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EAN : 9782369780014
16 pages
Fauves (17/06/2014)
4.25/5   8 notes
Résumé :
Publiée en 1890, ce texte décrit le tracé de la Bièvre, rivière en train de disparaître sous l’effet de travaux d’assainissement. La Bièvre symbolise le Paris populaire où fourmillent pauvres gens et petits artisans qui seront bientôt eux aussi chassés de la Capitale. Image du changement de Paris dont la physionomie est bouleversée par les travaux haussmanniens, La Bièvre, sous la plume de Huysmans n’est pas sans évoquer la condition des femmes : « Comme bien des fi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Cette monographie de 1890, au coeur de la belle époque, au plein de la période symboliste de Huysmans, nous parle d'une époque révolue : celle où la timide rivière de la Bièvre disputait aux flots truculents de la Seine les canaux de Paris.

J'ai découvert Huysmans grâce à Houellebecq, et pour l'anecdote, son père, hollandais, appela son fils « Charles Marie » et c'est Huysmans lui-même qui reprit le pseudonyme néerlandais de « Joris-Karl », ce qui est un beau pied de nez à certains éditorialistes qui dissertent au XXIe siècle sur les « prénoms français » comme préalable à un quelconque apport bénéfique au pays sur quelque plan que ce soit, sauf à considérer que « Joris Karl » a abimé la France de ce simple fait, je referme la parenthèse, je ne vais pas à mon tour me mettre à polluer la Bièvre…

Ce court texte réunit tous les ingrédients qui font le charme de la littérature du XIXe siècle. A commencer par les nombreuses figures de style qui personnifient la Bièvre et donnent de la beauté aux descriptions chirurgicales du Paris misérable qui vécut de son exploitation. Quant au vocabulaire, soutenu et désuet, il enchante la curiosité, abreuve la soif de connaissance et titille la gourmandise littéraire du lecteur.

Nous nous proposons dans cette critique de répondre à trois questions :

Où coulait la Bièvre ?

Depuis le Moyen Âge, le tracé de la Bièvre passait par les actuels treizième et cinquième arrondissements de Paris. Mais nous laissons à Huysmans, qui n'a pas oublié ses débuts à l'école de Zola, le soin de narrer la « montée à la capitale » de la Bièvre : « Comme bien des filles de la campagne, la Bièvre est, dès son arrivée à Paris, tombée dans l'affût industriel des racoleurs ; spoliée de ses vêtements d'herbes et de ses parures d'arbres, elle a dû aussitôt se mettre à l'ouvrage et s'épuiser aux horribles tâches qu'on exigeait d'elle. Cernée par d'âpres négociants qui se la repassent, mais, d'un commun accord, l'emprisonnent à tour de rôle, le long de ses rives, elle est devenue mégissière, et, jours et nuits, elle lave l'ordure des peaux écorchées, macère les toisons épargnées et les cuirs bruts, subit les pinces de l'alun, les morsures de la chaux et des caustiques. Que de soirs, derrière les Gobelins, dans un pestilentiel fumet de vase, on la voit, seule, piétinant dans sa boue, au clair de lune, pleurant, hébétée de fatigue, sous l'arche minuscule d'un petit pont ! »

Quel était son usage ?

La Bièvre a été détournée rapidement en canaux artificiels destinés à alimenter en eau les diverses industries. Notamment, à l'époque de Huysmans, les tanneries et autres travailleurs du cuir et les teinturiers de la manufacture des Gobelins s'installent – et y installent leurs ouvriers miséreux - sur les berges artificielles de la fine Bièvre. Les peaux sont lavées, les eaux polluées et souillées. Il faut nous imaginer les peaux séchant sur des lattes de bois recouvrant les bâtiments autour de ce maigre filet d'eau. Les résidences jouxtant le château de la Reine Blanche rue des Gobelins affichent encore, comme un clin d'oeil à l'Histoire, des lattes de bois sur leurs façades. Enfin, les braves blanchisseuses plongeaient les vêtements dans ses eaux insalubres, ce qui n'était pas sans causer des maladies de la peau. Huysmans dépeint cette rivière enlaidie, épuisée, maltraitée, exploitée jusqu'à plus souffle.

Pourquoi a-t-elle disparu ?

Les grands travaux, initiés par Haussmann sous le Second Empire, n'eurent de cesse de rendre la physionomie parisienne enfin salubre. En effet la ville était encore, à l'ère industrielle, pestilentielle. On note bien plusieurs tentatives de réglementation des industries autour de la Bièvre… Mais cette dernière continuant d'accueillir les eaux usées et malodorantes il fut décidé de recouvrir entièrement la partie parisienne du cours d'eau afin d'assainir les lieux. Désormais écrouée, la Bièvre coule en souterrain dans Paris et a parachevée sa lente et morbide destinée : elle est devenue l'égout de Paris (On peut encore voir couler la Bièvre à l'air libre en Île-de-France).

