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Philippe Jaccottet (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070321650
187 pages
Gallimard (02/02/1978)
4.1/5   63 notes
Résumé :
Ce soir mon cœur fait chanter
des anges qui se souviennent...
Une voix, presque mienne,
par trop de silence tentée,

monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s'unir ?

«C'est le premier poème de Vergers, écrit autour du 1er février 1924 ; il dit, avec une espèce de joie étonnée et reconnaissante, que la poésie recommence, que l'excès du silence est rompu ; en fa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Il pleut sur le jardin. Une pluie fine, pénétrante, presque invisible si ce n'était le sol qui rayonne, gorgé de ses oeuvres, les ruissellements glougloutant dès que la pente y suffit.

Il pleut sur le jardin. le violoncelle de Rostropovitch pour les notes de Bach, la flamme d'une bougie et la chaleur d'un thé de bergamote : habiller cette journée de chaleur et de joie à l'intérieur même de la fructueuse pluie.

Parcourir des yeux et puis des mains les rayons de ma bibliothèque. Nous discutions ici de ce à quoi servaient ces centaines de livres dont les dos nous regardent et nous accompagnent jusqu'à notre dernier repaire. Eh bien, voilà un usage que nous avions omis : par une journée de pluie, retrouver un de ces amis et laisser le temps s'écouler dans ses vers.

Vergers. Une oeuvre que Philippe Jaccottet, qui la préface, avoue marginale comparée aux Elégies. Un recueil que Rilke a composé en français à la fin de sa vie, aux prétentions modestes qui me vont bien mieux que toute emphase. Des poèmes toujours courts, un regard ordinaire sur des choses ordinaires : la lampe de bureau, « un simple verre de tous les jours », des fleurs à qui l'on fait des confidences, un lit bien robuste à supporter tant d'humeurs, la paume d'une main pleine « de ces lignes et de ces rides / que l'on entretient / en fermant sur le vide / cette main de rien ». Et dehors, dans un verger blond plein de la dentelle des branches qui donne son nom au recueil, dans la lumière changeante des saisons quelques « dieux hors d'usage » dont la seule occupation n'est plus que « d'arrondi[r] les fruits » afin que l'on s'en délecte dans une chaude après-midi.

Petit monde humble et léger fait d'impressions ludiques et d'une forme d'espièglerie enfantine. Mais la douleur jamais loin, seulement somnolente. le risque d'un immobile « d'où l'avenir est absent ; où il faut être inutilement fort/ et triste, inutilement. »

Baste ! Laissons là le péril de « notre instant insigne / avant qu'une vague maligne / nous renverse et pousse à bout. ». Amusons-nous plutôt de ce que seraient les cimes des arbres « vues des Anges » : des racines peut-être quand « les profondes racines d'un hêtre leur semblent des faîtes silencieux. » ? Allons à la rencontre du printemps naissant. Ce serait facile et mièvre peut-être si sa sève n'était pas capable de tuer « les vieux et ceux qui hésitent », « tous ceux qui n'ont plus la force de se sentir des ailes ». « Mais quand la terre remue / sous la bêche du printemps, / la mort court dans les rues / et salue les passants. »

A la recherche de mots à mettre sur mon humeur, sur ces impressions printanières qui sont faites de jaillissements, d'humide et de forces érigées, bourgeons boursouflés, lumière toujours un peu plus haute, un peu plus claire que la veille, je feuillette : « Ombres des feuilles frêles, / sur le chemin et le pré, / geste soudain familier / qui nous adopte et nous mêle / à la trop neuve clarté. » M'y voilà, à mon tour fondue dans cette atmosphère, généreusement lovée dans ce « nous » adopté.

Et puis d'autres « chemins qui souvent n'ont / devant eux rien d'autre en face / que le pur espace / et la saison. » Dissolution d'un « je » qui laisse au monde le soin d'être lyrique pour lui, absorption de soi dans une direction abstraite à force d'épure. J'y suis enfin !

