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« Nous sommes des univers passagers dans l'univers qui s'éternise » (Régis Jauffret). Oui, sans aucun doute… Et c'est ce qui résume le mieux ce livre de 609 pages qui, je l'avoue, m'a coupé le souffle et me laisse légèrement ahurie. Mais je ne sais pas encore si c'est d'admiration ou de lassitude ou de stupéfaction. Peut-être un peu des trois à la fois. Parce que… l'ouvrage est déroutant à plus d'un titre. Il est impossible d'en synthétiser le contenu. Il faudrait pour cela, au minimum, évoquer les personnages principaux. Or, si ce livre foisonne de personnages et de situations, c'est à partir d'un seul individu -une femme qui surveille la cuisson d'un gigot en attendant son mari - que tout se joue. L'exercice titanesque auquel s'adonne Régis Jauffret consiste à imaginer, à partir de cet individu ordinaire, à l'existence quelconque, plongé dans une activité domestique anodine, la multitude des « possibles » : d'autres noms, d'autres origines, d'autres passés, d'autres attentes, d'autres destins…Les variations s'enchainent sans répit autour de ce personnage insignifiant, familier, et de son entourage. Je n'ai pas dénombré les univers « possibles » façonnés par Régis Jauffret…Mais croyez-moi sur parole, l'étendue et la variété des hypothèses sont impressionnantes. Difficile alors de tracer les grandes lignes d'une histoire qui en réalité n'est ni unique, ni figée, mais démultipliée à l'infini. La seule constante étant l'incipit récurrent : une femme qui surveille la cuisson d'un gigot. Difficile aussi de disséquer clairement le mode de construction de ce livre (je n'ose pas dire roman, car il défie les standards passés et contemporains de la littérature). Il est –linéaire -… Oui, vous avez bien lu : 609 pages d'un récit linéaire rythmé par le flux et le reflux d'une situation de base. On en sort à bout de souffle, sens dessus-dessous comme après un passage dans une centrifugeuse ou le tambour d'une machine à laver à la fin du cycle essorage. Lecteurs étourdis et/ou à la recherche d'un roman à survoler sur la plage et/ou pour s'occuper l'esprit dans les transports et/ou besoin d'un roman où l'auteur tire le lecteur sur des chemins balisés ... ? Attention : ici, il faut se débrouiller tout seul pour ne pas perdre le nord et surtout, s'accrocher du début à la fin. A quoi ? A la femme qui surveille la cuisson de son gigot, puisque c'est le seul point d'arrimage. Mais…rassurez-vous, on peut aussi se laisser emporter dans « la centrifugeuse de Jauffret » dont le regard tranchant, l'imagination totalement débridée, l'écriture d'une densité incontestable et d'une force peu commune restent on ne peut plus captivants… Univers, Univers, c'est aussi « le style Jauffret » : cynique, amer, acide, cruel, dérangeant. Novateur et hypnotisant. Univers, Univers, n'est pas un livre comme les autres. C'est une révolution, un grand coup de pied dans les standards de la littérature, de l'écriture comme de la lecture. Un exercice de haute voltige. Une oeuvre plutôt qu'un simple roman. Pour en profiter, il faut faire des efforts : « l'oeuvre » se mérite… Extrait (Epilogue) « Elle a eu trop de noms pour qu'on s'en souvienne. A présent, le gigot est cru, l'agneau s'en sert encore pour gambader dans la campagne, grimper aux arbres, s'envoler de la plus haute branche avec la grâce d'un caillou, d'un caïman, d'un lecteur tombé tête la première dans un roman. Un roman décédé de mort subite. Les livres meurent debout. » Lien : http://lascavia.com + Lire la suite |
31 janvier 2013 :
- A la recherche du temps perdu, Marcel Proust, Gallimard -
Réuni en un seul volume, comme le souhaitait Marcel Proust lui-même, le texte de«A la recherche du temps perdu»est publié sans appareil critique.
- Claustria, Régis Jauffret, Seuil -
Roman Platon, le mythe de la caverne. Des prisonniers qui ne verront jamais de la réalité que des ombres d'humains projetées sur la paroi de la grotte où ils sont enchaînés. Dans le souterrain les enfants n'ont vu de l'extérieur que les images tombées du ciel qui leur parvenaient par le câble de l'antenne. le mythe a traversé vingt-quatre siècles avant de s'incarner dans cette petite ville d'Autriche avec la complicité d'un ingénieur en béton et celle involontaire de l'Écossais John Baird qui inventa le premier téléviseur en 1926. R. J.