Je ne voulais pas clôturer ce petit tour d'horizon littéraire et historique de l'Islande sans avoir lu le
Prix Nobel de littérature de 1955,
Halldor Laxness. J'avais commencé par «
La Cloche d'Islande », mais la lecture m'était trop pénible, en cause l'écriture complexe et la police de caractère illisible. Je l'ai donc mis de côté, pour plus tard peut-être.
Gens indépendants a été écrit entre 1930 et 1934 et relate la vie de Bjartur de Sumarhus. Sumarhus étant le nom de la propriété de Bjartur, ferme et terres. Plus qu'un récit de vie, c'est une véritable saga que l'histoire de cet homme désireux d'être indépendant, contre vents et marée, après avoir fait l'acquisition d'un lopin de terre dont personne ne voulait car atteint d'une malédiction. Une masure aux murs de tourbe, un mobilier rudimentaire cloué au sol, 4 à 5 moutons et une jeune épouse. Et nous voilà partis sur les terres des éleveurs de moutons en ce début de 20ème siècle.
Contrairement aux pêcheurs vivant près des côtes et travaillant pour quelques gros armateurs, les éleveurs sont au plus près des montagnes, dans les landes traversées de marécages et de ruisseaux. Ils gèrent leurs cultures destinées à l'alimentation de leurs bêtes en hiver. Chez Bjartur, la bergerie se trouve au rez-de-chaussée, l'étage constitue l'habitation pour la famille. Vivant au plus près des brebis et moutons, c'est fort accommodant lors de la période de l'agnelage. Par contre, on ne peut pas dire que les humains soient mieux lotis. Bien au contraire. le feu soufflant et enfumant la pièce à vivre, le froid, la puanteur, l'humidité, le travail physique incessant pour chaque membre de la famille, l'absence d'hygiène et ces repas uniquement constitués de poissons et de gruau auront raison de deux épouses et de nombre de leurs enfants. Cette ferme serait-elle réellement atteinte de malédiction ?
Qu'à cela ne tienne pour Bjartur, aller de l'avant, toujours, ne jamais se plaindre, ne jamais quémander mais rester in-dé-pen-dant.
Qu'est-ce que j'ai pu le maudire, cet homme, qui aura toujours fait passer ses moutons avant tout. Inculte (à part ses poésies médiévales), obtus, orgueilleux, égoïste, mièvre, je lui ai trouvé tous les défauts de la terre. Laisser ses enfants crever de faim ou de maladie, refuser toute aide extérieure sous prétexte qu'il n'a jamais fait l'aumône, faire des enfants dans le seul but d'avoir des bras gratuits pour le travail de la ferme. Et sa misogynie … oulala, je ne vous dit pas ! Bref, il y va un peu fort le Bjartur. Cette indépendance, synonyme de liberté, est son seul leitmotiv. Même plus, une vertu.
Et pourtant... je n'ai pas su le détester. Sa ténacité, sa force de caractère, sa pugnacité m'ont laissée sans voix.
Puis, les années prospères du pays apparurent pendant la guerre 14-18. La viande et la laine de mouton s'arrachaient à prix d'or en Europe. Comme quoi, le malheur des uns fait le bonheur des autres. de quatre moutons, Bjartur en possède alors deux cents. Mais, il faut peu de temps pour que le mouton ne s'exporte plus et tout s'effondre de nouveau. Des banques et des coopératives se mettent en place. le petit paysan peut emprunteur (à des taux exorbitants) et acquérir des machines agricoles, construire une maison de béton, installer l'eau courante et l'électricité.
Pensez-vous que Bjartur se laissera attirer par les sirènes de la modernité ?
Heureusement, la présence des enfants (ceux qui sont restés en vie) apporte un peu de douceur et de poésie. Et puis, il y a Asta, la fille. Elle seule sera sa « fleur de vie ».
Avec ses 500 pages, on parcourt la vie paysanne de l'île au début du siècle dernier. Comme eux, on fait face aux difficultés qui ne sont pas des moindres et on ressent cette volonté de vivre de son propre maître, sans être lié d'aucune sorte. L'amour qu'ils portent à leur pays dont la nature sauvage et les étendues infinies sont leur grande fierté, ce qui est remarquablement décrit d'ailleurs. L'hiver, si long, et la lumière des étés si brefs qui permettent de mettre les bouchées doubles pour préparer le prochain hiver.
En parallèle, l'indépendance du pays (qui sera acquise en 1944) reste sur toutes les lèvres, comme si c'était leur unique vision du futur.
C'est un roman épique, ponctué de poèmes et de strophes, directement traduit par
Régis Boyer (il traduit aussi
Jon Kalman Stefansson). Je dis directement car il y a des livres islandais qui sont d'abord traduits en anglais, puis de l'anglais au français.
Vous l'aurez compris, ce n'est pas un livre qui se lit d'une traite et j'ai du m'accrocher. Mais au final, quelle source de renseignements, que de découvertes ! Je ne le regrette pas.