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Paul-Jean Toulet (Traducteur)
EAN : 9782905964793
Ombres (25/11/1998)
3.7/5   187 notes
Résumé :
Belle mais démoniaque ! Entourée d'un halo d'étrangeté et de mystère...
Telle est la femme qui hante les rues de Londres, mais aussi l'esprit dérangé de ceux qui l'ont rencontrée, des hommes en général fortunés. Tous ont finit leurs jours dans des circonstances ténébreuses, le visage déformé par l'épouvante et l'effroi. Par quelle fatalité cette créature superbe sème-t-elle la mort autour d'elle ? Serait-elle maudite ? Aurait-elle pactisé avec une puissance m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (34) Voir plus Ajouter une critique
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Arthur MACHEN naquit en 1863 à Caerleon dans le Pays de Galles et disparaîtra en 1947. Après la publication en 1881 d'un premier poème à tonalité mystique ("Eleusinia") évoquant les Mystères d'Eleusis, il comprend vite qu'il ne parviendra jamais à "vivre de sa plume".... Belle sagesse ! Ses revenus proviendront d'emplois en "diverses maisons d'édition" londoniennes puis en tant que journaliste, complétés par un "petit héritage familial"... S'échelonnera bon an mal an la publication d'une petite vingtaine de pièces originales au long d'une quarantaine d'années...

1890 : "The Novel of the Iron Maid" ("Histoire de la vierge de fer")
1894 : "The Great God Pan" ("Le Grand Dieu Pan") [court roman]
1895 : "The Shining Pyramid" ("La Pyramide de feu")
1895 : " The Novel of the Black Seal" ("Histoire du cachet noir")
1895 : "The Novel of the White Powder" ("Histoire de la poudre blanche")
1895 : "The Three Impostors or The Transmutations" ("Les Trois Imposteurs ou Les Transmutations") [demi-roman]
1897 : "The Ceremony" ("La Cérémonie")
1904 : "The White People" ("Le Peuple Blanc")
1998 : "The Red Hand" ("La Main rouge")
1906 : "The House of Souls" ("la Maison aux âmes")
1907 : "The Hill of Dreams" ("La Colline des rêves") [roman]
1914 : "The Bowmen" ("Les Archers")
1915 : "The Great Return" ("Le Grand Retour")
1915 : "Out of the Earth" ("Sortis de la terre")
1917 : "The Terror" ("La Terreur")
1927 : "The Little Folk" ("Le Petit Peuple")
1931 : "Opening the door" ("Un grand vide")

Ses personnages fétiches ? Les fées, les elfes, le "Petit Peuple", le diable, les faunes et satyres, les gorgones, les monstres... mais surtout "le caractère Autre de ce monde", qui en font un Maître du fantastique, contemporain de Bram STOCKER et Howard Phillips LOVECRAFT.

Bref, notre ami "s'est fait plaisir" et nous le suivrons dans sa Voie des Origines (antique et romaine décadente) si originale...

"Le Grand Dieu Pan" de 1894 (soit quatre ans avant la publication du génial roman-feuilleton de l'irlandais Bram STOKER) est effectivement une de ses "pièces maîtresses". On peut supposer que la traduction tout en finesse de Paul-Jean TOULET (en 1901) lui a conservé beaucoup de sa fraîcheur actuelle... On pense immanquablement au climat mélancolique du roman "Bruges-la-Morte" (1892) de Georges RODENBACH en raison de la malédiction poisseuse qui imprègne les quelques pages (réparties en huit chapitres) de ce très court roman, tout aussi allusif et d'une concision si éloquente en Mystères... Puisque "L'autre monde" ne s'y trouve séparé du nôtre que par une fine toile, de l'épaisseur d'une feuille de cigarettes...

Chapitre d'exposition : la jeune Mary, dix-sept ans, est victime consentante d'un crime médical monstrueux contre son intégrité physique (rien de moins qu'une petite trépanation au crépuscule, "pour voir"... ). Résultat ? Elle ne verra plus jamais le monde comme avant... le "Primum non nocere" d'Hippocrate est décidément le cadet des soucis de ce "bon" (?) Docteur Raymond, son étrange "bienfaiteur" ou tuteur... Clarke devient complice par non-dénonciation de crime.
La mystérieuse Hélène Vaughan naîtra et connaîtra une longue et belle carrière proprement vampirique et pousse-au-suicide... Comme dans le "Dracula" de STOKER, la malédiction procède par contagiosité : d'abord Lucy puis Mina... D'abord Rachel (morte depuis) et le pauvre gamin Trevor (finissant idiot).

Le talent d'Arthur MACHEN tient dans sa retenue pour dérouler le fil d'Ariane des mystères et dans sa maîtrise de ce qu'il perçoit comme un "Pouvoir Premier" : une langue élusive permettant de suggérer l'horreur. Là où STOKER développe, rationalise et laisse ses personnages se justifier et revenir sur des événements déjà contés, MACHEN choisit l'ellipse et le toujours "incomplètement exprimé"...

De chapitre en chapitre, ses personnages se croisent, dénudent peu à peu le terrible Mystère dionysiaque et se passent silencieusement le relai de l'horreur.

Pour le 1 - "UNE EXPERIENCE", le docteur Raymond, M. Clarke et la pauvre Mary ...

Pour le 2 - "MEMOIRES DE M. CLARKE", Clarke à nouveau en scène, relisant le récit du docteur Phillips, l'un de ses autres amis, à propos des conduites peu communes d'Hélène Vaughan adolescente et des jeunes malheureux "témoins" ou victimes de ses agissements : Rachel M. et Trevor W. ...

Pour le 3 - "LA CITE DES RESURRECTIONS", le dandy Villiers croise le chemin de Charles Herbert, un ancien copain de collège désormais en haillons, celui-ci lui contant sa triste déchéance... Mme Herbert a précipité sa ruine et a disparu... Il en parle à "un gentleman de ses amis, Austin, qui a entendu parler de cette histoire et la complète...

