Un proverbe bulgare dit que ce ne sont pas les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais que ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants. Avec le grand nombre de témoignages qu'elle a recueillis, tant auprès de malades, de mourants, que de soignants,
Marie de Hennezel pourrait faire sienne cette affirmation. L'analyse de ce qu'ils révèlent lui permet en effet, dans cet ouvrage, de nous éclairer sur ce temps incertain entre la vie et la mort qu'on nomme "fin de vie", et qui fait donc bien partie de la vie, et de faire oeuvre de pédagogie. Un problème bien posé étant à moitié résolu,
Marie de Hennezel, à défaut d'apporter toutes les réponses, fixe ainsi des repères à notre réflexion. En ce sens, son oeuvre est salutaire.
Elle s'attache d'abord à rappeler le sens des mots. Par exemple, le mot "euthanasie" peut avoir deux sens : un état, celui d'une mort douce et sans souffrance ; ou une action, celle de mettre fin délibérément et rapidement à la vie d'une personne atteinte d'une maladie incurable et évolutive ; de nos jours, le deuxième sens a supplanté le premier. L'auteur illustre ce qu'est l'euthanasie, et ce qu'elle n'est pas. Ce qu'elle est : une mort médicalement administrée. Ce qu'elle n'est pas : l'arrêt d'un traitement, l'administration à hautes doses d'antalgiques ou de sédatifs dans l'intention de soulager. "L'arrêt des soins ne peut en aucun cas être assimilé à une euthanasie : il s'agit, en arrêtant un traitement, de permettre à la mort naturelle de reprendre ses droits" (page 258). Car la frontière est ténue entre le soin et l'acharnement thérapeutique. Où s'arrêtent les soins ? Où commence l'acharnement thérapeutique, vécu comme une poursuite inutile, voire inhumaine, de la vie ?
De même,
Marie de Hennezel souligne l'ambiguïté de l'expression "aider à mourir", souvent interprétée comme "en finir". Or, "pour aider quelqu'un à mourir, n'y a-t-il pas d'autres moyens que de le tuer ?" (page 21). Par exemple, le soulagement de la douleur, l'aide psychologique ou spirituelle, un environnement paisible ?
A ces expressions qui font peur, certains préfèrent aujourd'hui le concept de "mourir dans la dignité". Mais là aussi, on peut voir deux conceptions du mot "dignité" : soit chacun est seul juge de sa propre dignité, et donc libre de décider de sa propre mort, soit la dignité est dans le regard que les autres portent sur mon état de dégradation physique.
Je retiendrai les trois catégories de mort (page 40) que
Marie de Hennezel a identifiées : 1. La mort "volée", par laquelle un tiers expédie la victime dans l'autre monde à son insu ; 2. La mort demandée par un patient qui n'en peut plus et souhaite en finir : les médecins, souvent des techniciens mal à l'aise devant la mort, que certains n'ont jamais vue de près, délèguent alors aux infirmières cet homicide par compassion ; 3. La mort exigée comme un droit, en toute rationalité, par un patient maître de lui-même, qui a aimé planifier sa vie, et qui souhaite planifier sa mort ("ma mort m'appartient") .
Très accessible,
Nous ne nous sommes pas dit au revoir livre une réflexion anthropologique passionnante et vertigineuse. L'auteur illustre avec de nombreux témoignages les questions que les gens se posent, et les bonnes ou mauvaises réponses que le corps médical leur apporte. Une certitude, personne ne veut mourir dans d'atroces souffrances.
Marie de Hennezel aborde ainsi le regard du médecin, à qui serait imposé un acte "mortifère" qui ne relève pas de ses fonctions ; le fait de donner la mort n'est en effet pas un acte soignant. C'est une transgression d'un fondement de l'ordre du monde, dont l'auteur supporterait toute sa vie les conséquences psychologiques et morales. Elle aborde aussi celui du patient : "Quelle confiance les malades pourront-ils leur faire si donner la mort fait partie de leur rôle ?" (page 227).