Lorsque dans
Les Particules élémentaires (ou était-ce un autre de ses
romans ? je ne sais plus),
Michel Houellebecq propose comme voie de progression de l'humanité le devenir asexualisé de chacun de ses membres dans la destruction du désir et le recours aux manipulations génétiques, l'involution au stade de molécules primitives de la soupe primordial qui, après des millions d'années d'errance, auraient décidé de mettre fin aux erreurs des eucaryotes méiotiques ayant cédé à la tentation de l'évolution génétique spontanée, nous n'avons affaire qu'à une semi plaisanterie. D'une certaine façon,
Michel Houellebecq essaie de sortir du tragique qui lui fait écrire, parfois, des considérations mélancoliques dans ce genre : « […] les Occidentaux contemporains ne parviennent plus à être des lecteurs ; ils ne parviennent plus à satisfaire cette humble demande d'un livre posé devant eux : être simplement des êtres humains, pensant et ressentant par eux-mêmes.
A plus forte raison, ils ne peuvent jouer ce rôle face à un autre être. Il le faudrait, pourtant : car cette dissolution de l'être est une dissolution tragique ; et chacun continue, mû par une nostalgie douloureuse, à demander à l'autre ce qu'il ne peut plus être ; à chercher, comme un fantôme aveuglé, ce poids d'être qu'il ne trouve plus en lui-même. Cette résistance, cette permanence ; cette profondeur. Bien entendu chacun échoue, et la solitude est atroce. »
En attendant de redevenir êtres monocellulaires préservés de la reproduction sexuée, nous devrons encore subir les désagréments liés à notre imperfection humaine. Les symptômes inhérents à cette condition s'établissent dans la littérature (
Jacques Prévert est un con), dans l'art contemporain (L'art comme épluchage), dans l'architecture moderne (Approches du désarroi), dans le festivisme (La fête), dans le féminisme (L'humanité, second stade) et dans tant d'autres petites affaires qui écorchent notre endurance au fil des jours.
Houellebecq est la nourriture idéale de ceux qui digèrent bien. D'ailleurs, ceux qui digèrent mal se trompent d'aliment car
Houellebecq ne nourrit aucune haine particulière contre ce monde puisqu'il n'en a rien à foutre, comme un authentique gnostique. Si
Houellebecq est notre
Bukowski national pour les
histoires de cul, ça ne l'empêche pas non plus d'être notre
Dalaï-Lama local pour le reste. Contemplatif, il contourne la résignation et nous suggère la voie de la contemplation. Puisqu'en Occident, nous ne pouvons plus mener « une vie humaine », puisqu'en fait, « il n'y a qu'une seule chose que l'on puisse vraiment faire en Occident, c'est gagner de l'argent » ; puisque nous ne pouvons plus rien dire et que «
Nietzsche,
Schopenhauer et
Spinoza ne passeraient plus aujourd'hui » ; puisque « de plus en plus de choses deviennent impossibles à penser », alors nous décrochons de l'esprit de ce temps. Puisque « le respect pour les identités [est] devenu si fort » et que « le respect est devenu obligatoire, y compris pour les cultures les plus immorales et les plus sottes », alors nous devons aimer déplaire.
Puisqu'il n'y a plus rien à faire que de subir « des normes excessives » qui ne conduisent qu'à la promesse de « pouvoir continuer à me faire chier, de pouvoir acheter des polos
Ralph Lauren », il faut revenir aux joies évidentes (« je ne parviens pas à m'imaginer sans un livre »), les cultiver dans la répétition du geste sans se soucier de l'exhortation à la nouveauté à laquelle nous soumet notre monde (« Je ne trouve pas ennuyeux de répéter à l'infini ce que j'aime faire, j'irai même plus loin : le vrai bonheur est dans la répétition, dans le perpétuel recommencement du même »).
Levant un coin du voile des apparences pour toucher la vacuité qui se cache derrière toute chose,
Houellebecq est souvent drôle dans les évidences qu'il énonce (« J'ai l'impression qu'on se comporte aujourd'hui avec les religions comme avec les danses bretonnes : du moment que c'est un peu traditionnel, un peu vieux, ça devient respectable et presque sympathique ») et dans la spontanéité de ses remarques (« Qu'est-ce que je fous avec ces cons ? » dans son essai sur la Fête).
Houellebecq témoignait ici encore d'une sagesse plutôt honnête, qu'il décida ensuite de pousser jusque dans ses retranchements en se faisant le bouffon de l'époque, sans crainte d'être confondu avec le personnage qu'il donne à voir.