Pour le 4 - "DECOUVERTES DANS PAUL STREET", retour à Clarke qui reçoit la visite du sieur Villiers : la cour de la villa de Paul Street où habita le couple Herbert vient de connaître sa première mort mystérieuse... Villiers a été visiter la misérable demeure, dont l'épaisseur de poussière et l'aura d'horreur diffuse se trouvent tout-à-fait dignes de la demeure londonienne "d'exil" du Comte Dracula...

Pour le 5 - "LA LETTRE D'AVIS", Austin et Villiers partagent la découverte d'un carnet de croquis maudits (celui de l'artiste Meyrik au tragique destin) réunissant Faunes, Satyres et Aegypans... jusqu'au portrait d'Hélène Vaughan, au regard fixe.

Pour le 6 - "LES SUICIDES", l'épidémie de suicides se poursuit à Londres, touchant nombre de "gentlemen" : Lord Argentine, M. Charles Aubernon, M. Collier-Stuart, M. Herries, M. Sidney Crashaw... Commence pour eux une étrange attraction (amoureuse ?) envers les cordes en chanvre. Par certains aspects, nous ne sommes pas si loin des excellents récit sherlock-holmesques de sir Arthur CONAN DOYLE... Austin, Villiers et Clarke semblent joindre leur forces (un peu comme les trois anciens amoureux de la belle "Lucy" de Bram STOKER) pour terrasser le démon, une démone en l'occurrence... Une certaine Mme Beaumont (de la Meilleure des Sociétés) vivant dans Ashley Street semble décidément avoir un entêtant parfum de soufre...

"Pour le 7 - "LE RENDEZ-VOUS DANS SOHO" : la traque impitoyable de la démone commence... Austin prend peur mais Villiers et Clarke se chargeront de la basse besogne.

Pour le 8 - "FRAGMENTS", le docteur Robert Matheson relate sa découverte d'un cadavre vacillant d'états en états - préfigurant le modèle proprement innommable de "The Thing" de John CARPENTER (1983).

Mary, Hélène et tant d'autres ont donc été "contaminés" et ont rencontré le monde du "Grand Dieu Pan" qu'ils n'ont pu fuir que dans la mort consentie.

La force narrative d'Arthur MACHEN est grande, ses "effets" sont soignés et sa construction passionnante. On rejoindra aisément l'avis laudatif du connaisseur H. P. LOVECRAFT dans son essai (élaboré de 1927 à 1935) "Epouvante et surnaturel en littérature"...

"The Great God Pan" est une pièce inoubliable.
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« La vallée était comme aujourd'hui, moi-même à cette même place, lorsque je vis l'inimaginable gouffre qui bâille entre les deux mondes : le monde de l'esprit, et celui de la matière, s'ouvrir devant moi, tandis qu'au même instant un pont de flamme jaillissait entre la terre et la rive inconnue, comme pour mesurer l'abîme. »

Un médecin fait une expérience pour tenter de sonder les forces de l'ombre, celles qui dépassent l'entendement humain et sont recouvertes d'un voile. Il recherche le « monde réel », autre que celui que nous voyons, touchons. Et pour cela, il ne recule devant rien.

« Si vous voyez de la vase à la surface d'une rivière, vous pouvez être certain qu'elle vient du fond ; j'allai au fond. »

Mais l'expérience tourne court. Des années plus tard, des hommes se suicident dans Londres sans raison apparente. Dès lors, par propos rapportés de différents observateurs, certains recherchent ce qui a pu conduire ces malheureux à cette issue fatale.

« Je me propose de chercher la femme qu'il avait épousée. ''Elle'' est le mystère. »

Cette nouvelle d'Arthur Machen est assez curieuse en ce qu'elle suggère l'angoisse plus qu'elle ne dit de l'épouvante. le lecteur imagine au travers des descriptions relatées par les chroniqueurs. Ceux qui ont eu la malchance de voir l'indicible et ne peuvent exposer avec précision l'horreur qui les tétanise. le lecteur est tenu en haleine au travers des yeux des conteurs.

Par ailleurs, ces conteurs sont eux-mêmes en quête de réponses et nous suivons l'évolution de leurs recherches au même rythme qu'eux, la peur se faufilant à chaque nouvelle découverte, toujours parcellaire, de page en page le lecteur avance à tâtons.

« La forme de l'homme existait encore, mais tout l'enfer l'habitait ; la luxure furieuse, une haine pareille à du feu, et l'angoisse qui semblait hurler dans la nuit malgré les dents serrées, et les ténèbres du désespoir. »

Ce 19ème siècle aimait les choses mystiques et l'écriture de l'auteur est travaillée de manière à rendre les peurs survoltées : « ...les forces secrètes et redoutables qui sont au coeur de toutes choses, les forces devant qui l'âme humaine se fane et meurt, noircie comme le corps même le serait par des courants électriques. »

C'est assez amusant de voir qu'à l'origine de l'expérience point n'est de table tournante ou de médium, mais un scientifique, un médecin qui a une vision complètement folle. Non seulement il considère que son expérience doit se faire sur un être humain qui deviendra ainsi le médium permettant le contact entre les deux mondes, mais que ce cobaye lui appartient « Je pense que sa vie est à moi, pour en user à ma convenance. » Ajoutons à cela que c'est une femme... et voilà « ''Elle'' est le mystère. » La femme de l'expérience s'appelait Mary.

« Je puis créer le courant et établir la communication entre ce monde des sens et... l'avenir nous fournira la fin de la phrase. »

Suspens...
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Bien qu'à la parution de ce court roman (ou longue nouvelle), on soit déjà à la toute fin du XIXème siècle, l'engouement pour la littérature gothique n'est pas tout à fait mort et a subi tout au long du siècle une évolution naturelle vers le fantastique, l'ésotérisme et enfin les sciences.