Ce bel exemple de littérature panoramique (en vogue à l'époque, à l'image de « Paris ou le Livre des Cent-et-un) » reste un témoignage précieux du Paris dont ne nous parlent pas les longues hagiographies des grands hommes. C'est le Paris d'avant les classes moyennes. Un Paris laborieux, populaire et sale, endeuillé par l'assassinat des idéaux de la Commune et c'est surtout le début d'une urbanisation bannissant les paysages naturels aux frontières de la ville.

Cependant à l'image des rivières, l'Histoire crue et décrue, et un jour, peut-être, reverront nous, dans Paris, couler la Bièvre.

Qu'en pensez-vous ?
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« La Bièvre » est un texte publié en 1890 par Joris-Karl Huysmans qui décrit le tracé de la Bièvre tel qu'il avait pu l'observer. Mais cette monographie est beaucoup plus qu'une simple promenade au bord d'une rivière qui a toujours été une véritable énigme pour moi. Je vis dans le Val-de-Marne, près de la vallée de la Bièvre mais je ne l'ai jamais vu. Il y a bien la Seine, la Marne et leurs berges mais pas de Bièvre. Et pour cause elle a été enterrée.
Huysmans est donc un témoin : la Bièvre était en train de disparaître sous l'effet des travaux d'assainissement qui effacèrent la rivière du paysage parisien.

Avec ce texte de Joris-Karl Huysmans devient un géographe-poète et nous suivons le cheminement de l'eau qui entre dans Paris et court à travers les 13e et 5e arrondissements. Il évoque son parcours souterrain ou aérien en milieu urbain et industriel. Il personnalise la rivière en la comparant parfois à une jeune fille.
Mais c'est sa pollution qu'il dénonce en cette fin du 19ème siècle, quand les tanneries étaient aux portes de Paris. En effet, la Bièvre fut annexée par diverses industries qui polluèrent ses eaux et l'entourèrent de quartiers misérables et insalubres.
Ce texte est une véritable leçon d'histoire et l'évocation des ouvriers vivant dans la vallée de la Bièvre, des artisans, moulins et industries qui se sont développés au bord de l'eau dès le Moyen âge et sa préoccupation pour la sauvegarde du milieu naturel font de Huysmans un avant-gardiste du concept de développement durable.


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Très beau texte de 1890, quelle langue ciselée et riche. Tant de mots, souvent issus des métiers et du travail ouvrier, que l'on découvre dans cette courte lecture. Cette si mystérieuse Bièvre pour tout parisien qui n'en a souvent su que le nom d'une rue et qu'elle était sale, pestilentielle. C'est bien trop peu pour connaître une rivière et c'est ce que permet ce texte puissant de Huysmans qui nous permet de la parcourir à 130 ans de là, d'entrevoir des métiers et des visages vertigineux, qu'on aimerait saisir, car on comprend que c'est déjà Paris qui se transforme et qui masque sa misère laborieuse.
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On lit Huysmans pour apprendre la langue française. C'est un professeur d'écriture. On ne lit pas Huysmans pour le sujet mais pour l'écriture elle-même. « La Bièvre » est une remarquable monographie descriptive, un exemple parfait de ce qu'on pourrait appeler une « littérature panoramique », cet exercice savant préfigurant les travaux littéraires de Gracq qui ont donné notamment « La Route », « La Presqu'île », « Carnets des grands chemins ».
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Symbole de la misérable condition des femmes attirées dans le guet-apens des villes, la Bièvre n'est-elle pas aussi l'emblématique image de ces races abbatiales, de ces vieilles familles, de ces castes de dignitaires qui sont peu à peu tombées et qui ont fini, de chutes en chutes, par s'interner dans l'inavouable boue d'un fructueux commerce ?
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Symbole de la misérable condition des femmes attirées dans le guet-apens des villes, la Bièvre n’est-elle pas aussi l’emblématique image de ces races abbatiales, de ces vieilles familles, de ces castes de dignitaires qui sont peu à peu tombées et qui ont fini, de chutes en chutes, par s’interner dans l’inavouable boue d’un fructueux commerce ?
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Dans ce paysage où les resserres des peaussiers affectent, avec leurs carcasses ajourées et leurs toits plats, des allures de bastides italiennes, la Bièvre coule, scarifiée par les acides. Globulée de crachats, épaissie de craie, délayée de suie, elle roule des amas de feuilles mortes et d’indescriptibles résidus qui la glacent, ainsi qu’un plomb qui bout, de pellicules.
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maintenant, c’est fini, d’inutiles ingénieurs l’ont enfermée dans un souterrain, casernée sous une voûte, et elle ne voit plus le jour que par l’œil en fonte des tampons d’égout qui la recouvrent.
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La Bièvre représente aujourd'hui le plus parfait symbole de la misère féminine exploitée par une grande ville.
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