Encore un autre groupe dont j'ai gardé la vision, d'un singulier charme : une vingtaine de jeunes filles, assises sur un entassement de matelas et de couvertures, dans une grande vieille charrette qui était tout ornée de bouquets piqués au bout de bâtons, des bouquets d'humbles fleurs cueillies en route dans les champs. Elles semblaient presque élégantes et s'en allaient sans une larme, sans une plainte, sans une parole, l'air fier et résolu, ayant chacune au corsage les mêmes fleurs que celles dont leur charrette était décorée. Qu'est-ce que cela pouvait bien être que ce jeune monde-là?
— Ah ! vraisemblablement les « grandes » de quelque lycée de province.
Et mon étonnement presque indigné de les voir si fleuries, fit tout à coup place à une émotion profonde quand j'eus compris ce qu'ils signifiaient, leurs bouquets, tous pareillement composés de trois touffes réunies, l'une de bleuets, l'autre de pâquerettes blanches, la troisième de coquelicots : les trois couleurs, plus que jamais glorieuses, de nos cocardes et de nos drapeaux!
Bleuets, pâquerettes blanches et coquelicots, c'étaient du reste ces trois sortes de fleurs et point d'autres, qui foisonnaient partout ici dans les blés, dans les foins parfumés. Je ne l'aurais pas remarqué sans ces petites filles...
Après que j'ai longuement traversé la ville angoissante et ses faubourgs aussi infernalement saccagés que ses quartiers de quasi- opulence, j'arrive à une région où m'attendait, pour tableau final, le désastre des arbres.
« Tel soldat, — disaient leurs instructions abominables, — tel soldat, avec son équipe, sera chargé de scier les arbres fruitiers. »
Donc, méthodiquement comme toujours, chacun s'en est acquitté. Dans une zone de plusieurs lieues, les grands poiriers, les magnifiques pommiers centenaires qui représentaient la richesse des paysans, s'arrangeaient en bordure de chaque côté des routes, ou bien en quinconces dans les vergers, — et les gorilles (sans négliger pour cela de faire sauter le moindre hameau), les gorilles ont trouvé le temps de les scier tous à un mètre du sol. Dès que la ramure de l'un chancelait et s'abattait, ils passaient à un autre, sans perdre leurs précieuses minutes à donner le coup de grâce, dans leur hâte de les atteindre tous ; c'est pourquoi beaucoup de ces belles cimes d'arbres, ainsi couchées, se rattachent encore au tronc par quelques lambeaux d'écorce qui leur ont fourni la sève pour refleurir une dernière fois, à leur dernier printemps. On dirait ainsi d'énormes bouquets blancs ou roses, déposés sur la terre.
Après des plaines incultes, à l'abandon depuis trois ans, j'arrive dans une région où des blés magnifiques, égayés de bleuets et de coquelicots, mûrissent à ce soleil d'été : c'est eux qui les avaient semés, eux les Barbares, dans l'espoir de s'en faire du pain ; mais ils sont partis, et c'est nous qui les récolterons. A part ces moissons, à eux destinées, qu'ils n'ont pas eu le temps de détruire, ils ont naturellement tout saccagé, même quand il n'y avait aucune excuse militaire ; plus un village, plus une église, plus un hameau qui ne soit soigneusement et odieusement détruit.
En partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux, rencontre avec Alain Quella-Villéger autour de l'oeuvre de Pierre Loti. Entretien avec Christophe Lucet.
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