Il ne faut donc pas s'étonner si le récit commence par une expérience médicale ayant pour but de percer le mystère entre le monde réel et le monde imaginaire. Expérience malheureuse et quasi criminelle qui aura pour conséquence de libérer une force mystique qu'il aurait mieux valu laisser dans les oubliettes de la conscience humaine.

Vices, ébats sexuels débridés et crimes seront les maux qui résulteront de cette prétention de l'homme à vouloir sonder l'insondable et maîtriser ce qui ne peut et ne doit pas l'être.

L'écriture de Machen est à rapprocher de celle de Stoker qui publia son célèbre "Dracula" en même temps ; les deux oeuvre ayant également en commun la structure narrative sous forme de témoignages et journaux. Dans une atmosphère de "faisons-nous peur", la créativité de ces deux auteurs a puisé, dans l'antiquité pour l'un et dans les montagnes de Transylvanie pour l'autre, matière à troubler les nuits de leur public.

Considérant ces deux oeuvres comme totalement indissociables, il n'est guère étonnant qu'elles m'aient toutes deux procuré le même plaisir mitigé.


Challenge 19ème siècle 2019
Challenge MULTI-DÉFIS 2019
Challenge NOTRE-DAME de PARIS
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Si le nom de Lovecraft est aujourd'hui bien connu des amateurs de fantastique, celui de Machen l'est nettement moins.
Né en 1863 et mort en 1947, cet auteur britannique est pourtant l'un des piliers de l'horreur moderne. Son récit le plus connu, le Grand Dieu Pan, a inspiré en son temps le susnommé Lovecraft et l'ensemble de son oeuvre s'impose comme une influence majeure pour les générations qui suivront.
S'il semble ne pas avoir connu la même popularité que le père de Cthulhu, Arthur Machen peut compter sur le soutien d'une petite communauté de fans avertis qui ont su faire vivre ses écrits jusqu'à ce jour et l'ont réédité à maintes reprises dans l'Hexagone.
Découvrons aujourd'hui la dernière réédition en date. 

Cette réédition, nous la devons aux excellentes éditions Callidor qui se sont mises en tête, après le Roi en Jaune de Robert W. Chambers l'année dernière, de fournir le même travail d'orfèvre pour ressusciter le Gallois.
Autant le dire tout de suite, le livre-objet qui en résulte est un oeuvre d'art en soi. Hardcover, vernis sélectif et, surtout pas moins de vingt-six illustrations du grandiose dessinateur paraguayen Samuel Araya, comme autant de joyaux noirs qui vous hanteront longtemps. 
Le travail d'édition avec des polices d'écriture finement choisies et tout un appareil critique signé par Guillermo del Toro, Jorge Luis Borges ou encore S.T. Joshi achève de convaincre du sérieux de cette entreprise de réédition. 
L'objet-livre qui en résulte s'avère naturellement magnifique et vaudrait à lui seul l'achat compulsif du collectionneur.
Mais ce n'est pas tout puisque le meilleur est à venir.
Le Grand Dieu Pan ne contient pas uniquement le texte éponyme mais également quatre autres récits d'Arthur Machen : La Lumière Intérieure, Histoire du Cachet Noir, Histoire de la poudre blanche et La Pyramide de Feu. de quoi raviver sérieusement la curiosité des amateurs de terreur. 

On découvre avec le Grand Dieu Pan tout ce qui fait l'essence de l'oeuvre d'Arthur Machen qui, loin de s'inscrire dans l'horreur frontale, aime tisser patiemment ses histoires pour mieux faire infuser le surnaturel. 
Ici, c'est l'expérience du Dr Raymond sur une jeune fille du nom de Mary qui va très mal tourner. Témoin de la chose, Clarke ne peut que constater le basculement dans la folie qui s'opère. Quelques temps plus tard, dans la bonne société Londonienne, une certaine Mme Beaumont fait une entrée fracassante… et attire sur elle les soupçons de Clarke et de ses amis suite à une étrange série de suicides que même Scotland Yard ne comprend pas. 
Tout, dans ce premier texte, va définir le style fantastique d'Arthur Machen : une personne confrontée à l'inexplicable, souvent par les suites d'une expérience malencontreuse, une enquête qui remonte et assemble les pièces d'un puzzle de plus en plus terrifiant et cette sensation de malaise diffus qui prend à la gorge le lecteur pour ne plus le lâcher.
L'horreur d'Arthur Machen n'est pas grandiloquente, elle est taiseuse, vaporeuse, élusive. 
Le Britannique est fasciné par l'existence d'un monde extrêmement ancien dont nous avons tout oublié ou presque. Un monde qui renferme des êtres monstrueux dont la seule vision peut rendre fou ou pervertir à jamais celui qui l'aperçoit. On retrouve le même procédé dans le texte suivant, La Lumière intérieure, avec une expérience lugubre qui finit par aboutir à la dégradation de l'âme et à la vision d'un monde impossible à supporter pour l'expérimentateur. On retrouve le goût prononcé de l'auteur pour l'enchâssement du récit dans le récit, avec la lecture de lettres ou de rapports pour éclaircir l'histoire et nous donner la sensation d'enquêter nous-même aux côtés du narrateur. Mais si l'on pourrait hâtivement cataloguer tout cela comme une série de péripéties policières, on s'aperçoit avec la suite que ce serait bien insuffisamment pour décrire et saisir les obsessions de Machen.