Plus tard, les jours en gagnant, imaginer bientôt le « Chemin qui tourne et joue / le long de la vigne penchée, / tel qu'un ruban que l'on noue / autour d'un chapeau d'été. » C'est plus facile, aimable et ravissant et cela a des airs de compliment que l'on trousserait après un repas bien arrosé à l'ombre de cerisiers.

Les pages comme le temps filent, la clématite et le liseron s'unissent « en dehors de la haie embrouillée » « Cela forme le long du chemin / des bosquets où des baies rougissent. Déjà ? Est-ce que l'été est plein ? »

Ah non, pas tout de suite ! Je vais trop vite, grisée par les perspectives à venir, le « silence plein / d'inexprimable audace ». Revenons un temps à un rythme plus lent pour goûter encore les délices de ces Vergers :

Dans la multiple rencontre
faisons à tout sa part,
afin que l'ordre se montre
parmi les propos du hasard.

Tout autour veut qu'on l'écoute - ,
écoutons jusqu'au bout ;
car le verger et la route
c'est toujours nous !
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À la fin de sa vie, Rilke qui réside alors à Muzot dans le Valais, rédige des poèmes en français, abandonnant l'allemand sa langue natale, manière de rendre hommage à la langue de cette région qu'il affectionne et où il mourra en 1926 ( il y est d'ailleurs enterré ). Aucune distorsion de traduction à redouter donc dans ces vers, tant les transcriptions en français des vers de Rilke subissent malheureusement souvent des dommages par rapport à leurs sens et leurs sonorités en allemand. Ils gagnent ici en limpidité, c'est manifeste.
Et quelle chance : c'est Philippe Jaccottet, sensible poète suisse amoureux lui aussi de la nature, qui préface le recueil de ces poèmes français, et nous apprend, entre autre, que Rilke dit avoir été tenté d'écrire en français pour le seul beau nom de Verger. Belle anecdote évocatrice de resplendissante et voluptueuse journée d'été qui inonde ce recueil.
Pour faire très court : ce recueil fait du bien !

Cinq recueils sont ici regroupés : Vergers, Les Quatrains Valaisans, Les roses, Les fenêtres et Tendres impôts à la France ( plutôt hommages et non fiscalité bien sûr ).
Je retiens surtout de ces poèmes la simplicité de la voix de Rilke, sa justesse à dépeindre la nature et les petits détails du quotidien, le tout baigné de la bienfaisante lumière estivale. Quel bonheur de déguster au hasard quelques lignes, ou le soir, en été, après une belle journée en montagne !
J'ai de fait une légère préférence pour les Quatrains Valaisans, magnifiques évocations poétiques de paysages alpins en été qui sont si beaux et que j'affectionne :
" Pays, arrêté à mi-chemin entre la terre et les cieux, aux voix d'eau et d'airain, doux et dur, jeune et vieux ",
" Vois-tu, là-haut, ces alpages des anges entre les sombres sapins ? Presque célestes, à la lumière étrange, ils semblent plus que loin. "
" Été : être pour quelques jours le contemporain des roses ; Respirer ce qui flotte autour de leurs âmes écloses. "
Je pourrais recopier inlassablement...mais je préfère vous encouragez à découvrir ce livre, complété aussi d'une courte biographie du poète.
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Rainer Maria Rilke s'est mis à écrire des poèmes en français assez tardivement. Les raisons du choix de cette langue sont multiples. Il s'agit tout d'abord d'affinités amicales –en témoignent sa correspondance et ses amitiés avec des poètes français tels que Gide, Romain Rolland, Jouve, Supervielle, Baudelaire ou Paul Valéry-, mais aussi d'une lassitude de la langue maternelle allemande. Dans le cas des poèmes des Vergers, retenons cette justification valable au-dessus de toutes les autres : « Je me rappelle, par exemple, qu'une des premières raisons de passer à une poésie française fut l'absence de tout équivalent à ce délicieux mot : Verger ». La vraie poésie peut se contenter de ce genre de justification qui ne justifie rien. On sent bien, de toute façon, que rien n'est fortuit dans ces poèmes, et que chaque mot semble issu d'un jugement terrible auquel nous autres, humains ( ?), n'aimerions pas avoir affaire.
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Dans la mélancolie d'une Saint-Valentin solitaire, la rose que je reçois me console. C'est une rose de mots, simple et pleine de son rêve, "Narcisse exaucé" dont les pétales sont une caresse aux pétales. La ballade dans le verger, qui fait comme s'il ne sommeillait plus, se colore de saveurs et de pensées vers là-haut, à la cime des arbres et de la vie, dans la rocaille enivrante d'un Valais lumineux. Simplicité et justesse, Rilke touche à l'idéal de la poésie, sans en avoir l'air, en s'appropriant cette langue française si liquide dans ses cascades raffraichissantes, et si légère dans la beauté fragile d'une rose heureuse ou d'une mélodie passagère.
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Rainer Maria Rilke a vécu ses cinq dernières années dans le Valais, donc dans la partie francophone de la Suisse. C'est là qu'il a écrit ces poésies directement en français, ce qui est tout bénéfice pour nous, lecteurs francophones: le texte ne risque aucune trahison par le traducteur. Ce recueil contient cinq parties distinctes. Les poèmes présentés sont presque tous charmants, sans prétentions, simples et fluides, en connexion directe avec la nature somptueuse qui entourait Rilke. Pour ma part, je suis agréablement étonné par la maîtrise de la langue française démontrée par ce germanophone. Ainsi, cette lecture est pour moi une expérience inattendue et plaisante.
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Citations et extraits (72) Voir plus Ajouter une citation
BEAU PAPILLON PRÈS DU SOL

