l’azur du ciel sans étoiles planent les nuages blancs comme de colossales figures de dieux taillées en marbre étincelant.

Non, ce ne sont point des nuages ! Ce sont les dieux d’Hellas eux-mêmes, qui jadis gouvernaient si joyeusement le monde, et qui maintenant, après leur chute et leur trépas, à l’heure de minuit, errent au ciel, spectres gigantesques.

Étonné et fasciné, je regardai ce Panthéon aérien, ces colossales figures qui se mouvaient avec un silence solennel. Voici Kronion, le roi du ciel ; les hivers ont neigé sur les boucles de ses cheveux, de ces cheveux célèbres qui, en s’agitant, faisaient trembler l’Olympe. Il tient à la main sa foudre éteinte ; son visage, où résident le malheur et le chagrin, n’a pas encore perdu son antique fierté. C’étaient de meilleurs temps, ô Zeus ! ceux où tu rassasiais ta céleste convoitise de jeunes nymphes, de mignons et d’hécatombes ; mais les dieux eux-mêmes ne règnent pas éternellement, les jeunes chassent les vieux, comme tu as, toi aussi, chassé jadis tes oncles les Titans et ton vieux père, — Jupiter parricide. Je te reconnais aussi, altière Junon ! En dépit de toutes tes cabales jalouses, une autre a pris le sceptre, et tu n’es plus la reine des cieux, et ton grand œil de génisse est immobile, et tes bras de lis sont impuissants, et ta vengeance n’atteint plus la jeune fille qui renferme dans ses flancs le fruit divin, ni le miraculeux fils du dieu. — Je te reconnais aussi, Pallas Athéné. Avec ton égide et ta sagesse, as-tu pu empêcher la ruine des dieux ? Je te reconnais aussi, toi, Aphrodite, autrefois aux cheveux d’or, maintenant à la chevelure d’argent ! Tu es encore parée de ta fameuse ceinture de séduction ; cependant ta beauté me cause une secrète terreur, et si, à l’instar d’autres héros, je devais posséder ton beau corps, je mourrais d’angoisse. — Tu n’es plus qu’une déesse de la mort, Vénus Libitina !

Le terrible Arès, que voilà, ne regarde pas non plus d’un œil trop amoureux sa livide maîtresse. Le jeune Phébus Apollo penche tristement la tête. Sa lyre, qui résonnait d’allégresse au banquet des dieux, est détendue. Héphaistos semble encore plus sombre, et véritablement le boiteux n’empiète plus sur les fonctions d’Hébé et ne verse plus, empressé, le doux nectar à l’assemblée céleste… Et depuis longtemps s’est éteint l’inextinguible rire des dieux.

Je ne vous ai jamais aimées, vieilles divinités classiques ! Pourtant une sainte pitié et une ardente compassion s’emparent de mon cœur, lorsque je vous vois là-haut, dieux abandonnés, ombres mortes et errantes, images nébuleuses que le vent disperse, effrayées, et, quand je songe combien lâches et hypocrites sont les dieux qui vous ont vaincus, les nouveaux et tristes dieux qui règnent maintenant au ciel, renards avides sous la peau de l’humble agneau… oh ! alors une sombre colère me saisit, et je voudrais briser les nouveaux temples et combattre pour vous, antiques divinités, pour vous et votre bon droit parfumé d’ambroisie ; et devant vos autels relevés et chargés d’offrandes, je voudrais adorer, et prier, et lever des bras suppliants…

Il est vrai qu’autrefois, vieux dieux, vous avez toujours, dans les batailles des hommes, pris le parti des vainqueurs ; mais l’homme a l’âme plus généreuse que vous, et, dans les combats des dieux, moi, je prends le parti des dieux vaincus.

Et ainsi je parlais, et dans le ciel ces pâles simulacres de vapeurs rougirent sensiblement et me regardèrent d’un air agonisant, comme transfigurés par la douleur, et s’évanouirent soudain. La lune venait de se cacher derrière les nuées, qui s’épaississaient de plus en plus ; la mer éleva sa voix sonore, et, de la tente céleste, sortirent victorieusement les étoiles éternelles.
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Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel ! Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart, du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la première fois. Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d'affaires... On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876, quelques jours avant sa mort. Les auteurs : George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps. Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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