Les deux textes suivants, Histoire du cachet noir et Histoire de la poudre blanche, vont affirmer cette terreur qui hante l'oeuvre du Gallois. 
Machen semble obsédé par ce qu'il reste des mythes anciens dans notre propre époque - ou plutôt dans la sienne, au XIXème siècle - et comment nous avons pu les transformer pour mieux les supporter.
Ainsi, dans Histoire du cachet noir, un scientifique à la recherche d'un continent perdu à explorer, va comprendre qu'il a trouvé bien plus dangereux que cela. C'est Miss Lally qui va découvrir le témoignage final du professeur Gregg et comprendre, non sans frayeurs, l'ampleur de ce qu'il a découvert. Encore une fois, les choses sont élusives, floues, parlant et recyclant des mythes anciens, des fées, des rumeurs sur le « petit peuple » mais en révélant la nature beaucoup plus sombre de l'ensemble. 
Une nature que nous avons oblitéré, caché, pour notre propre bien. 
Arthur Machen s'érige en adepte de l'horreur à l'orée du regard, saisissant parfaitement l'essence du fantastique originel où le doute crée l'angoisse autant que la vision du mal elle-même. Ce qui fait la force d'Histoire de la poudre blanche n'est pas simplement la révélation du destin tragique et la vision d'horreur qui accompagne la confrontation entre le Dr Haberdeen et ce qu'est devenu Mr Leceister suite à un traitement mystérieux, mais bel et bien ce que cette transformation et ce que l'origine de cette poudre dit d'un monde extrêmement vieux et sombre où la sorcellerie était une chose bien réelle et carnassière. Chez Machen, la peur naît de l'inconnu et de l'inimaginable caché à nos yeux. Un inconnu qu'on pourrait dévoiler malencontreusement à tout moment. Cette façade qui s'écroule est d'ailleurs souvent la résultante d'une expérience malencontreuse et l'on sent que le Britannique, qui voit les avancées technologiques de son temps, craint ce que celles-ci pourraient donner pour l'homme. Surtout lorsque ces découvertes sont mises en rapport avec sa propre morale chrétienne. 
Pourtant, l'influence des écrits religieux cède surtout le pas à l'existence de puissances beaucoup plus anciennes. 
Dans l'ultime récit, La Pyramide de Feu, c'est une nouvelle enquête qui nous emmène au milieu de nul part, dans des collines quasiment désertes, terrain de jeu favori de l'auteur, pour mieux nous replonger dans un temps reculé, entre ruines du monde Romain et folklore du petit peuple. 
Vaughan et Dyson, en tentant de comprendre de mystérieux symboles faits de pointes de flèche, vont finalement résoudre une bien étrange disparition par la même occasion.
Et être les témoins d'actes terribles qu'ils ne souhaitent certainement pas ébruité…mais faire retomber dans les limbes de l'oubli au plus vite.
Arthur Machen exprime ainsi que certaines choses doivent rester cacher à l'humanité, que le voile qui nous sépare d'entités monstrueuses ne doit pas être soulevé… sous peine de damnation et de folie. 
Il en résulte une expérience qui marque, très loin des tendances actuelles qui virent au gore grotesque ou à une surenchère de retournements de situations. L'horreur revient ici à ses fondements fantastiques les plus bruts, nous fait douter, nous laisse imaginer le pire, nous laisse trembler dans la brume. 