Beau papillon près du sol,
à l'attentive nature
montrant les enluminures
de son livre de vol.

Un autre se ferme au bord
de la fleur qu'on respire - :
ce n'est pas le moment de lire.
Et tant d'autres encor,

de menus bleus, s'éparpillent,
flottants et voletants,
comme de bleues brindilles
d'une lettre d'amour au vent,

d'une lettre déchirée
qu'on était en train de faire
pendant que la destinataire
hésitait à l'entrée.
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Ô mes amis, vous tous...

Ô mes amis, vous tous, je ne renie
aucun de vous ; ni même ce passant
qui n'était de l'inconcevable vie
qu'un doux regard ouvert et hésitant.

Combien de fois un être, malgré lui,
arrête de son oeil ou de son geste
l'imperceptible fuite d'autrui,
en lui rendant un instant manifeste.

Les inconnus. Ils ont leur large part
à notre sort que chaque jour complète.
Précise bien, ô inconnue discrète,
mon coeur distrait, en levant ton regard.
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VOIS-TU, LÀ-HAUT, CES ALPAGES ...

Vois-tu, là-haut, ces alpages des anges
entre les sombres sapins ?
Presque célestes, à la lumière étrange,
ils semblent plus que loin.

Mais dans la claire vallée et jusques aux crêtes,
quel trésor aérien !
Tout ce qui flotte dans l'air et qui s'y reflète
entrera dans ton vin.
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LA FENETRE

I
N'es tu pas notre géométrie,
fenêtre, très simple forme
qui sans effort circonscris
notre vie énorme?

Celle qu'on aime n'est jamais plus belle
que lorsque la voit apparaître
encadrée de toi, c'est ô fenêtre,
que tu la rends presque éternelle.

Tous les hasards sont abolis. L'être
se tient au milieu de l'amour,
avec ce peu d'espace autour
dont on est maître

II

Fenêtre, toi, ô mesure d'attente,
tant de fois remplie,
quand une vie se verse et s'impatiente
vers une autre vie. (...) (p. 74)
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NOTRE AVANT-DERNIER MOT

Notre avant-dernier mot
serait un mot de misère,
mais devant la conscience-mère
le tout dernier sera beau.

Car il faudra qu'on résume
tous les efforts d'un désir
qu'aucun goût d'amertume
ne saurait contenir.
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Vidéo de Rainer Maria Rilke
"L"heure grave" Poème de Rainer Maria Rilke, chanté par Colette Magny
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