François Heisbourg, probablement l'un des meilleurs analystes de la scène internationale, nous offre deux ans après "
La fin de l'Occident ?" son nouvel opus. Cet exercice de prospective est nettement moins ambitieux et beaucoup plus prudent que celui auquel se livre
Jacques Attali dans "
Une brève histoire de l'avenir". le monde en effet est devenu selon Heisbourg plus « épais », plus « visqueux » et donc moins prévisible : « la multiplicité des acteurs du système-monde, les régulations nouvelles des sociétés postindustrielles, l'ampleur des défis planétaires et le multiplicité des réseaux d'interdépendance rendant progressivement plus difficile la prise de décisions tranchées » (p. 16).
Ce monde se caractérise par une mondialisation accélérée par la révolution des technologies de l'information à laquelle le premier chapitre du livre est consacré. le deuxième est toutefois plus intéressant qui interroge la pérennité de la domination américaine. Selon Heisbourg –
Attali est du même avis – le « moment unipolaire » ne durera pas. L'hégémonie américaine sera-t-elle pour autant supplantée ? Heisbourg s'interroge sur la capacité de la Chine à assumer ce nouveau leadership. Il conclut son troisième chapitre par la négative constatant que si la Chine possédera peut être les attributs objectifs de la puissance (population, richesse, force militaire), il lui manquera encore la capacité d'exporter à travers le monde des valeurs culturelles susceptibles d'emporter l'adhésion : « La Chine sera très vraisemblablement une superpuissance rivalisant avec les États-Unis. Simplement elle ne sera pas la nouvelle puissance hégémonique » (p. 137)
Si Heisbourg conclue à « l'émergence d'un monde sans maître » (p. 16), ce n'est pas, on l'aura compris, faute de candidats, mais plus fondamentalement en raison du changement de la règle du jeu du monde postindustriel :
l'épaisseur du monde rendra impossible l'exercice de l'hégémonie politique traditionnelle.
La question qui se pose alors, et à laquelle Heisbourg consacre les deux derniers chapitres de son livre, est celle des défis de ce monde post-westphalien et des moyens d'y répondre. Rompant avec l'optimisme d'un
Francis Fukuyama ou d'un Thomas Friedman, Heisbourg soutient que « la terre n'est pas plate » c'est-à-dire que la mondialisation n'a pas entraîné une homogénéisation du monde où les questions de territoire et d'identité sont plus prégnantes depuis la fin de la guerre froide. Dans ce monde hétéronome, l'anarchie est possible qu'aggraveront les laissés-pour-compte africains de la mondialisation, les résistances moyen-orientales à la marche démocratique et les tentations nationalistes latino-américaines. Pour autant le système monde se régulera en limitant le champ de la force – l'aventure américaine en Irak constituera probablement un précédent à ne pas reproduire – et en étendant l'empire de la norme : le fonctionnement de l'OACI, de l'OMS ou de l'OMC, organisations « techniques » où les États négocient sous le regard vigilant de la société civile les règles garantissant la gestion intelligente de ressources limitées préfigure peut-être l'exercice futur du pouvoir dans un monde sans maître.