Non seulement cette édition du Grand Dieu Pan est d'une beauté surnaturelle, mais elle regroupe par la même occasion des textes d'une qualité et d'une importance certaine dans l'histoire du fantastique moderne, imposant définitivement Arthur Machen comme un incontournable du genre. 
Indispensable et obsédant, forcément.
Lien : https://justaword.fr/le-gran..
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Il fait plusieurs années déjà que j'ai lu le Grand Dieu Pan. C'était dans le temps, je crois, que je découvris les nouvelles d'Ambrose Bierce, ses Contes noirs. Je n'escomptais pas relire cette assez longue nouvelle, mais quand j'ai vu que M. Asensio se documentait pour faire paraître une monographie critique sur l'oeuvre d'Arthur Machen, et que j'ai lu la comparaison lapidaire, pour ne pas dire expédiée ou injuste, qu'il dressa en quelques mots entre Machen et Howard Lovecraft (qui ne s'était pas défendu de l'avoir pris pour maître : sa Tourbière hantée, de simple mémoire, peut tirer son inspiration du Dieu Pan) où il jugea Machen « bien supérieur évidemment », non seulement cela m'incita à le relire pour vérifier si je n'y avais pas après tout manqué quelque chose, mais cela me poussa à rédiger avant lui quelque critique consciencieuse pour, comme on dit, lui « couper un peu l'herbe sous le pied » et ainsi constater si M. Asensio serait capable d'écrire là-dessus beaucoup mieux que moi, quoique, lui, sur un sujet certes plus vaste que le mien. Oh ! il ne faudrait pourtant pas voir dans ma démarche autre chose qu'une facétie sympathique, qu'une taquinerie de confrère, et même essentiellement qu'une sorte de défi amical et émulatif, attendu que j'aime particulièrement les articles de « Stalker » qui figurent une critique d'une pertinence qu'on ne trouve presque plus nulle part, mais aussi parce que, à ce que je redoute, M. Asensio pourrait fort rencontrer dans sa solitude obstinée, dans son isolement enragé et taciturne d'animal farouche et nerveux du sud, une certaine tendance à stagner qui est le propre de tous ceux qui s'estiment à une altitude où ils n'ont plus besoin de se comparer à personne. Ce que j'écris n'est pas pour le vexer, même si je crois bien qu'il « contrattaquera », ce vieil et opiniâtre tirailleur ! si du moins il demeure assez curieux et disponible intellectuellement pour accéder à ce blog (je lui lancerai une invitation, et on verra bien !), mais j'ai récemment déterminé qu'il fallait, à armes égales, « piquer » un peu ceux qu'on approuve, les « éperonner » d'un léger coup « d'aiguillon rival » pour leur rendre quelque goût de la vitalité et de l'effort, eux qui, par trop souvent et je le crains en l'occurrence, en viennent à dédaigner absolument tout le monde sauf ceux qui sont déjà parvenus à un succès visible quand il valorise le leur. Il est vrai qu'a priori je soupçonnais l'avis laconique de M. Asensio d'avoir été influencé par le fait qu'il déteste notoirement Michel Houllebecq ; or, ce dernier ayant publié à ses débuts un ouvrage en faveur de Lovecraft, il ne « se pouvait », suivant l'opinion selon quoi un ami d'un ennemi ne peut être qu'un ennemi, que Houellebecq eût eu de bonnes raisons d'engouement pour l'homme de Providence et ainsi que Lovecraft fût effectivement un auteur de qualité, au même titre qu'il est apparemment évident pour tous, quand quelqu'un aime le vin rouge, que son adversaire hait l'alcool ou, au mieux, n'apprécie que le vin blanc – j'ai personnellement un grand intérêt pour Lovecraft et pas pour Houellebecq, mais il paraîtra que c'est encore par réactance et pour ne rien faire comme les autres.
Mais allez au fait ! Mr War ! au fait ! Votre critique, enfin ! Soit. Singulier récit que ce Grand Dieu Pan. Mr Raymond y veut tenter sur sa jeune compagne une expérimentation, et il prend Mr Clarke pour témoin : au moyen d'une opération superficielle du cerveau supposée en augmenter les facultés, il veut rendre sensible à Mary tout l'invisible du « monde réel sous le monde », il veut lui « lever le voile » et accroître jusqu'au supranaturel ses perceptions de la réalité et de l'univers. Il n'y a aucun risque à cela, à ce qu'il prétend, car il est bien certain du genre de connexion qu'il veut établir dans cet organe, ses recherches ayant atteint le degré d'accomplissement où il ne redoute pas d'échouer, mais il est loin de se douter que percevoir l'insaisissable est aussi une façon de réaliser la rencontre de forces insoupçonnées et maléfiques avec l'homme, d'une influence maudite et pernicieuse et dont la nature ne lui a pas celé sans cause les chemins de la connaissance. Car au-delà de la vision normale se situe notamment le Grand Dieu Pan, entité amorale ou immorale, ni humaine ni bestiale, une survivance de cultes romains et qui souille irrévocablement l'esprit contaminé de ceux qui d'extraordinaire le voient.
L'intrigue en soi n'est pas tout à fait neuve (on devine comme Lovecraft s'en est inspiré en poursuivant l'idée fondatrice que l'homme est une créature négligeable dont le règne ici-bas est transitoire au sein de puissances cosmiques qui le submergent et menacent de le dominer à tout instant), mais il y a de remarquable dans cette oeuvre la conjonction d'une construction méticuleuse et d'un style très finement et profondément sombre. En effet, le récit est tout à fait non linéaire : il multiplie les focalisations diverses, gageure extrêmement délicate, est raconté à travers le point de vue de Clarke puis De Villiers qui retrouve un homme déchu par la créature engendrée de Raymond, et de lettres, et de rapports oraux, et de journaux, de dessins, de bilans médicaux… ; c'est une grande variété et multiplicité de sources qui conduisent une progression très élaborée dans la recherche de la vérité, par adjonctions stratifiées de soupçons et de faits, de rumeurs et de preuves, constituant en tout une suite de recoupements de plus en plus tangibles et établissant par degrés les fruits d'une enquête, chacun détenant un témoignage partiel sur ce qu'il y a à conclure et qu'on pressent répugnant et contre nature. Cette forme composite est d'une rare originalité, et en dépit des ruptures successives qui imposent au lecteur une certaine souplesse mentale (car c'est un livre intelligent pour gens sans paresse et qui savent lire), elle présente l'avantage de révéler perpétuellement autant qu'elle dissimule, je veux dire que sans cesse la narration suggère que le pire est à venir, que tous les éléments dont on dispose, et qui sont déjà fort malsains, sont les prémices d'une réalité infiniment plus vaste et perturbante encore qu'il vaudrait mieux ne jamais montrer, insinuant chez les personnages aussi bien que chez le lecteur une vaste imprégnation de malaise présentée comme naturel, un dégoût de bon sens, et dont tous, dans le récit, ressortent étourdis et nauséeux. le peu qu'on entrevoit de cette affaire sordide sent l'indicible et l'immonde, un monstre humain se promène quelque part après cette transformation initiale, rien que son influence est une perversion fatale, raison pourquoi il est même toujours impossible et défendu de parler franchement de ses actes atroces et tabou.
Et cependant, insidieusement, une certaine coloration fin-de-siècle, résidant notamment dans la richesse du style et dans les ors de la tentation, confère au texte et à ce Londres surtout nocturne un caractère de fascination ; à vrai dire, même les pleins jours sont inquiétants, même les décors normalement pastoraux de colline et de bois : c'est que le berger subit désormais la présence subversive d'un satyre inimaginable invoqué et libéré de l'invisible ; et ainsi, tout dorénavant peut continuellement surgir d'un décor paradoxal qu'on s'apprête à contempler. le lecteur est plongé d'autorité entre science et sensualité, entre la froideur des savoirs rassurants et l'inconnu des possibilités extra-humaines, arguments rationnels et parfums mystérieux, entre les passions exacerbées jusqu'à la démence et une stricte méthode heuristique pour comprendre les manifestations et les origines d'une anomalie matérialisée par expérimentation. On devine des soleils noirs dans cette intrigue, on ressent des pourpres macabres comme des linceuls, on augure des orgies dont l'attrait sait être une épouvante, on perçoit des chants d'une moquerie infâme et tout ce qui figure de plus insupportable et électrisant dans les réalités masquées : cela sourd comme un suint bizarrement orné, diapré, bigarré, byzantin ; une manière gentleman d'investigation élégante, au seuil du dandysme, tâche à découvrir, avec une étrange conscience fascinée, les monstruosités innommables induites par une créature échappée dont l'aura seule est une terreur et qui n'est plus humaine. Derrière des faits tus on devine des viols abominables, des séductions d'une corruption inénarrable, des désespoirs déformants conduisant au suicide systématique aux pieds des lits, et malgré ces destins funestes, tous les narrateurs courent après cela ! Maints documents portent la trace d'un passage terrible, leur vue même est une souffrance pour l'esprit salubre, on recommande de les brûler aussitôt… mais nul n'est capable d'y porter soi-même un commencement de flamme ! C'est bien plus que le désir de la vérité qui tient et consume les narrateurs : une noirceur inscrite dans la curiosité humaine, morbide, quelque chose comme le goût de la révélation de l'ignominie éclatante. Remarquons que ce sont ici des hommes, rien que des êtres mâles, qui poursuivent l'horreur : c'est, devine-t-on, qu'il y a dans sa nature un penchant à la lubricité et à l'abjection, un irrépressible appétit au toucher, au contact, aux poursuites de toute matière spongieuse – c'est sans doute pourquoi le scientifique du départ, Mr Raymond, revêtu d'emblée d'une dignité objective de savant sans net émoi, disparaît du récit dès l'expérience initiale et n'intervient plus qu'en manière de conclusion : il ne dispose pas d'assez d'insistance sensuelle, c'est pourquoi il laisse opportunément place aux corps et aux rêves littéraires, aux extrapolations aventureuses et, même affreuses, séduisantes terriblement pour le sexe viril et inconsciemment lubrique d'autres personnages plus propres à la tentation.
Certes, c'est un récit rare de suggestions alarmantes et d'obscurités élaborées, pourtant il faut admettre qu'aussi bien cette construction que ce style contiennent leur faille identique et intrinsèque, consistant dans un certain excès d'alambication : je veux dire qu'on ne distingue guère de ton propre à chacun des personnages, que leur couleur logiquement particulière est en fait très unie, lissée, confondue dans ce spectre clair-obscur de l'étrange, qu'on a en somme à peu près la copie d'un même tour d'esprit en chacun des intervenants, qu'ils ne paraissent à peu près que l'incarnation d'une même voix, sans doute celle de l'auteur lui-même. Au surplus, on ne me contestera pas, je pense, que le déroulement est globalement invraisemblable, notamment la façon dont la majorité des indices viennent facilement et comme par hasard aux personnages qui en sont plutôt objets que véritablement instigateurs : Villiers, étonné de la déchéance de son ancien camarade, parle de lui justement à Clarke qui en connaît précisément la cause lointaine ; il a aussi un ami, Austin, qui détient un objet testamentaire d'un peintre camarade en rapport avec la femme maudite ; il a vu au surplus, mais par chance, un des suicidés peu avant son acte de façon qu'il a su d'où il venait… Certes, ce n'est pas une intrigue policière dont il s'agit et il ne faut pas y espérer une rigueur absolue, mais l'auteur ambitionne évidemment de nous faire agréer l'impression du fantastique c'est-à-dire du possible par quelque apparence de logique ; or, ça ne fonctionne guère, tous les éléments de progression se présentent d'eux-mêmes et sans pour autant qu'on ait l'explication d'une sorte de prédestination : l'information parvient toute seule à qui la voudrait, fatalement, au moment propice. Ainsi, s'il s'agit d'estimer la probabilité de pareilles coïncidences dans un récit qui veut globalement tirer ses effets d'un sentiment presque scientifique de plausible, il faut reconnaître qu'il n'est pas fort question d'y croire, ce qui est toujours une entrave à l'immersion du lecteur dès lors qu'il est assez perspicace pour percevoir les astuces narratologiques un peu grossières, les ficelles un peu trop blanches, avec lesquelles il a fallu faire tenir ensemble tout ce canevas sophistiqué.
Et puis, j'ose le dire enfin et pour revenir à la petite controverse lancée par M. Asensio, en dépit de sa subtilité incontestable et de son pouvoir d'envoûtement, ce Dieu Pan, pourtant plus travaillé, plus ouvragé disons, plus orné peut-être que la plupart des oeuvres de Lovecraft, n'en a pas tout à fait l'audace et les effets singuliers. En particulier, le parti pris de Machen est de ne pas raconter ce que l'on voudrait savoir, comme une manie, et la plupart des événements importants sont tus au nom de la décence ; or, c'est indéniablement une faiblesse, sinon une lâcheté pour un écrivain dont la profession de foi devrait être justement à narrer le difficile et le subtil, à trouver une solution satisfaisante à toutes les délicatesses le réalité et d'expression, en somme à rendre une couleur singulière même aux faits les plus complexes avec l'exactitude des mots, au lieu que ce prétexte récurrent à s'abstenir, loin de provoquer chez le lecteur un répugnant effroi (il n'y a pas même d'éléments dans le texte pour motiver un pareil sentiment, et je dirais au contraire que le lecteur est désireux de ces relations tues qui cachent de la sexualité plutôt qu'impressionné de connivence à l'idée qu'il ne faudrait rien en révéler pour de justes causes) – autrement dit, un écrivain expérimenté et pertinent sentirait qu'il y a eu là, précisément à chaque fois dans ce livre, une facilité à ne pas dire, façon de s'épargner une embûche littéraire et morale et d'éluder ainsi une peine et un péril, parce qu'en effet ces événements masqués sont exactement les plus difficiles aussi bien à imaginer qu'à traduire. Je soutiens même que cette élision nuit partiellement au sentiment de l'horreur révélée : se contenter d'exprimer que la pudeur s'oppose à la relation d'un fait atroce et apposer ici des points de suspension comme il arrive à au moins trois reprises dans ce récit, c'est non seulement un prétexte assez puritain et commode à ne pas prendre de risque d'écriture, mais c'est surtout se résoudre à ne pas produire le climax, le paroxysme de terreur, l'éclatement de la tension en un souffle dévastateur et vertigineux : Lovecraft, lui, osa trouver un langage pour rendre compte de ces monstruosités, et c'est grâce à cela qu'il réalisa ses chutes cosmiques où tout ce qui était jusqu'à un certain point atténué, déguisé, travesti et soupçonné indicible est finalement exposé à la lumière nue ; c'est ce qui fonde la terreur transcendante et accomplie de ses textes, au-delà de l'atmosphère fébrile et moite de Machen qui n'explose jamais, qui ne représente pas avec explicitation, du moins dans ce récit, le terme d'un processus d'inquiétude puis de peur et enfin de panique c'est-à-dire le cycle complet de la terreur. La compression des personnages ici ne se concrétise en explosion que « hors-scène », loin de la vision du spectateur – encore une fois il faut imaginer plutôt que vivre la démence, le crime ou le suicide. Chez Machen dans le Grand Dieu Pan le suspense n'a pas la profondeur de germer, la tension demeure vague et envoûtante, souterraine sans affleurer, et cette résurgence, cette contention immergée de l'affolement fou, dramatisée mais non fructifiée faute, à mon avis, de le savoir ou de l'oser faire (car l'effet alors en serait incroyablement puissant et servirait fort ses desseins émotionnels), atténue l'intensité intérieure de l'horreur, la réprime et l'étouffe en-deçà d'une exhalaison – le défoulement cataclysmique n'étant pas transmis n'arrive pas à heurter manifestement l'esprit et la raison du lecteur telle pourtant qu'on l'éprouve au paroxysme de l'effroi. Lovecraft exprime en somme et l'effroi et la terreur, quand Machen, en l'occurrence, s'arrête au premier sentiment – ce qui, je ne le nie pas, constitue tout de même déjà un trouble impressionnant et une belle et mémorable réussite.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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critiques presse (1)
Elbakin.net
07 décembre 2023
Vous l’aurez compris les textes de Machen raviront les inconditionnels du genre [...]. Pour les autres, le côté histoire de la littérature qui accompagne chaque livre de chez Callidor est ici particulièrement appuyé et rend l’ouvrage accessible au plus grand nombre, puisqu’il vient avec son manuel de lecture !
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Un gentleman riche fut trouvé mort auprès d'une maison de Paul Street, à la hauteur de Tottenham Court Road. Naturellement, ce ne fut pas la police qui le découvrit ; passez la nuit, avec de la lumière à vos fenêtres, le constable viendra sonner ; mais qu'il vous arrive d'être étendu, raide, à la porte de n'importe qui, on vous y laisse. En cette occasion, comme en bien d'autres, l'alarme fut donnée par une façon de vagabond ; je ne dis pas un simple rouleur, ou un pilier d'assommoir, mais un gentleman que ses affaires ou ses plaisirs, ou les uns et les autres, faisaient se promener dans les rues de Londres à cinq heures du matin. Cet individu, à ce qu'il affirma, "rentrait chez lui", quoique d'où et vers où, on n'en sut trop rien, ni quelle raison il avait de passer par Paul Street entre quatre et cinq heures du matin. Je ne sais quoi lui fit regarder le numéro 20. Il prétendit une chose assez absurde, que cette maison avait la physionomie la plus déplaisante qu'il eût jamais observée. En tous cas, il regarda dans la cour ; à son grand étonnement, il vit un homme étendu sur le pavé, jambe de ci, jambe de là, et la figure tournée en haut. Notre gentleman trouva cette face singulièrement fantomatique, et se mit à courir, en quête du premier policeman. Le constable prit d'abord la chose assez légèrement, n'y voulant voir qu'une histoire d'ivrogne. Cependant, il y alla, et changea vite de ton quand il eut vu la face du mort. L'oiseau matinal qui avait découvert ce fin vermisseau fut envoyé à la recherche d'un docteur, tandis que le constable tapageait à coups de sonnette et de heurtoir, jusqu'à faire arriver une servante sale, à moitié endormie encore. Il lui montra ce qu'il y avait dans la cour, et elle de pousser des cris à ameuter toute la rue. Mais elle ne savait rien du monsieur, ne l'avait jamais vu à la maison, etc ... Cependant, le premier donneur d'alarme était revenu avec un médecin ; et il ne restait plus qu'à entrer dans la cour. La porte fut ouverte, tout le quartier en profita pour entrer aussi et effacer en piétinant les traces qui s'y pouvaient trouver. Le docteur eut à peine besoin d'un moment d'examen pour déclarer que le pauvre diable était mort depuis plusieurs heures, et le faire transporter provisoirement au poste de police. C'est ici que l'affaire devient intéressante. Le mort n'avait pas été volé, et une de ses poches contenait des papiers l'identifiant à ... , enfin à un homme riche et de bonne famille, très aimé dans la société, à qui on ne connaissait pas un ennemi. Je ne vous dis pas son nom, Villiers, parce qu'il n'a rien à voir avec l'histoire et que ce n'est jamais une bonne chose de fouiller dans les histoires des morts dont les parents vivent encore. Le plus curieux ensuite est que les médecins ne purent se mettre d'accord sur la cause de la mort. Il y avait quelques légères meurtrissures sur les épaules du cadavre, comme s'il avait été poussé rudement par la porte de la cuisine et traîné en bas des marches, plutôt que jeté par-dessus la balustrade ; mais il ne portait aucune marque de violence, certainement aucune qui pût entraîner la mort ; et quand on en vint à l'autopsie, il n'y avait pas trace de poison. Naturellement, la police voulut se renseigner sur les habitants du 20 ; et ici encore, comme je l'ai appris de sources privées, on releva deux ou trois détails curieux.

La maison était occupée par M. et Mme Herbert ; lui, riche propriétaire, à ce qu'on dit, et beaucoup de gens remarquèrent que Paul Street n'est pas précisément le point où l'on irait chercher de l'aristocratie campagnarde ; elle, dont personne ne semblait savoir qui elle était, ni quoi. Entre nous, ceux qui plongèrent dans son existence connurent de drôles d'eaux, j'imagine. Bien entendu, tous deux nièrent savoir quoi que ce fût du défunt et, toute preuve absente, furent déchargés. Mais plusieurs choses étranges ressortirent sur leur compte. ... [...]
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Mais je vous dis, moi, que toutes ces choses -oui, depuis l'étoile qui vient de s'allumer au ciel, jusqu'au sol que nous éprouvons du pied-, je vous dis que tout cela n'est que du rêve et des ombres, les ombres mêmes qui nous voilent le monde réel. Il y a un monde réel ; mais il est sous cet éclat et sous ces visions, ces hautes-lices, derrière tout cela comme si un voile nous le cachait. Je ne sais si jamais un être humain a soulevé ce voile ; mais je sais que cette nuit, et devant vous et moi, Clarke, il le sera pour d'autres yeux. Peut-être trouverez-vous tout ceci étrange, insensé même : étrange, soit, mais réel ; et les anciens savaient ce que c'est que de "lever le voile". Ils appelaient cela voir le dieu Pan.
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1. UNE EXPERIENCE.

— Je suis très content de vous voir, Clarke, très content ; je craignais qu'il ne vous fut impossible de venir.
— J'ai pu m'arranger pour quelques jours. Les affaires ne vont pas beaucoup, par le temps qu'il fait. Mais vous, Raymond, êtes-vous sans inquiétude pour ce que vous allez essayer, et cela ne présente-t-il aucun danger ?

Le long de la terrasse, qui bordait la maison du docteur, les deux hommes se promenaient sans hâte. Vers l'ouest, le soleil couchant surplombait encore les montagnes, mais d'un éclat sombre et rouge qui ne faisait plus d'ombre. L'atmosphère était paisible ; en face d'eux, la forêt épaisse sur le pendant des coteaux exhalait une haleine faible, et, par intervalles, l'appel tendre et murmurant des tourterelles sauvages. Plus bas, au creux de la vallée, la rivière serpentait parmi les collines solitaires, et, tandis que le soleil, un instant suspendu, disparaissait derrière l'horizon, une buée blanche et comme hésitante monta entre les rives.

[Arthur MACHEN, "The Great God Pan" / "Le Grand Dieu Pan" (1894), chapitre 1. - UNE EXPERIENCE - traduit de l'anglais par Paul-Jean Toulet, éditions EJL (Paris), coll. "Librio", page 9]
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[...] ... Après le repas l'enfant, qui avait environ sept ans, laissa son père à son travail, et, selon son propre récit, se mit à chercher des fleurs dans le bois ; et le père, qui pouvait l'entendre s'exclamer joyeusement de ses découvertes, était sans inquiétude, quand soudain il entendit des cris de terreur du côté où son fils avait disparu. Jetant en hâte ses outils, il courut voir, et, s'orientant au bruit, rencontra le petit garçon qui courait tête baissée et manifestement terrorisé. Aux questions de son père, il finit par répondre qu'après avoir cueilli une brassée de fleurs et se sentant fatigué, il s'était couché sur le gazon et endormi. Il avait été réveillé par un bruit singulier, quelque chose comme un chant, disait-il ; et, regardant à travers les branches, il avait aperçu Hélène V ... [une fillette de la ville, en résidence dans une ferme voisine] qui jouait sur l'herbe "avec un drôle d'homme tout nu" dont il ne pouvait donner une description plus précise. Il ajouta qu'il s'était senti épouvanté, et avait couru en criant vers son père. Joseph W ... s'avança et trouva Hélène V ... assise au milieu d'une aire laissée par des charbonniers. Il l'accusa avec colère d'avoir effrayé son fils, mais elle démentit toute l'accusation et rit beaucoup de l'histoire de l'homme étrange. Joseph n'y ajoutait pas grande foi, et il en arriva à la conclusion que son fils s'était réveillé avec une peur soudaine, comme il arrive aux enfants ; mais Trevor s'obstina dans son récit, et manifesta tant d'angoisse qu'à la fin on le ramena à la maison, dans l'espoir qu'il y pourrait être calmé par sa mère. Pendant plusieurs semaines, l'enfant donna de grandes inquiétudes ; devenu nerveux et bizarre, il refusait de quitter le cottage et souvent, la nuit, réveillait ses parents par les cris de : "L'homme du bois, père, père !"

Peu à peu néanmoins, cette impression parut s'effacer, et environ trois mois après, il accompagnait chez un gentleman du voisinage son père qui y travaillait. L'enfant fut laissé dans le hall, Joseph W ... ayant été appelé au bureau ; quelques minutes après, comme le gentleman lui donnait ses instructions, ils furent tous deux étonnés par un cri perçant et le bruit d'une chute. Ils coururent et trouvèrent Trevor sans connaissance sur le parquet, les traits contractés d'épouvante. Le docteur aussitôt appelé déclara après un premier exament que l'enfant avait eu une sorte d'attaque, à la suite probablement d'une émotion soudaine. On le porta dans une chambre à coucher où il reprit assez vite connaissance, mais pour passer à un état dénommé par le médecin : hystérie violente. ... [...]
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La police avait été obligée de se confesser impuissante à expliquer ou à prévenir les crimes sordides de Whitechapel; mais devant les horribles suicides de Picadilly et de Mayfair, elle resta confondue; car la simple férocité, qui servait d'explication aux crimes d'East End, ne se trouvait d'aucun usage dans West End. Chacun de ces hommes qui s'étaient résolus à mourir dans la honte et la douleur était riche et prospère, et goûtait apparemment la vie; mais les plus subtiles recherches ne pouvaient découvrir un motif quelconque à aucun de ces suicides.
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